Il faisait très chaud cet été-là.
Sous un ciel sans nuages, les herbes hautes des vastes prés ondulaient sous la brise légère, l’immense demeure du sénateur Franklin Woodenheimer se dressait parmi elles, comme un paquebot voguant en paix sur les flots.
Au bout d’un long chemin de terre, apparut une berline noire aux vitres teintées. La longue voiture s’engagea dans l’allée sablonneuse, soulevant des nuages de poussière et d’insectes.
Elle chemina lentement puis stoppa aux abords d’un petit bois de bouleaux entre un héliport et la maison de Woodenheimer.
Le chauffeur sortit et fit le tour du véhicule. Il ouvrit la portière et annonça :
« Il fait très chaud, monsieur »
Le passager, pour toute réponse, émit un grognement.
Un homme en costume clair émergea péniblement du véhicule, c’était Olivier D. Penkin III, un septuagénaire élégant, milliardaire en dollars, propriétaire des industries Penkin, de la Penkin Oil Compagny, de la Penkin Aeronautic Compagny, de la Penkin News Network, de la fondation de bienfaisance Penkin, du club de Basket Ball ’’les Mosquito Warriors’’ de Philadelphie et de toutes sortes d’autres entreprises, associations, cercles de réflexions, etc.
Un major d’homme se dirigea à grands pas vers les visiteurs.
« Très honoré M. Penkin ! Monsieur Woodenheimer vous attend au bord du lac.
Johnson, mes bagages, sauf la mallette noire » ordonna le milliardaire à son chauffeur.
« Bien Monsieur. »
L’employé de Woodenheimer conduit Penkin vers une voiturette de golf. Les deux hommes grimpèrent à bord et se prirent le chemin du lac : en fait, un vaste étang artificiel, bordé d’arbres et d’un cabanon.
« Nous y sommes, monsieur » fit le major d’homme, qui s’éloigna, laissant Penkin, seul, sur le porche.
Woodenheimer apparut dans l’embrasure de la porte du cabanon, un large sourire se dessina sur son visage à la vue de son ami de trente ans, trente ans où ils avaient été de tous les conflits et de tous les profits. Woodenheimer, la soixantaine sportive, en pantalon, chemisette et casquette de Golf, était sénateur de son état depuis bientôt quinze ans. Homme de contact et de conciliation, il était un élu apprécié par la population du petit état du Wisconsin.
« Oliver ! » lança Woodenheimer à la vue de son ami.
« Bonjour, Franklin !
As-tu fait bon voyage ?
Chiant et crevant !
Folle idée que de venir en voiture alors que mon hélicoptère est à ta disposition !
Je hais le vol en hélicoptère.
Oui ! ta phobie de l’air ! pourtant tu prends l’avion !
Avion que j’ai failli louper à cause de tous ces connards et leur pick-up crasseux, une histoire de tunnel fermé pour cause d’accident, je crois...
Cesse donc de râler et assieds-toi donc ! Je reviens ! »
Woodenheimer s’éclipsa un court instant et revint une bouteille à la main.
« Vin français ! Et du bon bien sûr !
Toi et ta passion pour le vin français ! » railla Penkin.
Les deux hommes s’installérent sur deux vastes fauteuils face au lac.
« Sache que j’ai fait venir trois caisses de vin directement de chez les froggies ! J’y ai même fait acheter toute une panoplie de verres à ballons, flûtes et compagnie ! »
Il ouvrit la bouteille et servi son ami.
« Un Ermite, 1998, plus de 300 dollars la bouteille ! » annonça fièrement Woodenheimer.
Penkin approuva mollement, il n’y connaissait rien et s’était toujours étonné que son ami soit si passionné par de ’’l’alcool de jus de raisin’’.
« Je suis heureux que tu aies pu te libérer un week-end pour venir me voir ! A ton âge tu devrais prendre plus de repos ! » dit Woodenheimer, une main sur l’épaule du milliardaire.
« Du repos ? Parlons-en ! Je risque de ne plus avoir une minute à moi, très bientôt !
Ah ! Toi, tu es sur une grosse affaire !
Pétrole ?
Non.
