En 1966, le Général de Gaulle pouvait dire que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Malheureusement, non seulement ceci est de moins en moins le cas mais nous sommes entrés dans une phase plus conflictuelle entre les marchés et la démocratie depuis le début de la crise financière.
30 ans de règne de la corbeille
On peut sans doute dater à 1983 le début du règne des marchés dans notre pays. En effet, c’est à ce moment que le gouvernement de Pierre Mauroy décide de faire un grand 180° dans sa politique économique pour se conformer à la pensée dominante du moment. Protectionnisme et monétisation auraient alors pu permettre à la France de prendre un chemin différent, mais les socialistes ont opté alors pour une monnaie chère et l’anarchie commerciale et financière.
Cet acte fondateur a consacré la double influence des marchés sur les politiques suivies par nos gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche. D’une part, les marchés ont influencé les politiques suivies en consacrant le laisser faire et le laisser passer dans tous les domaines (commerce, monnaie et finance) mais ils ont également poussé à l’indépendance des banques centrales et de la politique monétaire, un bon moyen de s’assurer une politique conforme à leurs intérêts.
En effet, depuis 1987, on constate que les dirigeants de la planète (gouvernements comme banquiers centraux) ne cessent d’adapter leurs politiques en fonction des évolutions du Dow Jones ou du CAC 40. Il suffit que les marchés toussent pour qu’ils se précipitent pour les soulager, comme en 1987, 2001 ou 2007-2008. Quand les pauvres banques sont au bord de l’asphyxie, les Etats se précipitent pour leur donner des garanties et les banques centrales les inondent de liquidités.
Le conflit entre les marchés et la démocratie
Mais depuis cinq ans, un conflit s’est ouvert entre les exigences des marchés et la démocratie, comme l’a noté The Economist. Le premier plan de sauvetage des banques aux Etats-Unis a été refusé à juste titre par le Congrès, aboutissant à un plan (un peu) plus juste. Les différentes crises de la zone euro ont été provoquées par l’explosion des taux d’intérêt sur les dettes souveraines (permise par l’abandon de la possibilité de monétiser) et la pression des marchés.
Georges Papandréou a été démis de ses fonctions après avoir proposé un référendum sur le plan européen. Alors que les dirigeants européens tendent trop souvent à favoriser l’opinion des marchés, le Parlement chypriote, en refusant le premier plan européen, est parvenu à une solution moins mauvaise, mais qui n’en est toujours pas une. Mais la révolte couve de plus en plus en Europe, comme le montrent les élections en Italie. Malheureusement, les marchés et notamment le secteur financier, parviennent toujours à fortement influencer le sens des lois, souvent discrètement.
Les normes Bâle 3 ont été tordues récemment et les nouvelles règles françaises ou européennes sont dérisoires par rapport aux enjeux révélés en 2008. Plus globalement, les dirigeants politiques dits modérés semblent avoir totalement démissionné face à la mondialisation et renoncé à en influencer le court, comme j’ai pu le constater en débattant avec Stéphane Le Foll au Mans lors du Carrefour de la pensée. Mais si les grands partis renoncent, ils seront remplacés par des dirigeants qui veulent enfin agir, comme cela s’est passé en Amérique du Sud, et notamment au Vénézuela.
Les marchés ne sont qu’un moyen au service d’une fin : l’homme. Qu’ils deviennent la boussole de nos gouvernants est une monstruosité qu’avait bien compris le Général de Gaulle. Il faut donc les remettre à leur place, mais ni le PS, ni l’UMP n’y sont prêts. Il faudra donc aller voir ailleurs.