Jonathan Conricus est le porte-parole de l’armée israélienne, que les médias occidentaux relayent complaisamment, comme si c’était l’attaché de presse d’un événement culturel. En cela il rappelle le porte-parole de l’OTAN pendant les bombardements antiserbes en Yougoslavie, Jamie Shea, qui apparaissait chaque jour sur toutes les télévisions européennes pour expliquer l’avancée, à coups de destructions, de la démocratie dans le pays de Slobodan Milošević. En 1999, la Serbie fait partie de l’axe du Mal, pour l’axe américano-sioniste. Deux décennies plus tard, le scénario se répète avec le nouveau conflit ouvert israélo-palestinien. La Palestine fait partie de l’axe du Mal concocté par les sionistes.
Jeudi 13 mai 2021 au soir, Conricus annonce que des troupes israéliennes sont entrées dans l’enclave de Gaza – un camp de concentration de deux millions de Palestiniens – pour une intervention terrestre doublée de bombardements aériens. Mais le porte-parole a été trop vite en besogne : la pénétration dans le camp n’a pas eu lieu, ou pas encore. Alors, précipitation ou préparation ? Précipitation du camp israélien qui veut en finir avec le Hamas, ou préparation des opinions publiques occidentales à l’accélération de la ratonnade en cours ?
On parle de ratonnade, et c’est le cas : des Arabes israéliens ont été lynchés par des juifs israéliens.
Ratonnade en direct à la télévision israélienne. https://t.co/XKgc4XQl0Y
— Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) May 12, 2021
Un point sur les Arabes israéliens, qui sont aujourd’hui la cible des ultranationalistes israéliens, autrement dit l’extrême droite juive raciste.
Sans entrer dans Gaza, les bombardements israéliens, soi-disant ciblés (on prévient les habitants des immeubles 30 minutes à l’avance), ont déjà fait plus de 100 morts, dont un quart d’enfants. Des enfants chefs militaires du Hamas ? Mais revenons en arrière, avec une information passée presque inaperçue, et qui pourtant peut expliquer en partie la situation actuelle.
Coïncidence chronologique
Le 9 mai 2021, un article de Sputnik annonce qu’« Israël organise les plus grandes manœuvres de son histoire ».
Le 9 mai, suite à une décision de la Cour suprême d’Israël d’expulser des Palestiniens de Jérusalem-Est, des manifestations ont lieu, qui sont réprimées dans le sang par les forces de l’ordre israéliennes (300 blessés palestiniens). Le 9 toujours, sur l’esplanade des Mosquées, les échanges se font plus durs entre musulmans et police juive. Le 10 mai, le cycle infernal reprend : le Hamas répond à la violence de la répression par des tirs de roquettes, l’armée israélienne enchaîne avec des bombardements massifs et meurtriers. Voilà pour la chronologie.
« Prises au premier degré, les manœuvres étudient différents scénarios, de la guérilla urbaine à la bataille frontale. Tous les organes sécuritaires, les ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Intérieur, sont également sollicités. Le chef d’état-major israélien entend améliorer la coordination et la liaison entre tous les secteurs de l’armée. Depuis deux décennies, des manœuvres similaires sont organisées entre Israéliens et Américains. Mais pour Alex Issa, ce n’est pas nécessairement l’exercice en tant que tel qui préoccupe les ennemis d’Israël, mais plus « son timing et son ampleur. » En effet, depuis plusieurs semaines, les tensions sont à leur comble dans la région. »
On le sait : la fragilité de la coalition au pouvoir « oblige » à refaire l’unité du pays sur le dos des Arabes locaux et des Palestiniens. C’est par la peur – opportunément entretenue – que la droite israélienne a toujours gouverné. Chaque affaiblissement politique interne mène à un durcissement de la politique antipalestinienne.
« À chaque fois qu’il y a des élections ou des problèmes internes, le gouvernement israélien procède à une démonstration de force militaire, dans une logique de sécuritisation. C’est un message politique aux Palestiniens, et notamment au Hamas, pour leur faire comprendre qu’Israël n’hésiterait pas à intensifier l’usage de la force armée si nécessaire », conclut Alex Issa.
Du côté du Hamas, le problème est aussi politique, explique La Croix :
Le Hamas, qui espérait une victoire dans les urnes, tente aujourd’hui de s’imposer en militarisant la confrontation pour mieux la récupérer. Le mouvement islamique, qui a mené trois guerres avec Israël, cherche ainsi à combler le vide politique. « La résistance est prête », a prévenu le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, appelant les forces israéliennes à se retirer de l’esplanade des Mosquées, théâtre de heurts entre policiers israéliens et manifestants palestiniens. Confronté à ses propres défis dans la bande de Gaza, soumise à de multiples crises humanitaires et à une gestion calamiteuse, le Hamas peut compter sur son arsenal de roquettes pour surenchérir.
Le problème, c’est qu’Israël devra peut-être se battre sur plusieurs fronts extérieurs (Syrie, Iran, Liban), plus le front intérieur. Mais nous n’en sommes pas encore là, malgré les incursions de l’aviation dans le ciel syrien. Pour l’instant, la nouvelle crise israélo-palestinienne surgit en pleine manœuvres de l’armée et du renseignement, ce qui permet de « travailler » en situation réelle. Mais alors, si le conflit arrange l’armée israélienne et le pouvoir de Netanyahou, nettement décrié, pourquoi le Hamas est-il entré dans un cycle attendu de représailles – donc de victimes civiles – en tirant des centaines de roquettes ?
Une triangulation étonnante
C’est là où le spécialiste du Proche-Orient Wassim Nasr nous offre dans Libération, sans le vouloir, une piste.
Ceux qui connaissent un peu la structure d’Al-Qaïda savent que la nébuleuse terroriste est justement très nébuleuse, suffisamment pour qu’au milieu de groupes sincèrement anti-américains ou antisionistes se glissent des groupuscules manipulés. Un principe que maîtrise le renseignement militaire algérien qui a infiltré, bien avant la décennie de sang (1989-1999), certains groupes – qu’on appellera plus tard GIA – qui avaient fait la guerre d’Afghanistan contre les Soviétiques (1979-1989). Pour le dire plus simplement, Al-Qaïda peut servir des intérêts très divergents. C’est pourquoi on a retrouvé la nébuleuse, ou certaines de ses excroissances, opposées au pouvoir d’Assad pendant la guerre de Syrie... et donc objectivement dans le camp américano-sioniste.
Bref, Al-Qaïda est un gruyère, ou un fourre-tout, une entité terroriste qui permet de frapper partout sur le dos de djihadistes sincères, puisqu’il y en a, sans porter ici de jugement de valeur sur ce combat anti-impérialiste. Nous nous retrouvons donc avec un conflit qui
1 – arrange les affaires intérieures d’un pouvoir israélien en grande difficulté,
2 – a lieu pendant de grandes manœuvres militaires qui tombent pile poil pour le pouvoir répressif de Tel Aviv,
3 – est déclenché officiellement par le Hamas, mais plus précisément par des forces incontrôlables par le Hamas, donc des groupes manipulables par des services de renseignement.
De là à dire que l’escroc notoire Netanyahou joue avec le curseur de la guerre – et donc les victimes civiles et militaires des deux camps – pour sauver son trône, il n’y a qu’un pas.