Un bon plan en Bourse ?
Fou que tu es !
Allons, quoi donc ? Une femme ?
Pfff, fou, te dis-je ! Non, quelque chose de bien plus important... » fit Penkin, mystérieux.
« Ne me fais pas languir, Oliver...
As-tu eu des nouvelles de ce vieux rat de Lebenstein ?
Pas depuis un moment en tous cas, pas depuis cette histoire d’enquête sur ses comptes à Hawaii...
Aux Bermudes, Franklin, aux Bermudes...
Oui un truc comme ça, il m’avait demandé un coup de pouce que je ne pouvais lui donner...
Et tu as bien fait ! Tu sais doser ta ’’participation’’ et ce qui fait ta longévité !
Et ma fortune !
En effet, c’est d’ailleurs de cela dont je veux te parler !
Je t’écoute ! » fit Woodenheimer, tendant l’oreille.
« Je crois savoir que tu as souffert récemment...
En effet, comme tout le monde à notre âge je pense, un vieux mal de dos qui...
Frankie, Frankie ! Mon petit Frankie ! Je te parle de business...
Ah ! Désolé, Oliver, oui, en effet, mais je ne suis pas le seul à avoir perdu de l’argent...
très juste ! Tu ne t’en sors pas si mal, Hammerless, Lebenstein, Levinson, ont perdu pas mal de plumes depuis un an. Mais là, ça devient plus grave, les gars commencent à chier dans leurs frocs...
Il y a de quoi, non ?
Tout dépend...
Tout dépend de quoi ?
Tout dépend de celui qui détient les bonnes informations !
Ça sent le délit d’initié ! » dit Woodenheimer en riant.
« Je ne parle pas de ça, éléve toi donc un peu au-dessus du niveau de tes électeurs ! Je te parle de géopolitique, je te parle d’avenir, je te parle de guerre ! Il y a environ un an, le « groupe » s’est réuni et il a été décidé d’accélérer habilement l’effondrement financer mondial, l’ennui c’est que les choses sont allées un peu plus vite que prévu... Aujourd’hui, nous sommes à la veille du clou du spectacle, l’apothéose : tout va nous péter la gueule, Oliver, il faut que tu le saches et je te le dit, car tu es mon ami.... »
Woodenheimer commença à s’agiter :
« Comment ça tout ? Les gens comme toi et moi retombent toujours sur leurs pattes surtout grâce aux bons tuyaux du « groupe ! »
Les gens comme moi ? Oui ! Mais cette fois, pas les gens comme toi ! Comprends-moi bien, Frankie, je suis venu sauver ta peau, pas prendre l’air au bord de ton foutu étang...
Tu me parles, là, d’un krach boursier majeur ?
Non, Oliver tu ne saisis toujours pas, je te parle DU krach, non pas un événement presque soudain comme en 29, que l’on pouvait peut-être anticiper à quelques semaines près, mais d’un tsunami financier, d’un effondrement total, quelque chose de plus lent, de plus sournois qui a mis des mois à arriver, mais qui au final, est bien plus violent ! 1929 c’était une varicelle, 2008, c’est un cancer !
Tu me fais peur ! » murmura Oliver, songeant sûrement aux caisses de vin français qui lui avaient coûter si cher...
« Et tu as raison d’avoir peur !
Mais que peut-on faire, qu’as décidé le « groupe » ?
Laisser faire…
Laisser faire le krach ? » s’étonna le sénateur.
« Oui laisse faire, dans une certaine mesure, évidemment !
Qu’avez vous derrière la tête ?
On ne peut stopper la machine, elle est lancée, elle ne s’arrêtera pas.
C’est pour quand ?
Voilà enfin une question intelligente ! » se réjouit Penkin.
« Je ne sais pas, tout peut aller très vite, ça n’est qu’une question de mois... »
Le silence se fit, Penkin faisait mine de goûter au calme de la campagne, pendant que Woodenheimer, ébranlé, regardait fixement la surface des flots.
Soudain, il se reprit et d’un vif coup de poignet, rempli le verre vide de son ami, puis rompit le silence :
« Tu n’as pas répondu à ma question : qu’avez vous derrière la tête ?
