Dans un rapport daté d’octobre 2012, le Conseil d’État a rendu son avis sur le projet de loi de la Garde des Sceaux Christiane Taubira, prévoyant d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples homosexuels. Ce document, favorable au projet mais peu enthousiaste, notamment en raison de « lacunes » dans l’étude d’impact, a été rendu public par l’hebdomadaire La Vie le 7 février dernier. Extraits.
« [L’étude d’impact] ne traite pas, contrairement à ce qu’imposent les dispositions de la loi organique du 15 avril 2009, des questions multiples et complexes que soulève l’ouverture de l’adoption aux conjoints de même sexe,tant dans le cadre de l’adoption internationale que, plus généralement, au regard de l’appréciation que les autorités compétentes seront amenées à faire de l’intérêt de l’enfant et qui est opérée, en droit positif, de manière concrète, au cas par cas. Par ailleurs, l’adoption plénière a pour effet de supprimer juridiquement la filiation par le sang pour lui substituer un nouveau lien de filiation découlant du jugement qui l’a prononcé. Par suite, l’acte de naissance d’origine de l’enfant est remplacé par un nouvel acte établi à partir du jugement d’adoption sans aucune référence à la filiation réelle de l’intéressé.
Alors que la filiation est un élément essentiel de l’identification pour chaque individu tant sur le plan biologique que social et juridique, l’état civil ainsi reconstitué mettra en évidence , par la référence à des parents de même sexe, la fiction juridique sur laquelle repose cette filiation. Le Conseil d’État appelle donc l’attention du gouvernement, d’une part, sur les conséquences de cette situation au regard de la question, délicate et toujours en débat, de l’accès aux origines et, d’autre part, sur les précautions qu’il conviendra de prendre dans la rédaction des actes de naissance en cause.
[...] En outre, l’ouverture des mariages entre personnes de même sexe aux étrangers risque de favoriser les mariages que la doctrine a qualifiés de “boiteux”, en ce qu’ils produisent des effets en France mais s’avèrent nuls selon la loi étrangère des époux. Dans des hypothèses exceptionnelles, mais qui doivent être prises en considération, ces mariages pourraient même exposer certains étrangers à des sanctions pénales dans leur pays d’origine.
[...] Le Conseil d’État invite donc le gouvernement à informer les officiers d’état civil, afin de leur permettre d’alerter l’étranger concerné des conséquences que pourraient avoir sur celui-ci son mariage avec une personne de même sexe, s’il venait à être connu de ses autorités nationales, surtout en cas de retour dans son pays d’origine.
[...] Eu égard à la portée d’un texte qui remet en cause un élément fondateur de l’institution du mariage, [à savoir] l’altérité sexuelle des époux, et compte tenu des conséquences insuffisamment appréhendées par l’étude d’impact qu’un tel changement apportera à un grand nombre de législations, dans l’ordre pratique comme dans l’ordre symbolique, le Conseil d’État souligne l’importance qui s’attache au maintien, dans son périmètre actuel, d’un projet qui ouvre le mariage et l’adoption aux couples de même sexe dans les mêmes conditions que pour les autres couples, sans changer en rien les conditions applicables pour ces derniers. »