Cette émission aussi étonnante qu’honnête de la part de France Culture trouve un écho certain dans la campagne présidentielle 2017. Nous sommes le 13 mars 1983, à Roubaix, et les élections municipales vont porter, comme d’habitude dans cette grande ville du Nord (on dit Hauts-de-France) la gauche au pouvoir. Elle y est d’ailleurs depuis 1912...
Sauf que, sauf que, une nouvelle donnée vient tout chambouler : l’immigration. Certes, l’immigration est consubstantielle de Roubaix, mais pas l’immigration extra-européenne, ce qui changera tout. Nous sommes pourtant en 1983, en plein socialisme, et même si la vague rose est passée, la gauche tient encore de nombreuses grandes villes, que ce soit par le PC ou le PS.
Sur le schéma qui suit, alors que le FN était inexistant électoralement dans les années 70, on note que les voix qui ont manqué à la gauche se retrouvent dans le parti national...
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La défaite à Roubaix, dès le premier tour, de la liste de la gauche aux élections municipales de 1983 est perçue comme un véritable coup de tonnerre tant la ville était considérée jusque-là comme la « ville sainte du socialisme ». Jean Lebas en avait été le maire de 1912 jusqu’à sa révocation par Vichy, et son successeur, Victor Provo, avait quant à lui réussi à être maire de 1942 à 1977 à la tête d’une coalition de type troisième force, alliant socialistes et centristes, dont le démocrate-chrétien André Diligent qui sera le vainqueur du scrutin de 1983.
Dans ces conditions, comment expliquer cette défaite historique ?
Incontestablement, la crise a joué un rôle déterminant. François Mitterrand, lors de sa venue à Roubaix en avril 1983, qualifiera Roubaix de « ville en péril, de ville en détresse ».
La question migratoire est aussi au cœur de la campagne. Traditionnellement, Roubaix est une ville d’immigration mais la crise économique exacerbe les tensions. La création en 1982 d’une association appelée « Les chevaliers de Roubaix » qui entend promouvoir l’autodéfense et organise pour cela des patrouilles la nuit dans la ville, a contribué à faire de l’insécurité un thème pour les élections à venir. La liste intitulée « Roubaix aux roubaisiens » qui se déclare « apolitique », n’en reprend pas moins les thèmes traditionnels du Front national, établissant un lien entre immigration, chômage et insécurité. Le candidat de la droite, André Diligent, le dira durant la campagne : « Roubaix est malade de la peur ».
Le maire sortant mise quant à lui sur son bilan, en particulier dans le domaine de la lutte contre l’habitat insalubre. Son affiche de campagne le représente ainsi casque sur la tête en train de visiter un chantier. L’opération engagée dans le quartier de l’Alma gare, l’un des plus déshérités de la ville, est présentée comme l’un des symboles de l’action volontariste de la municipalité. La réception de cette politique auprès des quartiers populaires est toutefois très limitée. La question de la rénovation urbaine a ainsi ouvert le débat sur l’entrée des familles immigrées dans les HLM sans que pour autant, la municipalité ne précise réellement ses choix en matière de politique de peuplement. Le climat de xénophobie est particulièrement visible dans les quartiers où la population d’origine étrangère atteint parfois les 40%. Surnommé « Ben Prouvost » dans des tracts anonymes, le maire est suspecté de privilégier les habitants d’origine étrangère.