L’Iran, Frankie, la putain d’Iran !
Quoi l’Iran ? Quel rapport avec le krach ?
Tu penses bien qu’après la stupeur et une fois que tous les experts que nous payons grassement à répandre des analyses bidons auront vidé leurs sacs de bille sur les plateaux télé, les gens, même les plus cons vont demander des comptes ! Et vers qui crois-tu qu’ils vont se tourner ?
Vers des gens comme moi... » dit timidement le sénateur.
« Oh oui mon petit Frankie les gens comme toi, les élus, les maires, les secrétaires d’états, les ministres, les présidents, que sais-je ! Le moindre crétin nantis d’un quelconque pouvoir politique se verra submerger de questions ! Et crois-moi que les coups risquent de pleuvoir !
Il faut faire quelque chose Frankie, ça sent le lynchage ! »
Woodenheimer vida son verre d’un trait et se resservit.
Penkin reprit :
« Et c’est là que l’Iran entre dans la danse ou plutôt que nous allons faire danser l’Iran ! Plutôt que de nous mettre à dos les populations, nous allons habilement focaliser l’attention du public sur les barbus, les gens sont bien plus friands de responsables clairement identifiables que de devoir comprendre les mécanismes compliqués de l’économie et les gourous qui en tirent les ficelles et dont ils n’ont, pour la plupart, jamais vu les gueules...
Mais comment faire cela ? ...Habilement, tu disais ?
Tu te souviens de l’incident des ogives l’été dernier ?
Les ogives nucléaires perdues puis retrouvées ?
Six ogives nucléaires W80, armées sur des missiles de croisière AGM 129 ont été trimballées de notre base de Minot dans le Dakota du nord vers la base de Barkdale en Louisiane.
Tu as l’air très au courant !
Dans les moindres détails, Frankie, j’ai participé à l’élaboration de cette opération ! On a fait décoller un B 52, les pilotes n’en savaient rien, mais ils trimballaient des armes de destruction massive qui auraient fait baver d’envie feu notre ami Saddam ! Ensuite, on a laissé la cargaison des bombardiers sans surveillance, plusieurs heures sur la piste d’atterrissage.
Et les six ont été récupérés et ça a fait du bruit en haut lieu ! » répliqua Woodenheimer.
« Tu parles ! Nombreux étaient les militaires qui n’étaient pas au courant et qui ont flippé à l’idée de devoir rendre des comptes, ceux qui étaient trop curieux et bien...Euh...Disons que le « groupe » a fait en sorte qu’ils le soient moins... On a rembarqué les ogives et personne n’a plus parlé de cette histoire...Enfin, on a rembarqué cinq ogives...
Pourquoi cinq ? Et la sixième ?
Un peu de patience, mon ami ! Le mois dernier, on a soulagé l’Irak de 550 tonnes de yellowcake et...
yellowcake ?
C’est un concentré d’uranium, une poudre insoluble dans l’eau et qui contient environ 80 % d’uraninite. Il sert à la préparation de combustible pour les centrales nucléaires. Il peut être aussi enrichi dans la perspective de la fabrication d’armes nucléaires. C’était le fruit des travaux des scientifiques irakiens sous Saddam. On l’a transporté par avion, vers notre base de Diego Garcia dans l’océan indien puis en bateau au Canada, où une entreprise spécialisée est chargée de son exploitation. Mais là, encore tout n’a pas été acheminé vers la destination finale, une certaine quantité a rejoint la sixième ogive manquante...
Où ça ?
Quelque part...
Le « groupe » ?
Oui, c’est le « groupe » qui les détient.
Qu’est-ce que le « groupe » veut faire de ces merdes ?
Voyons Frankie, il nous faut bien un prétexte pour attaquer l’Iran, tu sais, notre nouveau bouc émissaire...
Encore une fois, dis-m’en plus !
Et bien, il y a deux cas de figures : les plus modérés, au sein du « groupe » pensent qu’avec le Yellowcake subtilisé, on peut fabriquer une bombe sale, qu’on ferait péter dans une ville moyenne américaine, on limite ainsi les dégâts, les partisans d’une ligne dure pensent plutôt à faire carrément péter l’ogive subtilisée...
