" Les Français subiront leur sort, ils seront mis, un jour, à la sauce vinasse... Ils le sont déjà. Pas d’erreur !... Le conquérant doit être sûr de ses esclaves en tous lieux, sordidement soumis, il doit être certain de pouvoir les lancer, au jour choisi. Parfaitement hébétés... dociles...gâteux de servitude, dans les plus ronflants, rugissants fours à viande...sans qu’un seul poil de ce troupeau ne se dresse d’hésitation, sans qu’il s’échappe de cette horde le plus furtif soupçon de plainte... Le cheptel gravit d’ailleurs admirablement, il faut le dire, tous les calvaires qu’on lui présente, il monte au crématoire fort bien, tout seul, simplement stimulé par les exhortations, les hurlements de la galerie c’est entendu. Ce miracle est devenu banal, il a lieu chaque jour depuis le commencement des siècles, des tyrannies et des guerres... mais tout se passe encore bien mieux, bien plus admirablement, plus spontanément, vertigineusement pour tout dire quand les organisateurs peuvent amorcer, préparer, bercer le grand sacrifice dans les buées de quelques philtres, de quelque magie pourriture chimique bien tassée, quelque solide, constant, indéfectible, économique poison nervin, pour nous Français, notre vinasse... Alors, c’est du plein billard ! Du Paradis de charnier sur terre, on gagne en tout, sur tout, en surface comme en profondeur... D’un côté l’abattoir, on le pomponne et l’apprête... de l’autre côté l’on distille à pleins tuyaux, muids, péniches... Les banques sont heureuses, on presse, on filtre, on souque, à tout cabestan !... L’instinct fait le reste... Toujours là, présent, tapi, l’instinct, immanquable, l’instinct de Mort, au fond des hommes. Au fond des races qui vont disparaître, l’instinct dont on ne parle jamais, qui ne parle jamais, le plus tenace, le plus solide, impeccable, l’instinct muet... Lui qui n’est jamais ivre, attend, entend... Que d’affiches ! Que de promesses ! Que d’euphories !... La démagogie tonitrue, explose !... C’est la foire ! Le grand carnaval du verbe mentir... Écoutez ces valets de torture ce qu’ils hurlent à pleins mensonges devant leurs victimes... Ils ont des mensonges plein la gueule :"Que veut le peuple ?"Du travail ?Et du pain ?...Main non ! Fumiers !Et vous le savez bien !Le peuple exige du loisir et de la vinasse !!
Louis Ferdinand Céline
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