Rebondissement. En annonçant avoir déposé plainte contre M6, Souad Merah a révélé de nouveaux éléments d’information à propos de son frère. Décryptage.
La cause est entendue : depuis les évènements de Toulouse-Montauban, l’homme présenté par la police et les médias comme le seul coupable de sept meurtres aurait cultivé une haine à l’encontre de la France. Ce récit a été consolidé par le documentaire controversé de Mohamed Sifaoui, récemment diffusé par M6 : selon le fils Abdelghani et le journaliste algérien, la famille Merah était viscéralement antisémite et hostile aux institutions policières et militaires du pays. Problème : un nouveau témoignage contredit cette version des faits.
S’estimant piégée par l’équipe de M6 qui l’a enregistré à son insu, Souad Merah vient de déposer plainte contre la chaîne du groupe allemand Bertelsmann, le coproducteur Mohamed Sifaoui et son frère Abdelghani. La « fierté » déclamée par Souad Merah faisait allusion, selon son avocat, à la « combativité » de Mohamed Merah lors de l’assaut du RAID – non aux crimes qui lui sont imputés.
Quoi qu’il en soit, Souad Merah a révélé incidemment, lors de ses entretiens avec I-Télé et Le Point, une information inédite à propos de son frère défunt.
Mardi, la chaîne I-Télé a diffusé son interview réalisée par l’agence Tony Comiti : à la fin de l’entretien, la sœur de Mohamed Merah affirme (à 2’25) que celui-ci était disposé à « travailler » avec les services de renseignement français. Dans la voiture qui le dépose à son rendez-vous, mi-novembre 2011, avec l’antenne locale de la DCRI, Merah, de retour du Pakistan, révèle à sa sœur qu’il est prêt à collaborer avec la police.
Mercredi, lors de son entretien avec Le Point, Souad Merah a également affirmé que leur frère Abdelkader, présenté désormais comme un antisémite forcené, avait tenté, dans le passé, de se convertir au judaïsme. Quant à la DCRI, la sœur confirme au journaliste le désir de Mohamed de travailler secrètement avec les fonctionnaires chargés, entre autres, d’infiltrer les réseaux djihadistes. En outre, la proximité « amicale » de celui-ci avec un officier de police lui aurait été révélée par son ex-épouse.
« Quelques jours après le retour de son second voyage au Pakistan, j’ai reçu un appel d’un un homme se présentant comme un officier de police et qui cherchait à joindre Mohamed. Je lui ai répondu qu’il était hospitalisé.
Plus tard, Mohamed l’a rappelé pour prendre rendez-vous avec lui. Quelques jours après cet appel, j’ai déposé mon frère qui était convoqué rue du Rempart-Saint-Étienne (le siège de la Direction régionale du renseignement intérieur, NDLR). Dans la voiture, il m’a dit : “S’ils me proposent de bosser pour eux, je bosse pour eux.” Je lui ai dit : “Tu vas devenir une balance ?” Il ne m’a pas répondu. Mais à son retour de l’entretien, il m’a dit qu’on lui avait “seulement posé des questions sur ses voyages”.
Après la mort de Mohamed, la jeune femme avec laquelle il s’était marié religieusement m’a raconté avoir surpris plusieurs conversations téléphoniques entre cet officier de police et mon frère. Le ton de leurs conversations était amical. »
À ce jour, la Direction centrale du renseignement intérieur – qui avait curieusement tenu ses agents locaux à l’écart lors de l’enquête sur les tueries – dément avoir recruté Mohamed Merah comme informateur. Pourtant, une note interne, rédigée le 21 février 2012 et dévoilée le 31 octobre par Libération, indique que Merah « pourrait présenter un intérêt pour notre thématique en raison de son profil voyageur ». En clair, le jeune homme était vu, selon le QG du Renseignement basé à Levallois-Perret, comme une recrue potentielle et susceptible d’être « immatriculé » pour infiltrer la mouvance intégriste. D’après une source judiciaire, un tel avis est stupéfiant de la part de la DCRI : « Soit c’est de l’incompétence, soit il y avait autre chose derrière. »
Une photo censurée
Autre élément intrigant : comme l’a révélé Libération le 8 novembre, la photo de vidéo-surveillance d’un homme « « grand, baraqué, au teint cuivré » aperçu avec Mohamed Merah avant son départ – en août 2011 – au Pakistan ne figure pas dans le dossier fourni par la DCRI à la justice. Pourquoi cette rétention ? S’agit-il d’un membre présumé d’une cellule terroriste, d’un indicateur de la police ou de l’officier traitant de la DCRI ?