Hein ! Tu plaisantes Oliver ? » lança Woodenheimer, de plus en plus agité.
Penkin haussa les sourcils l’air surpris, puis son regard devint diabolique :
« Imagine l’impact sur l’opinion américaine et mondiale, toutes les portes s’ouvriront, tout sera permis, un 11 septembre de rêve... Cette fois, nous jouirons d’une totale liberté pour agir ! Et pour longtemps !
Agir, donc attaquer l’Iran ?
Ce que je peux te dire c’est que depuis 2003, le Pentagone a minutieusement sondé le territoire iranien à travers l’envoi de petits commandos des forces spéciales et à travers l’envoi de micro drones de quelques centimètre d’envergure... Bien sûr, c’est moi qui les vend à l’armée... On connaît maintenant chaque mètre carré de leur territoire, du moindre poil de barbe des imams jusqu’à la moindre fibre de leurs putains de tapis persans...
Alors ? Invasion ?
Qui parle d’invasion ? Tu as déjà vu une carte de l’Iran ?
Non.
Normal, tu es américain, la géographie c’est pas ton fort... Non pas d’invasion, une savant largage de tout ce que nous avons sous la main, avec cerise sur le gâteau des mininuke... A voir ta tête, on voit que tu ignores ce que c’est ! Tu n’étais pas dans la commissions sur la défense au Congrès ?
Si, mais bon tu sais ce que c’est, on vient aux débats, on mange, on signe quelques documents, le président de la commission fait un speech et puis voilà quoi... » répondit le sénateur, un peu gêné...
« Au départ, il s’agissait de ’’David Crockett’’, la plus petite arme atomique mise au point, d’un poids de trente kilos, on l’avait conçu dans les années soixante pour détruire les concentrations de troupes soviétiques, depuis on a fait des gros progrès et créé des Mininuke.
Je crois avoir lu un truc à ce sujet, ce sont des mini armes atomiques tactiques ?
Oui c’est ça, tu vois quand tu veux ! Frankie ! Et c’est l’idéal pour bousiller les installations nucléaires iraniennes !
Et la radioactivité dans tout ça ?
Ne t’inquiète pas : d’après les météorologues du Pentagone, les nuages radioactifs se dirigeraient vers l’ouest, aucune chance pour qu’ils ne se rabattent vers les puits de pétrole du Golfe...
Je pensais surtout a Billy !
Ton fils est toujours en Irak ?
Oui, il termine son contrat au printemps 2009... Petit con, je lui avais interdit d’aller là-bas ! Y’a des gens pour ça ! Tu penses que les iraniens vont riposter ?
Bien sûr ! On leur laissera de quoi s’agiter et faire péter quelques bateaux dans le détroit d’Ormuz, histoire de justifier l’inévitable pic pétrolier... Quand nos chers concitoyens ne pourront plus remplir leur réservoir qu’à prix d’or, ils nous reprocheront d’avoir été si tendre avec l’Iran !
Et si malgré tout, les gens se révoltent ?
Tu penses bien que dès que l’atome aura ravagé une innocente ville américaine, le président ordonnera l’application de la National Security & Homeland Security Presidential Directive, avec imposition de la loi martiale, annulation du gouvernement constitutionnel, fermeture du sénat et du congrès, les pouvoirs de justice et d’application de la loi seront confiées à l’armée, annulation des élections, etc.
Mais je vais perdre mon job ! » s’indigna Woodenheimer.
« Tu préfères perdre ton job ou voir un meute de connards venir te casser la gueule et brûler ta baraque ? »
Le soleil se couchait et la fraîcheur de la nuit allait bientôt chasser l’air chaud du jour.
La bouteille était vide.
« Dis-moi, Oliver, l’innocente ville cible américaine, c’est laquelle ?
Tu m’en demandes trop Frank, mais je serais toi, je ferais mes valises, il ne fera pas bon vivre ici dans quelques semaines... Au fait, tu sais que la radioactivité permet la datation du vin ?
Non ? ! Dis-m’en plus, Oliver ! »
James G.
