Durant les préparatifs du sommet des Amis de la Syrie du 28 février à Rome, les États-Unis ont indiqué un changement de politique consistant à armer ouvertement l’opposition syrienne qui mène une guerre pour le compte des États-Unis dans le dessein de faire tomber le président syrien Bashar el-Assad.
Cela s’est fait par un jeu politique chorégraphié avec soin entre le ministre des Affaires étrangères John F. Kerry, quelques pays européens dont la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie, et l’opposition syrienne elle-même.
La Coalition nationale syrienne (CNS) d’opposition a menacé de ne pas venir au sommet, laissant ostensiblement les amis de la Syrie sans personne avec qui pouvoir affirmer leur amitié. Kerry a saisi ce moment pour faire des promesses d’un soutien supplémentaire pendant qu’il faisait la tournée des capitales européennes, en préparation du sommet de Rome et de sa prochaine tournée au Moyen-Orient.
En rencontrant le premier ministre britannique David Cameron et le ministre des Affaires étrangères William Hague, Kerry a promis qu’un nouveau soutien américain pour la CNS « arrive[rait] à maturité d’ici que nous nous réunissions à Rome ». D’autres mesures américaines devaient y être discutées si l’opposition assiste à la réunion des Amis de la Syrie.
Kerry a insisté sur le fait que les États-Unis cherchaient toujours une solution politique, suggérant que l’aide militaire directe n’était pas immédiatement à l’ordre du jour. Mais il a ajouté : « Nous sommes déterminés à ce que l’opposition Syrienne ne soit pas laissée à l’abandon, à se demander où est le soutien, et s’il doit bien arriver. » « Je veux que nos amis du conseil d’opposition syrien sachent que nous ne venons pas à Rome juste pour parler. Nous venons à Rome pour prendre une décision sur les prochaines étapes » a-t-il ajouté. Hague a également insisté pour que l’opposition reste impliquée dans les négociations, promettant que le Royaume-Uni croit que « nous devons augmenter significativement notre soutien à l’opposition syrienne, en plus de notre importante contribution à l’aide humanitaire, et c’est précisément ce que nous nous préparons à faire ».
Les diplomates européens ont dit que le chef de la CNS, Moaz al-Khatib, avait déclaré au gouvernement italien que sa délégation se rendrait au sommet jeudi. Walid al-Bunni, porte-parole du CNS, a dit lundi que cette décision avait été prise après une conversation téléphonique entre al-Khatib et Kerry.
La discussion sur l’intensification de l’aide est intervenue dans un contexte de reportages – notamment de la part du New York Times – selon lesquels les cargaisons d’armes envoyées à l’opposition étaient en augmentation, financées par les États du golfe et dans certains cas en provenance de Croatie et d’autres pays d’Europe de l’Est.
Ces armes auraient été acheminées en passant par la Jordanie et la Turquie. David Ottaway du Woodrow Wilson International Center for Scholars a déclaré : « Je pense que c’est une opération américano-jordano-saoudienne – les trois mêmes groupes qui ont œuvré par le passé pour faire tomber Saddam Hussein. Je ne pense pas que la Jordanie ferait cela seule. »
« En effet, nous avons fourni de nouvelles armes anti-aériennes et des armes défensives lourdes données par des pays arabes et non-arabes ces derniers temps », a dit Louay Almokdad, coordinateur politique et médiatique de l’Armée syrienne de libération à CNN dimanche.
Divers commandants et combattants rebelles ont déclaré à Reuters qu’une cargaison était parvenue en Syrie en passant par la Turquie le mois dernier comprenant des équipements portables à l’épaule et d’autres équipements mobiles, dont des armes anti-aériennes et anti-blindage, des mortiers et des lance-roquettes. Ces armes, ainsi que l’argent pour payer les combattants, étaient tous distribués via une nouvelle structure de commandement établie pour envoyer de l’aide étrangère en partie comme moyen de contrôler l’opposition et de minimiser l’influence des groupes de type Al-Quaïda comme Jabhat al-Nusra et Ahrar al-Sham.
D’après Reuters : « Les rebelles ont refusé de spécifier qui fournissait les nouvelles armes, disant qu’ils ne veulent pas embarrasser leurs soutiens étrangers, mais ils ont dit qu’elles étaient venues ouvertement de Turquie, “de la part d’Etats donneurs”. “Nous avons reçu cette cargaison légalement et normalement. Elle n’a pas été livrée en contrebande mais officiellement par le passage de Bab al-Hawa,” a dit un commandant rebelle. »
Un photographe de Reuters à Damas a vu des armes d’origine occidentale aux mains des rebelles, dont des fusils d’assaut M4 américains et Steyr autrichiens.
