La manifestation du 29 novembre dernier contre la tenue du congrès du Front national à Lyon, n’a pas « dégénéré » comme l’ont titré Le Progrès ou d’autres médias. Organisée par la Coordination nationale contre l’extrême droite (CONEX), le collectif de vigilance 69 contre l’extrême droite et à l’appel de diverses organisations (partis, associations, syndicats…), elle semble n’avoir été qu’un prétexte aux violences et aux débordements qui ont eu lieu.
Sur les 2 000 à 3 000 personnes réunies au départ place Jean Macé (Lyon 7e), les institutionnels font pâle figure. La manifestation officielle n’a pas réuni grand-monde en ce samedi après-midi. On note la présence de quelques élus (dont le maire de Vénissieux, madame Picard), du mouvement Ensemble ! ; du syndicat Solidaires, du PCF et du NPA. L’ambiance générale est à la déception face à la faible mobilisation. C’est, par contre, plusieurs centaines de jeunes « anarchistes » habillés en noir, masqués et cagoulés qui sont réunis autour des drapeaux CNT et derrière des banderoles en appelant à la résistance face au « racisme d’État », aux « violences policières » ou Marine Le Pen à « niquer son père ». Le Progrès évoquera la présence de près de 900 « ultras », même si certains (des « Allemands » et des « Italiens » ?!) n’auraient apparemment rejoins le cortège que plus tard, au niveau de la Guillotière.
Après un discours sur la nécessité d’« emmerder le FN » et sur nos « frères immigrés », prononcé depuis la plateforme d’un camion-concert, le défilé s’est mis en marche aux environ de 15 heures. Dès le départ, il est clairement coupé en deux. À l’avant, on trouve les « institutionnels » et les quelques personnes venues pacifiquement, en indépendantes (dont une grosse majorité d’étudiants). À l’arrière, les antifas et autres « autonomes » électrisent la manifestation dans une ambiance très « stade de foot » avec slogans, pétards et fumigènes. Le NPA et ses nombreux drapeaux fait la jonction entre les deux parties du cortège. Les forces de police en nombre impressionnant ouvrent et ferment la marche de près. Elles sont également placées à chaque coin de rue que croise la manifestation le long de l’avenue Jean Jaurès.
Les premiers incidents éclatent très rapidement, au niveau de la place de l’émir Abdelkader, peu avant le croisement avec le cours Gambetta. Un policier en civil est pris à parti, mis à terre et échappe de peu au lynchage. Les CRS chargent alors et font utilisation de gaz lacrymogènes. Dans la confusion qui règne, des vitrines sont brisées, du mobilier urbain détruit et des slogans « bombés ». Les éléments ultras remontent en courant en direction du Rhône, laissant le NPA en queue de cortège. Après de nouveaux incidents devant le pont de la Guillotière, la stratégie policière change et le cortège est scindé en deux. Une première partie est sommée de traverser le pont pour rejoindre les quais du Rhône en direction des Terreaux et la seconde est immobilisée, puis ultérieurement escortée vers Perrache. Mais les éléments les plus violents ne sont plus regroupés à l’arrière depuis longtemps et ont pu se soustraire à la partition.
De nouveaux incidents éclateront sur les quais du Rhône où les CRS feront une utilisation importante de gaz lacrymogènes qui incommoderont les passants jusque dans les rues alentour, très fréquentées en ce samedi après-midi proche de Noël. Un canon à eau sera également utilisé. Des petits groupes de casseurs, visiblement bien organisés, joueront à cache-cache avec la police dans les rues adjacentes à la rue de la République jusqu’à la nuit tombée. Des vêtements et des accessoires (lunettes noires, masques, bombes de peinture…) juchent alors les rues, abandonnés par les casseurs afin de se fondre dans la foule des promeneurs.
Stratégie de la tension
Malgré les déclarations et autres « mises au point » des organisateurs et des quelques politiques présents, qui ont tenté d’accréditer la thèse que la manifestation était pacifiste et que seuls quelques éléments l’auraient faite dégénérée ; l’analyse des faits permet une compréhension bien différente.
