Le 5 février 2010, le Président Medvedev a validé la nouvelle doctrine de défense russe. Après le terrorisme international, les Etats-Unis et l’OTAN sont désignés comme des ennemis principaux et immédiats. Nous pouvons, comme le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, jouer la naïveté, et regretter l’inadéquation de la doctrine russe. Nous pouvons aussi essayer de comprendre ce qui a amené la Russie à adopter cette nouvelle stratégie.
Cette doctrine marque, en fait, la fin du rêve occidental russe. Il est difficile, aujourd’hui, de se représenter la naïveté avec laquelle la Russie a ouvert les bras à l’Occident, au début des années 90. Ce fut le cas dans les domaines économique, culturel, militaire et même dans celui de l’espionnage. Evgueni Primakov raconte dans ses mémoires* comment le nouveau chef des services secrets russes, pour faire preuve de bonne volonté, avait transmis les emplacements des micros-espions de l’ambassade américaine à Moscou. Les Etats-Unis avaient, de leur côté, offert des garanties sur la non extension de l’OTAN, et sur leurs intentions pacifiques. La suite est connue. Les vingt années qui suivent voient l’OTAN arriver aux frontières de la Russie, son allié serbe bombardé, et la population serbe de Krajina subir un nettoyage ethnique sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale. Les minorités russes sont persécutées dans les pays baltes, tandis que dans le berceau même du premier état russe, à Kiev, le département d’état américain met en place un gouvernement hostile. La rupture définitive survient lorsque la Russie observe avec effarement les démocraties occidentales restées indifférentes aux bombardements à l’artillerie lourde de la capitale ossète et, notamment, à la destruction complète du quartier juif. Pour l’administration russe, il est désormais clair que la posture morale de l’Occident est une hypocrisie et un mensonge.
La mise en garde du Président Poutine à Munich, le 11 octobre 2006, résume la nouvelle doctrine militaire. Elle est le résultat d’un double constat aboutissant à un virage géopolitique sans précédent.
Le droit international n’existe plus. Les bombardements successifs des forces de l’OTAN et des Etats-Unis sur la Serbie ou l’Irak, sans déclaration de guerre, ni mandat de l’ONU, visant délibérément des cibles civiles, normalement protégées par les conventions internationales, ont convaincu la Russie de l’obsolescence des règlements internationaux. La reconnaissance unilatérale du Kosovo, contre la résolution 1244 de l’ONU, démontre que seule compte la force. C’est désormais l’armée russe qui est garante de cette indépendance – qui oserait l’affronter dans le Caucase ? La menace la plus immédiate pour la Russie est celle constituée par les Etats-Unis qui, malgré leurs promesses, ont amené l’OTAN aux portes de la Russie. Le prétexte du système anti-missile ne visent qu’à militariser les pays d’Europe de l’Est. Les anti-missiles en question seront d’ailleurs bien incapables d’arrêter un vecteur iranien. En revanche, ils scellent de manière agressive les anciens satellites de l’URSS dans l’alliance atlantique. Ce n’est pas l’utilisation de l’arme nucléaire qui constitue un virage important. En sanctuarisant le territoire national russe, elle correspond à une doctrine tout à fait classique. La véritable nouveauté c’est qu’aucune menace n’est définie à l’Est de la Russie. Il semble que le virage vers l’Asie, effectué par la Russie dans ses orientations économiques, ait son équivalent militaire. Face à l’OTAN, vu comme une alliance agressive, désuète et inadaptée, la Russie et la Chine opposent désormais l’Organisation de coopération de Shangaï. Cette structure en devenir, à la fois politique et militaire, sera un levier incontournable dans les relations internationales, alors que le continent asiatique remplace peu à peu l’Occident dans son leadership mondial.
La Russie est la pénétrante naturelle de l’Europe vers l’Asie. Elle est aussi le cauchemar géopolitique anglo-saxon, car elle est la jonction entre ces deux continents. En laissant les Etats-Unis construire un nouveau rideau de fer sur le continent européen, et en acceptant de diluer leur puissance au sein de l’Union Européenne, la France et l’Allemagne se privent d’une ouverture vers l’avenir. La réaction positive du ministre des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, au sujet du projet russe de sécurité collective, ainsi que l’achat d’une frégate française par la Russie, laissent cependant entrevoir la possibilité d’un retournement politico-stratégique.