Depuis près d’un an, les rares spécialistes français de la sécurité des mines d’uranium dans le nord du Niger tiraient la sonnette d’alarme auprès des autorités françaises. Ils n’ont pas été entendus et la vive colère de Nicolas Sarkozy, après l’enlèvement des otages, n’y changera rien. Voici les éléments permettant de mieux comprendre la situation.
Depuis 2007, plusieurs incidents avaient été signalés, d’abord dans le nouveau site d’Imouraren (aujourd’hui très sécurisé) puis à Arlit, la mine "historique" à 80 kilomètres plus au nord. Deux tentatives de prises d’otages ont eu lieu, en 2008 et 2009, mais elles se sont à chaque fois vite et bien reglées avec "nos amis touaregs", indique une source. Pourtant les signaux passaient au rouge les uns après les autres : ainsi, le dernier enlèvement, qui concernait un géologue de réputation internationale, n’avait eu lieu qu’à cinq kilomètres hors du périmètre en principe sécurisé de la ville d’Arlit.
Localement, Areva confie la sécurité de ses sites aux forces armées du Niger, la police et l’armée. Environ 350 hommes sont déployés à Arlit, auquel s’ajoutent des vigiles. Ceux-ci ne sont pas armés. Areva comme le Niger ne veulent pas de sociétés militaires privées. Même si Areva aide les forces armées du Niger en leur fournissant des véhicules ou des postes de radio, par exemple, "celles-ci n’ont pas forcément toutes les capacités voulues", assure une source.
Une petite équipe française est présente sur place pour conseiller Areva en matière de sécurité. Elle est fournie par la société Epée, dirigée par le colonel Jacques Hogard, un ancien du COS. Sur place, le colonel Benoit de Rambures dirige une petite équipe formée d’anciens légionnaires du 2ème REP et d’un colonel à la retraite de l’armée nigerienne.
Après la dernière tentative d’enlèvement en octobre 2009, un constat s’imposait : la menace militaire devenait très sérieuse. A plusieurs reprises, les autorités françaises sont alertées, mais les choses traînent. Aucune réunion sérieuse, impliquant les différents partenaires (industriels, DGSE, état-major, Quai d’Orsay, Elysée...) n’a lieu. "On l’attend toujours" regrette un proche du dossier. Certes, l’Elysée décide, dans la plus grande discretion, la mise en place d’un plan d’aide militaire aux pays du Sahel. Un détachement d’une centaine d’hommes du COS est d’abord dépêché en Mauritanie, sur la base d’Atar, pour y former les Groupes spéciaux d’intervention (GSI), ceux-là même qui, depuis cet été, portent des coups sérieux à AQMI. L’idée est d’élargir cette formation au Mali voisin, puis au Niger.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la mort de Michel Germaneau, en juillet, n’accélère pas les choses. Le message est pourtant clair : AQMI est un adversaire sérieux et déterminé, qui intervient dans le nord du Niger. Là où la France a des intérêts stratégiques évidents, avec les mines d’uranium et ses expatriés. A tout prendre, le secteur est beaucoup plus stratégique pour la France que l’Afghanistan.
Pour les terroristes d’AQMI, les mines d’uranium sont comme "un pot de miel" qui, tôt ou tard, devaient les attirer. D’autant que la ville d’Arlit, très vaste, est ouverte sur le désert, même si les maisons des expatriés sont gardés par des veilleurs de nuit... sans armes ! Ni l’armée, ni la police du Niger ne sont à même de traquer les bandes d’AQMI qui opèrent à la manière de forces spéciales : un raid monté à partir de bons renseignements.
C’est exactement ce qui est arrivé la semaine dernière. Bénéficiant de complicités en ville et au sein même du personnel des entreprises, les gens d’AQMI souhaitaient enlever une équipe franco-japonaise de passage sur le site. Las, des difficultés de dernière minute, liées en partie à la mauvaise météo, ont bouleversé le calendrier et AQMI a dû se contenter de plus petits personnels, enlevés sans difficultés apparentes.
Les experts de la sécurité pensent que seules des forces spéciales - dont le Niger ne disposent pas pour l’instant - pourraient s’opposer efficacement aux bandes d’AQMI. Certains plaidaient ainsi pour que la France dépêche un petit détachement du COS dans la région d’Arlit : une cinquantaine d’hommes, deux hélicoptères, des véhicules, des moyens de vision nocturne, etc. Pas seulement pour intervenir contre AQMI, mais également pour former l’armée nigerienne, comme cela se passe en Mauritanie. Certes, des équipes du 11ème Choc (service action de la DGSE) ont fait - et font - des reconnaissances dans la région, mais leurs moyens sont, somme toute, limités.
Pourquoi cela ne s’est-il pas fait ? Essentiellement parce que le Niger est un pays "difficile" au plan politique. Les militaires y ont fait un coup d’Etat en fevrier dernier et pris le pouvoir en renversant le président Tandja, à la suite d’un référendum contesté. Le "politiquement correct" diplomatique n’aime pas cotoyer les militaires putschistes ! Plusieurs mois ont été ainsi perdus, puis l’été est arrvivé... Et désormais, cinq de nos compatriotes (ainsi qu’un Togolais et un Malgache) sont entre les mains d’AQMI. A la guerre, car c’est d’une guerre dont il s’agit, le temps perdu est difficile à rattraper.