Sous un ciel sans nuages, les herbes hautes des vastes prés ondulaient sous la brise légère, l’immense demeure du sénateur Franklin Woodenheimer se dressait parmi elles, comme un paquebot voguant en paix sur les flots.
Au bout d’un long chemin de terre, apparut une berline noire aux vitres teintées. La longue voiture s’engagea dans l’allée sablonneuse, soulevant des nuages de poussière et d’insectes.
Elle chemina lentement puis stoppa aux abords d’un petit bois de bouleaux entre un héliport et la maison de Woodenheimer.
Le chauffeur sortit et fit le tour du véhicule. Il ouvrit la portière et annonça :
« Il fait très chaud, monsieur »
Le passager, pour toute réponse, émit un grognement.
Un homme en costume clair émergea péniblement du véhicule, c’était Olivier D. Penkin III, un septuagénaire élégant, milliardaire en dollars, propriétaire des industries Penkin, de la Penkin Oil Compagny, de la Penkin Aeronautic Compagny, de la Penkin News Network, de la fondation de bienfaisance Penkin, du club de Basket Ball ’’les Mosquito Warriors’’ de Philadelphie et de toutes sortes d’autres entreprises, associations, cercles de réflexions, etc.
Un major d’homme se dirigea à grands pas vers les visiteurs.
« Très honoré M. Penkin ! Monsieur Woodenheimer vous attend au bord du lac.
Johnson, mes bagages, sauf la mallette noire » ordonna le milliardaire à son chauffeur.
« Bien Monsieur. »
L’employé de Woodenheimer conduit Penkin vers une voiturette de golf. Les deux hommes grimpèrent à bord et se prirent le chemin du lac : en fait, un vaste étang artificiel, bordé d’arbres et d’un cabanon.
« Nous y sommes, monsieur » fit le major d’homme, qui s’éloigna, laissant Penkin, seul, sur le porche.
Woodenheimer apparut dans l’embrasure de la porte du cabanon, un large sourire se dessina sur son visage à la vue de son ami de trente ans, trente ans où ils avaient été de tous les conflits et de tous les profits. Woodenheimer, la soixantaine sportive, en pantalon, chemisette et casquette de Golf, était sénateur de son état depuis bientôt quinze ans. Homme de contact et de conciliation, il était un élu apprécié par la population du petit état du Wisconsin.
« Oliver ! » lança Woodenheimer à la vue de son ami.
« Bonjour, Franklin !
As-tu fait bon voyage ?
Chiant et crevant !
Folle idée que de venir en voiture alors que mon hélicoptère est à ta disposition !
Je hais le vol en hélicoptère.
Oui ! ta phobie de l’air ! pourtant tu prends l’avion !
Avion que j’ai failli louper à cause de tous ces connards et leur pick-up crasseux, une histoire de tunnel fermé pour cause d’accident, je crois...
Cesse donc de râler et assieds-toi donc ! Je reviens ! »
Woodenheimer s’éclipsa un court instant et revint une bouteille à la main.
« Vin français ! Et du bon bien sûr !
Toi et ta passion pour le vin français ! » railla Penkin.
Les deux hommes s’installérent sur deux vastes fauteuils face au lac.
« Sache que j’ai fait venir trois caisses de vin directement de chez les froggies ! J’y ai même fait acheter toute une panoplie de verres à ballons, flûtes et compagnie ! »
Il ouvrit la bouteille et servi son ami.
« Un Ermite, 1998, plus de 300 dollars la bouteille ! » annonça fièrement Woodenheimer.
Penkin approuva mollement, il n’y connaissait rien et s’était toujours étonné que son ami soit si passionné par de ’’l’alcool de jus de raisin’’.
« Je suis heureux que tu aies pu te libérer un week-end pour venir me voir ! A ton âge tu devrais prendre plus de repos ! » dit Woodenheimer, une main sur l’épaule du milliardaire.
« Du repos ? Parlons-en ! Je risque de ne plus avoir une minute à moi, très bientôt !
Ah ! Toi, tu es sur une grosse affaire !
Pétrole ?
Non.
Un bon plan en Bourse ?