En juillet, Oumma avait déjà souligné, lors de la mise en ligne de notre dossier spécial consacré à l’affaire Merah, que ce policier, dénommé ou surnommé Hassan Loubane, avait été décoré, contre toute attente, de la Légion d’honneur. Le 20 octobre, le quotidien toulousain La Dépêche indiquait, sans en donner l’explication, que cet « agent traitant a été muté sur un territoire d’outre-mer ». Une récompense prestigieuse suivie, en l’espace de six mois, d’une sanction : jamais policier n’aura connu publiquement une telle différence de traitement en un temps aussi court. Pourquoi l’État, dirigé alors par le clan sarkozyste, voudrait-il honorer le travail d’un fonctionnaire avant de l’éloigner, sitôt arrivée une nouvelle majorité au pouvoir, aux confins de son territoire ?
Selon des sources policières qui se sont entretenues avec l’AFP, le policier aurait été muté « pour des raisons de sécurité ». De quelle « sécurité » s’agit-il là ? Celle relative à son intégrité physique, menacée par d’obscurs djihadistes revanchards et proches de Mohamed Merah ? Ou bien celle désignant un quelconque secret d’État, faisant de l’affaire Merah une potentielle menace – à terme – pour les « intérêts fondamentaux de la Nation » ?
Ayant mené son enquête parallèle, Zahia Mokhtari, l’avocate algérienne du père de Mohamed Merah, affirme pour sa part, dans un entretien paru le 21 octobre, que l’officier traitant de Merah, qui s’appellerait en réalité « Hassan Ben Rahou », a été envoyé en « Calédonie sur une décision de la préfecture ».
Au-delà de la concordance de ces témoignages disparates, une seule chose est certaine à ce stade : l’homme de la DCRI en charge de Merah a été soudainement muté en outre-mer pour d’obscures raisons. Seule une enquête indépendante permettrait de lever une partie du voile à ce sujet.
« Crime parfait »
Et alors que la focalisation médiatique se concentre sur son rôle exact vis-à-vis de Mohamed Merah, une collègue de ce policier traitant est passée totalement inaperçue depuis le début de l’affaire : son nom est Magali Bouclier. Elle aussi a reçu la Légion d’honneur pour son travail en amont : cette policière d’encadrement, basée à Levallois-Perret, était l’une des deux personnes envoyées par le DCRI pour faire un « débriefing » de Mohamed Merah à son retour du Pakistan. C’est donc sous son autorité que la note interne faisant état d’un « intérêt » pour le jeune homme, jugé inoffensif, a été rédigée.
Il est impossible de savoir, de source sûre, si Magali Bouclier a été également sanctionnée d’une quelconque manière par la nouvelle direction installée à la tête de la DCRI. Un élément d’information est pourtant intéressant à son sujet : en octobre 2009, la policière qui recommanda, par la suite et contre toute logique, d’abandonner la surveillance de Merah entretenait alors de curieuses ambitions littéraires. Sur le site de l’écrivain Martin Winckler, elle fit paraître un court texte intitulé « Crime parfait ». Particulièrement machiavélique, l’histoire, introduite comme un document administratif de la police, est rétrospectivement troublante : en résumé, il s’agit de faire endosser un crime à un innocent « manipulable » à la « personnalité fragile » et à « l’enfance malheureuse ».
Deux ans après la publication de son récit, la fiction commence à prendre chair : Magali Bouclier rencontrera à Toulouse un jeune homme au profil similaire à celui de son coupable idéal et imaginaire.