Dans « La vérité sur la crise », Morad El Hattab nous avait offert une somme résumant les aspects de la crise, parlant des excès de la finance, revenant sur l’histoire des crises, et décrivant l’impasse de l’Europe. Dans « Kriz », il revient sur les développements des deux dernières années.
Une crise dont nous ne sommes pas sortis
Si nous sommes sortis du gros de la première phase de la crise, fin 2008, début 2009, Morad El Hattab et Philippe Jumel expliquent bien que nous sommes sur une phase intermédiaire, qui nous mènera inexorablement à une nouvelle phase. Ils citent l’ancien PDG de Citigroup pour qui « si vous restez assis devant une bulle que vous voyez trop risquée, vos clients sont furieux du manque à gagner et s’en vont », une autre version des esprits animaux de Keynes.
Ils démontent l’argument selon lequel nos traverserions une crise des dettes souveraines. Si cela vaut pour la Grèce, ils soulignent la responsabilité des marchés qui lui prêtaient de manière laxiste. Ils rappellent que cela n’est pas le cas pour l’Espagne à l’origine et que l’Italie avait déjà l’excédent primaire le plus élevé d’Europe et que ses ménages sont « des fourmis peu endettées ». Pour eux, « cette crise provient des grandes déréglementations des années 1980 ».
Ils expliquent très clairement le rôle des ratios prudentiels et des agences de notation, soulignant que les 8% théoriques de fonds propres variaient en réalité entre 1,6 et 12% en fonction de la note de l’actif concerné. Avant la crise, un actif grec ne nécessitait ainsi que 1,6% de fond propre selon les normes bancaires internationales… Ils évoquent l’étude de la Banque d’Angleterre de David Miles, pour qui il faudrait passer entre16 et 20%, soit les chiffres d’il y a un siècle !
Ils soulignent justement le rôle des innovations financières dans la crise, et notamment les CDS, dont ils dénoncent le caractère auto réalisateur, le tout dans un système ayant consacré l’aléa moral de la finance, qui dispose d’une garantie implicite des Etats. Pour eux, les bulles sont consubstantielles à la libéralisation de l’économie, comme l’a démontré Clément Juglar. Et malheureusement, tous les ingrédients de la prochaine crise sont déjà réunis.
Les auteurs voient plusieurs solutions pour la sortie de la crise : le retour aux monnaies nationales, la séparation des banques entre dépôt / crédit et affaires, le strict contrôle du shadow banking et de l’effet de levier, l’interdiction des LBO (qui permettent aux fonds de faire financer par l’entreprise qu’ils rachètent le coût du rachat), l’interdiction des CDS et le contrôle très strict des dérivés. Ils en appellent à un « protectionnisme financier » pour se protéger.
L’Europe dans une impasse
Les auteurs ont le courage de défendre des idées minoritaires. Pour eux, « il est tout à fait compréhensible que les Allemands exigent les verrous institutionnels ». Ils affirment également que les investisseurs « ont pour mandat de fuir les risques, tous les risques, c’est à dire, par exemple, les Etats de l’Europe du Sud ou les banques européennes ». Ils incriminent donc le château de carte économique et financier européen plutôt que le comportement des marchés.
Ils détaillent également l’incroyable bulle financière et immobilière irlandaise, la pyramide de dette (près de 300% du PIB pour tous les acteurs), les incroyables garanties apportées par l’Etat (trois fois le PIB !), l’engagement de la BCE à hauteur de 110% du PIB du pays. Ils sont le signe d’un système financier hypertrophié, dont les actifs ont représenté dix fois le PIB, attiré par le faible taux d’imposition et parvenant à attirer 7% des hedge funds mondiaux !
Les auteurs ont une lecture lumineuse de la crise de la zone euro. Pour eux, les pays du Sud en sont là, « parce qu’ils ne peuvent plus emprunter dans leur monnaie nationale », comme les pays asiatiques il y a 15 ans. Cela explique la meilleure situation de la Grande-Bretagne, qui emprunte nettement moins cher que la France malgré un déficit largement supérieur, grâce à la monétisation menée par la Banque Centrale du pays (275 milliards de livres, 15% du PIB).
Leur critique des mécanismes européens est sévère : pour eux, le FESF est « une sorte de CDO, innovation financière des sorciers de Wall Street ». Ils soulignent que l’Allemagne dicte son agenda à l’Europe mais fait passer la pilule en laissant présenter ses idées comme franco-allemandes. Ils soulignent la différence de comportement entre la Fed, pragmatique et soucieuse de l’économie réelle et la BCE, dogmatique et indifférente à l’égard de l’économie productive.
Plus accessible que son précédent ouvrage, ce nouveau livre de Morad El Hattab est une excellente synthèse de la crise actuelle que je vous recommande. A noter qu’elle vient d’un économiste qui nous avait averti en 2008 que tout allait exploser….