Fou que tu es !
Allons, quoi donc ? Une femme ?
Pfff, fou, te dis-je ! Non, quelque chose de bien plus important... » fit Penkin, mystérieux.
« Ne me fais pas languir, Oliver...
As-tu eu des nouvelles de ce vieux rat de Lebenstein ?
Pas depuis un moment en tous cas, pas depuis cette histoire d’enquête sur ses comptes à Hawaii...
Aux Bermudes, Franklin, aux Bermudes...
Oui un truc comme ça, il m’avait demandé un coup de pouce que je ne pouvais lui donner...
Et tu as bien fait ! Tu sais doser ta ’’participation’’ et ce qui fait ta longévité !
Et ma fortune !
En effet, c’est d’ailleurs de cela dont je veux te parler !
Je t’écoute ! » fit Woodenheimer, tendant l’oreille.
« Je crois savoir que tu as souffert récemment...
En effet, comme tout le monde à notre âge je pense, un vieux mal de dos qui...
Frankie, Frankie ! Mon petit Frankie ! Je te parle de business...
Ah ! Désolé, Oliver, oui, en effet, mais je ne suis pas le seul à avoir perdu de l’argent...
très juste ! Tu ne t’en sors pas si mal, Hammerless, Lebenstein, Levinson, ont perdu pas mal de plumes depuis un an. Mais là, ça devient plus grave, les gars commencent à chier dans leurs frocs...
Il y a de quoi, non ?
Tout dépend...
Tout dépend de quoi ?
Tout dépend de celui qui détient les bonnes informations !
Ça sent le délit d’initié ! » dit Woodenheimer en riant.
« Je ne parle pas de ça, éléve toi donc un peu au-dessus du niveau de tes électeurs ! Je te parle de géopolitique, je te parle d’avenir, je te parle de guerre ! Il y a environ un an, le « groupe » s’est réuni et il a été décidé d’accélérer habilement l’effondrement financer mondial, l’ennui c’est que les choses sont allées un peu plus vite que prévu... Aujourd’hui, nous sommes à la veille du clou du spectacle, l’apothéose : tout va nous péter la gueule, Oliver, il faut que tu le saches et je te le dit, car tu es mon ami.... »
Woodenheimer commença à s’agiter :
« Comment ça tout ? Les gens comme toi et moi retombent toujours sur leurs pattes surtout grâce aux bons tuyaux du « groupe ! »
Les gens comme moi ? Oui ! Mais cette fois, pas les gens comme toi ! Comprends-moi bien, Frankie, je suis venu sauver ta peau, pas prendre l’air au bord de ton foutu étang...
Tu me parles, là, d’un krach boursier majeur ?
Non, Oliver tu ne saisis toujours pas, je te parle DU krach, non pas un événement presque soudain comme en 29, que l’on pouvait peut-être anticiper à quelques semaines près, mais d’un tsunami financier, d’un effondrement total, quelque chose de plus lent, de plus sournois qui a mis des mois à arriver, mais qui au final, est bien plus violent ! 1929 c’était une varicelle, 2008, c’est un cancer !
Tu me fais peur ! » murmura Oliver, songeant sûrement aux caisses de vin français qui lui avaient coûter si cher...
« Et tu as raison d’avoir peur !
Mais que peut-on faire, qu’as décidé le « groupe » ?
Laisser faire…
Laisser faire le krach ? » s’étonna le sénateur.
« Oui laisse faire, dans une certaine mesure, évidemment !
Qu’avez vous derrière la tête ?
On ne peut stopper la machine, elle est lancée, elle ne s’arrêtera pas.
C’est pour quand ?
Voilà enfin une question intelligente ! » se réjouit Penkin.
« Je ne sais pas, tout peut aller très vite, ça n’est qu’une question de mois... »
Le silence se fit, Penkin faisait mine de goûter au calme de la campagne, pendant que Woodenheimer, ébranlé, regardait fixement la surface des flots.
Soudain, il se reprit et d’un vif coup de poignet, rempli le verre vide de son ami, puis rompit le silence :
« Tu n’as pas répondu à ma question : qu’avez vous derrière la tête ?