Un commandant rebelle a dit au sujet de l’argent et des armes fournis : « Donc en fait c’est comme si nous avions payé d’avance. C’est financé par les pays qui seront impliqués dans la reconstruction de la Syrie. »
Le chef d’état-major du commandement militaire rebelle, le brigadier Selim Idris, a dit que la présence des combattants étrangers compliquait le soutien international pour la lutte contre Assad, tout en affirmant : « Nous ne recevons pas d’armes des Européens, nous ne voulons pas les embarrasser, nous ne voulons embarrasser personne avec la question des armes. »
Après la déclaration de Kerry à Londres, le Washington Post et CNN ont tous deux fait état du fait que le gouvernement Obama s’apprêtait à un changement de politique majeur concernant la Syrie qui pourrait fournir aux rebelles des équipements tels des gilets pare-balles et des véhicules blindés, et éventuellement de l’entraînement militaire.
Le Washington Post a dit que le gouvernement Obama cherche à retirer les restrictions sur les équipements « à double usage [pouvant servir à une action offensive comme défensive, NdT] », qui concernerait le matériel de communication, les gilets pare-balles et pare-éclats, du matériel de vision de nuit, et des véhicules militaires. « Ils procèdent à une redéfinition de ce qui est létal », a indiqué une source. « Ils travaillent là-dessus depuis un moment. »
CNN a affirmé que ces changements sont en cours de discussion avec les alliés des États-Unis dans le cadre de la tournée de Kerry et que cela se fait en coordination avec les puissances européennes. Chaque pays de l’Union européenne décidera lui-même de ce qu’il va fournir, d’après le responsable.
Le Post a noté que « Kerry a fait référence indirectement à plusieurs reprises à un changement de politique au cours de ses voyages. Il a dit à un groupe d’étudiants allemands mardi que les États-Unis veulent une “solution pacifique” en Syrie, mais si ses dirigeants refusent de négocier et continuent à tuer des civils, “alors il faut au moins fournir une sorte de soutien à ceux qui se battent pour leurs droits. »
La Grande-Bretagne et la France ont toutes deux insisté pour lever l’embargo de l’UE sur les ventes d’armes à la Syrie, mais ont rencontré une opposition dans ce bloc, celui-ci a par conséquent été prolongé de trois mois. L’UE a cependant inséré une clause autorisant les États-membres « à fournir une aide non-létale plus importante et une assistance technique à la protection des civils ».
Un représentant de l’UE a parlé avec franchise au Washington Post, expliquant que « sous le vieux système européen on ne pouvait rien faire », alors que la nouvelle règle autorisera « des choses qui en elles-mêmes ne tuent pas les gens ».
« On parle de choses qui peuvent être utiles sur le terrain – gilets pare-balles, jumelles et moyens de communication » a dit un autre.
La duplicité des États-Unis et de leurs alliés européens est rendue nécessaire par leur tentative de préserver l’illusion qu’ils cherchent une solution diplomatique. Kerry s’est même plaint au CNS que leur boycott affaiblissait sa position à la veille d’une rencontre avec le ministre des Affaires étrangères russe, Sergey Lavrov, à Berlin mardi.
S’exprimant depuis Moscou lundi 25 février, le ministre des Affaires étrangères syrien Walid al-Moallem a proposé des négociations avec l’opposition, y compris avec ceux qui avaient pris les armes. Lavrov a lancé un appel au soutien de l’initiation du régime Assad, prévenant que de nouveaux combats risquaient d’entraîner « le démembrement de l’État syrien ».
« Les Syriens devraient décider par eux-mêmes de leur sort sans intervention extérieure », a dit Lavrov, citant « des forces raisonnables qui sont de plus en plus conscientes de la nécessité de commencer les négociations aussi tôt que possible pour parvenir à un accord politique ».
Quelles que soient les agitations diplomatiques, Washington pousse à un changement de régime en Syrie, par l’entremise de ses intermédiaires : la Turquie, l’Arabie Saoudite, et le Qatar. Mardi 26 février, des délégués du Groupe de travail international des Amis de la Syrie, réunis à Sofia, ont appelé à l’application de sanctions par « tous les membres de la communauté internationale, en particulier les membres du Conseil de sécurité des Nations unies » – visant la Russie et la Chine pour leur opposition à de telles mesures.
Chris Marsden, le 28 février 2013