D’abord, un tiers des participants au bas mot était constitué de personnes venues clairement pour en découdre. L’ambiance, dès le départ du cortège, était électrique. L’utilisation de la violence avait d’ailleurs été annoncée avant la manifestation de manière plus ou moins explicite sur les réseaux antifas. Le numéro d’une « Caisse de Solidarité » à appeler en cas d’arrestation était distribué au début de la manifestation, ainsi que le contact de radio Canut, afin de centraliser des informations.
Mais c’est surtout le dispositif policier présent sur place et absolument disproportionné pour une manifestation de 2 000 à 30 000 personnes (avec la présence permanente d’un hélicoptère !), qui ne laisse absolument aucun doute quant à la certitude qu’avaient les autorités du tournant violent que prendrait la manifestation. Et pas seulement potentiellement. En plaçant des CRS à l’arrière et à l’avant du cortège ainsi qu’en bloquant toutes les rues perpendiculaires que croisait la manifestation, la police a de fait, « escorté » des centaines d’antifas, « autonomes » et autres « black blocks » venus ostensiblement pour casser, jusque dans le centre-ville bondé.
Pourquoi avoir ainsi donné une telle visibilité aux violences « anti-FN » ? On se souvient qu’en 2011, une manifestation organisée par les identitaires avait été circonscrite par la police à la place Saint-Jean et les quelques centaines de personnes présentes contraintes de rester sur place avant d’être raccompagnées aux cars. Ce fut également le cas lors d’une manifestation contre la réforme des retraites lorsqu’une « garde à vue » en pleine air avait été organisée à l’encontre des éléments perturbateurs place Bellecour, après le départ du cortège institutionnel. Pourquoi cette stratégie n’a-t-elle pas été reconduite samedi dernier ? Les « ultras » étaient pourtant clairement repérables et quasiment tous regroupés à l’arrière du cortège au départ place Jean Macé. Il aurait été alors extrêmement facile à la police de scinder ce dernier comme ils ont fini par le faire, mais trop tard.
Malgré la condamnation officielle des violences par le maire de Lyon, Gérard Collomb, la présence de membres du parti au pouvoir et d’autres institutionnels dans ce genre de manifestation ne sert-elle pas de couverture de ce qu’il faut bien appeler un cassage en règle ? À cet égard, il est intéressant de constater la vanité des prétextes donnés par les représentants officiels pour la tenue de cette manifestation « citoyenne » et « démocratique ». La poignée d’élus présents en tête de cortège avait en effet bien du mal à justifier une mobilisation contre la tenue du congrès sans démonstration extérieure aucune, d’un parti politique français tout à fait légal et représentant de surcroît une importante légitimité populaire. Place Jean Macé, on pouvait ainsi entendre quelques porteurs d’écharpe tricolore et représentants de syndicats et d’associations reprendre l’argument imparable du caractère insupportable à leurs yeux, de la tenue du congrès du FN à Lyon… « capitale de la résistance » ! Mais bien sûr…
Quelle est la part de responsabilité des responsables locaux et des autorités en charge du maintien de l’ordre dans le saccage de nombreux commerces, mais surtout de la dizaine de policiers blessés ? Le faible nombre d’interpellations (16 au total pour 3 comparutions immédiates le lundi matin), malgré le nombre impressionnant de casseurs et la présence policière renforcée, laisse également songeur…
Tout laisse à penser que ces manifestations soi-disant « citoyennes » et de « vigilance contre l’extrême droite » servent en fait à organiser une stratégie de la tension autour du Front national et à entretenir dans la tête du citoyen l’association entre FN et violences. En effet, dans la perspective non seulement de la présence de Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles mais de sa possible victoire (surtout depuis les gages donnés récemment par le FN à une certaine communauté), on peut imaginer que c’est sur la multiplication d’incidents de ce type dans un climat de violence généralisée, que compte le pouvoir en place pour faire appliquer des mesures exceptionnelles, soit des mesures exceptionnellement anti-démocratiques.
Rappelons à cet égard, que la constitution de 1958 prévoit en son article 16 :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances. »
Soit des mesures de gestion anti-crise à durée indéterminée, qui rendraient tout puissant l’exécutif encore en place au soir du second tour, pour permettre la continuité de la « légalité républicaine ». Seul le Général De Gaulle en a fait jusque-là usage, d’avril à septembre 1961. La France était alors en pleine guerre d’Algérie.
E&R Rhône-Alpes