L’Iran, Frankie, la putain d’Iran !
Quoi l’Iran ? Quel rapport avec le krach ?
Tu penses bien qu’après la stupeur et une fois que tous les experts que nous payons grassement à répandre des analyses bidons auront vidé leurs sacs de bille sur les plateaux télé, les gens, même les plus cons vont demander des comptes ! Et vers qui crois-tu qu’ils vont se tourner ?
Vers des gens comme moi... » dit timidement le sénateur.
« Oh oui mon petit Frankie les gens comme toi, les élus, les maires, les secrétaires d’états, les ministres, les présidents, que sais-je ! Le moindre crétin nantis d’un quelconque pouvoir politique se verra submerger de questions ! Et crois-moi que les coups risquent de pleuvoir !
Il faut faire quelque chose Frankie, ça sent le lynchage ! »
Woodenheimer vida son verre d’un trait et se resservit.
Penkin reprit :
« Et c’est là que l’Iran entre dans la danse ou plutôt que nous allons faire danser l’Iran ! Plutôt que de nous mettre à dos les populations, nous allons habilement focaliser l’attention du public sur les barbus, les gens sont bien plus friands de responsables clairement identifiables que de devoir comprendre les mécanismes compliqués de l’économie et les gourous qui en tirent les ficelles et dont ils n’ont, pour la plupart, jamais vu les gueules...
Mais comment faire cela ? ...Habilement, tu disais ?
Tu te souviens de l’incident des ogives l’été dernier ?
Les ogives nucléaires perdues puis retrouvées ?
Six ogives nucléaires W80, armées sur des missiles de croisière AGM 129 ont été trimballées de notre base de Minot dans le Dakota du nord vers la base de Barkdale en Louisiane.
Tu as l’air très au courant !
Dans les moindres détails, Frankie, j’ai participé à l’élaboration de cette opération ! On a fait décoller un B 52, les pilotes n’en savaient rien, mais ils trimballaient des armes de destruction massive qui auraient fait baver d’envie feu notre ami Saddam ! Ensuite, on a laissé la cargaison des bombardiers sans surveillance, plusieurs heures sur la piste d’atterrissage.
Et les six ont été récupérés et ça a fait du bruit en haut lieu ! » répliqua Woodenheimer.
« Tu parles ! Nombreux étaient les militaires qui n’étaient pas au courant et qui ont flippé à l’idée de devoir rendre des comptes, ceux qui étaient trop curieux et bien...Euh...Disons que le « groupe » a fait en sorte qu’ils le soient moins... On a rembarqué les ogives et personne n’a plus parlé de cette histoire...Enfin, on a rembarqué cinq ogives...
Pourquoi cinq ? Et la sixième ?
Un peu de patience, mon ami ! Le mois dernier, on a soulagé l’Irak de 550 tonnes de yellowcake et...
yellowcake ?
C’est un concentré d’uranium, une poudre insoluble dans l’eau et qui contient environ 80 % d’uraninite. Il sert à la préparation de combustible pour les centrales nucléaires. Il peut être aussi enrichi dans la perspective de la fabrication d’armes nucléaires. C’était le fruit des travaux des scientifiques irakiens sous Saddam. On l’a transporté par avion, vers notre base de Diego Garcia dans l’océan indien puis en bateau au Canada, où une entreprise spécialisée est chargée de son exploitation. Mais là, encore tout n’a pas été acheminé vers la destination finale, une certaine quantité a rejoint la sixième ogive manquante...
Où ça ?
Quelque part...
Le « groupe » ?
Oui, c’est le « groupe » qui les détient.
Qu’est-ce que le « groupe » veut faire de ces merdes ?
Voyons Frankie, il nous faut bien un prétexte pour attaquer l’Iran, tu sais, notre nouveau bouc émissaire...
Encore une fois, dis-m’en plus !
Et bien, il y a deux cas de figures : les plus modérés, au sein du « groupe » pensent qu’avec le Yellowcake subtilisé, on peut fabriquer une bombe sale, qu’on ferait péter dans une ville moyenne américaine, on limite ainsi les dégâts, les partisans d’une ligne dure pensent plutôt à faire carrément péter l’ogive subtilisée...
