Un nouveau radar d’alerte avancée d’attaques de missiles a été mis en service en Russie. Moscou colmate les trous dans sa défense aérospatiale suite à une nouvelle détérioration des relations russo-américaines.
Le président russe Dmitri Medvedev a ordonné mardi la mise en service dans l’enclave de Kaliningrad de la station radar destinée à avertir d’éventuelles attaques de missiles. La mise en service de la station radar prévue depuis longtemps n’a pas été officiellement présentée comme étant dirigée contre l’Occident, mais comme faisant partie de l’ensemble des mesures de réponse asymétrique au déploiement unilatéral du bouclier antimissile (ABM) américain en Europe.
"J’espère que la station radar fonctionnera correctement et accomplira toutes les tâches qui lui sont assignées", a déclaré le président russe en félicitant le personnel de la station à l’occasion de la mise en service du radar en mode opérationnel.
Le radar "Voronej" de Kaliningrad
La station était au stade des essais depuis le début de l’année et sa mise en service à part entière était prévue pour décembre. Le radar est prévu pour couvrir le secteur européen.
Le radar de Kaliningrad en mode opérationnel fait partie de ce qu’on appelle les stations radar préfabriquées Voronej-DM.
Le terme "préfabrication" signifie que l’usine produit le radar sous la forme de modules préfabriqués (23 pièces d’équipements), ce qui permet son montage relativement rapide (12-16 mois) sur son site aménagé. Les radars soviétiques plus anciens se présentaient sous la forme de grands bâtiments en béton où l’on installait des éléments radiotechniques (jusqu’à 4.000 unités d’équipements), ce qui demandait parfois plus de 5 ans pour la mise en service de la station.
Il est possible de moderniser et de réaménager (grâce à l’installation de nouveaux modules) la station radar préfabriquée assez rapidement, et de la démonter, reployer et transporter sur un autre site en cas de nécessité. La modernisation des anciens radars étaient difficile, coûteuse et limitée par les contraintes imposées par le bâtiment (avec toutes les difficultés liées à l’installation des équipements et à la mise en place les communications), et il était impossible de la déménager.
Le coût de la fabrication et du montage de Voronej clé en main, selon les sources ouvertes, est inférieur à 1,5 milliard de roubles (environ 37 millions d’euros), selon les prix de 2005. A titre de comparaison, le radar "classique" subhorizontal de type Darial (qu’on trouve, par exemple, à Petchora et à Gabala, en Azerbaïdjan) aurait coûté 19,8 milliards de roubles (environ 480 millions d’euros) à prix constants.
Le colmatage des trous d’une passoire
Hormis le radar de Kaliningrad, deux autres stations Voronej sont en service en Russie. La première (Voronej-M) dans la localité de Lekhtoussi dans l’isthme de Carélie (frontière russo-finlandaise) couvre l’Atlantique Nord. L’autre se trouve à Armavir, dans la région de Krasnodar, dans le Sud de la Russie, et couvre les axes sud et sud-ouest (et sud-est à partir de 2012 après la mise en service du second segment). Une station radar supplémentaire (Voronej-VP) sera prochainement mise en service dans la région d’Irkoutsk, en Sibérie, et sera destinée à couvrir l’axe est.
Hormis ces nouvelles stations, le système russe d’alerte d’attaques de missiles utilise tout un ensemble de moyens de détection radar hérité de l’Union soviétique. Les particularités de l’utilisation opérationnelle et les accords internationaux de l’époque forçaient à installer des radars sur le pourtour du territoire soviétique. Par conséquent, après l’effondrement de l’URSS en 1991, la majorité des radars se sont retrouvés à l’étranger.
En fait, parmi les radars modernes en service sur le territoire russe il ne restait que la station Darial à Petchora, déployée en direction du Pôle Nord, et la station modernisée Dniepr/Daugava près d’Olenegorsk, orientée sur le Groenland.
Sur l’axe ouest se trouvent seulement les radars inachevés de type Darial-UM à Skrunda, en Lettonie, et de type Volga à Gantsevitchi, en Biélorussie. Il était impossible de terminer la construction et de mettre en service la station en Lettonie, et l’installation inachevée a été détruite en 1995.
L’achèvement de la construction de la station biélorusse a pris beaucoup de temps et le radar a été mis en service en automne 2003. Actuellement, pour autant qu’on puisse en juger, le cas échéant la station Volga devrait être remplacée par le radar de Kaliningrad officiellement lancé mardi.
Le puissant centre radar près du lac Balkhach (Kazakhstan) n’a jamais été achevé (plus tard il a été pillé puis brûlé), et seules des stations plus anciennes sont en service au Kazakhstan.
Les radars du même type, déployés en Ukraine à Moukatchevo et à Sébastopol, se trouvent sous le contrôle de Kiev. Ils étaient utilisés par les militaires ukrainiens, et les informations recueillies étaient envoyées au commandement central des troupes de missiles stratégiques (RVSN) russes conformément à un accord bilatéral. En 2008, la Russie a renoncé à l’utilisation de ces stations qui sont progressivement démantelées.
A la charnière des années 1990 et 2000, il y avait des fissures béantes dans le réseau radar russe, et seulement aujourd’hui on commence à constater certains résultats du travail acharné pour les colmater.
Par coïncidence, la mise en service de nouveaux radars a commencé pratiquement en même temps que les relations entre Moscou et Washington se sont détériorées à cause de la composante européenne de l’ABM américain global.
Le radar n’est pas dirigé contre l’Occident
Le gouvernement russe a profité de la mise en service prévue du radar de l’enclave de Kaliningrad afin de rappeler une nouvelle fois aux Etats-Unis la nature des différends au sujet de l’ABM et les éventuelles conséquences du refus de tenir compte de l’opinion de Moscou.
"J’espère que cette action sera interprétée par nos partenaires occidentaux comme le premier signal de l’aptitude de la Russie à répondre adéquatement aux menaces de l’ABM pour ses forces nucléaires stratégiques", a déclaré mardi le Dmitri Medvedev.
Cependant, le président russe a fait remarquer que la station radar n’était pas dirigée contre les partenaires occidentaux de la Russie, et pourrait être utilisée pour parer conjointement des menaces communes.
Toutefois, le contexte global des consultations bilatérales sur les questions de stabilité stratégique demeure très tendu. La Russie réagit brutalement à toute initiative américaine en ce qui concerne la composante européenne de l’ABM américain en exigeant la concertation préalable de ces actions, en raison des menaces liées au projet américain, selon les autorités politiques et militaires de Moscou.
"Si notre message n’était pas entendu, comme je l’ai dit le 23 novembre, Moscou déploierait d’autres moyens de défense, prendrait également des mesures strictes de rétorsion et procéderait au déploiement de son groupe offensif", a déclaré le président russe pendant la réunion avec le commandement des forces armées après la mise en service officielle de la station radar.
Parmi les mesures annoncées la semaine dernière, le président russe a mentionné le renforcement de la protection des sites des forces nucléaires stratégiques, la modernisation des missiles balistiques en les équipant des ogives plus sophistiquées, ainsi que le déploiement possible dans les zones menacées (dans le sud et l’ouest du pays) de dispositifs d’attaque dirigés contre les composantes de l’ABM en cours de création.