Hein ! Tu plaisantes Oliver ? » lança Woodenheimer, de plus en plus agité.
Penkin haussa les sourcils l’air surpris, puis son regard devint diabolique :
« Imagine l’impact sur l’opinion américaine et mondiale, toutes les portes s’ouvriront, tout sera permis, un 11 septembre de rêve... Cette fois, nous jouirons d’une totale liberté pour agir ! Et pour longtemps !
Agir, donc attaquer l’Iran ?
Ce que je peux te dire c’est que depuis 2003, le Pentagone a minutieusement sondé le territoire iranien à travers l’envoi de petits commandos des forces spéciales et à travers l’envoi de micro drones de quelques centimètre d’envergure... Bien sûr, c’est moi qui les vend à l’armée... On connaît maintenant chaque mètre carré de leur territoire, du moindre poil de barbe des imams jusqu’à la moindre fibre de leurs putains de tapis persans...
Alors ? Invasion ?
Qui parle d’invasion ? Tu as déjà vu une carte de l’Iran ?
Non.
Normal, tu es américain, la géographie c’est pas ton fort... Non pas d’invasion, une savant largage de tout ce que nous avons sous la main, avec cerise sur le gâteau des mininuke... A voir ta tête, on voit que tu ignores ce que c’est ! Tu n’étais pas dans la commissions sur la défense au Congrès ?
Si, mais bon tu sais ce que c’est, on vient aux débats, on mange, on signe quelques documents, le président de la commission fait un speech et puis voilà quoi... » répondit le sénateur, un peu gêné...
« Au départ, il s’agissait de ’’David Crockett’’, la plus petite arme atomique mise au point, d’un poids de trente kilos, on l’avait conçu dans les années soixante pour détruire les concentrations de troupes soviétiques, depuis on a fait des gros progrès et créé des Mininuke.
Je crois avoir lu un truc à ce sujet, ce sont des mini armes atomiques tactiques ?
Oui c’est ça, tu vois quand tu veux ! Frankie ! Et c’est l’idéal pour bousiller les installations nucléaires iraniennes !
Et la radioactivité dans tout ça ?
Ne t’inquiète pas : d’après les météorologues du Pentagone, les nuages radioactifs se dirigeraient vers l’ouest, aucune chance pour qu’ils ne se rabattent vers les puits de pétrole du Golfe...
Je pensais surtout a Billy !
Ton fils est toujours en Irak ?
Oui, il termine son contrat au printemps 2009... Petit con, je lui avais interdit d’aller là-bas ! Y’a des gens pour ça ! Tu penses que les iraniens vont riposter ?
Bien sûr ! On leur laissera de quoi s’agiter et faire péter quelques bateaux dans le détroit d’Ormuz, histoire de justifier l’inévitable pic pétrolier... Quand nos chers concitoyens ne pourront plus remplir leur réservoir qu’à prix d’or, ils nous reprocheront d’avoir été si tendre avec l’Iran !
Et si malgré tout, les gens se révoltent ?
Tu penses bien que dès que l’atome aura ravagé une innocente ville américaine, le président ordonnera l’application de la National Security & Homeland Security Presidential Directive, avec imposition de la loi martiale, annulation du gouvernement constitutionnel, fermeture du sénat et du congrès, les pouvoirs de justice et d’application de la loi seront confiées à l’armée, annulation des élections, etc.
Mais je vais perdre mon job ! » s’indigna Woodenheimer.
« Tu préfères perdre ton job ou voir un meute de connards venir te casser la gueule et brûler ta baraque ? »
Le soleil se couchait et la fraîcheur de la nuit allait bientôt chasser l’air chaud du jour.
La bouteille était vide.
« Dis-moi, Oliver, l’innocente ville cible américaine, c’est laquelle ?
Tu m’en demandes trop Frank, mais je serais toi, je ferais mes valises, il ne fera pas bon vivre ici dans quelques semaines... Au fait, tu sais que la radioactivité permet la datation du vin ?
Non ? ! Dis-m’en plus, Oliver ! »
James G.