« La France, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J ’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture. J’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux. » En exergue du blog qu’elle tient sur Internet, Malika Sorel a fait figurer cette citation de l’historien Marc Bloch.
Membre du Haut Conseil à l’intégration (elle y a été nommée par décret du président de la République en septembre 2009), Malika Sorel-Sutter vient de publier Immigration-Intégration, le Langage de vérité (Mille et Une Nuits).
Française d’origine algérienne, elle a passé les dix premières années de sa vie en France. « C’est là, dit-elle, que les graines de l’intégration ont été semées, à l’école, par la culture, ma rencontre avec la littérature. » Ingénieur de formation, elle est diplômée de l’École polytechnique d’Alger et d’un troisième cycle de gestion de Sciences Po Paris.
Elle a travaillé dans l’industrie et fait « du placement d’ingénieurs » dans le secteur des hautes technologies. « Je connais bien, dit-elle, les processus de recrutement et les procédures d’insertion au sein des entreprises. »
En 2008, elle a plaidé contre l’inscription du concept de diversité dans le préambule de la Constitution devant le comité chargé d’y réfléchir, que présidait Simone Veil.
Dans son livre, comme dans le précédent (le Puzzle de l’intégration, paru en 2007), Malika Sorel-Sutter aborde “en expert” ce sujet controversé, en fondant ses conclusions sur sa connaissance du terrain et sur les travaux de nombreux sociologues. Entretien.
Dès le début de votre livre, vous distinguez l’insertion de l’intégration. En revanche, vous parlez peu d’assimilation. Pourquoi ?
Les mots sont importants. L’insertion, c’est l’obligation de respecter les normes collectives d’une société, les règles du “bien-vivre ensemble”, même si l’on ne partage pas la même culture. C’est ce que font les expatriés français à l’étranger, par exemple.
L’intégration, c’est plus profond : c’est le fait de se sentir concerné par une communauté de destin avec les Français. Cela se traduit, concrètement, par la transmission à ses propres descendants des fondamentaux qui composent le noyau identitaire français, ce que l’on nomme le legs ancestral.
C’est un long processus qui, lorsqu’il réussit, aboutit à l’assimilation, concept qui a été victime d’un procès en sorcellerie tout à fait injustifié !
Beaucoup affirment que l’intégration des immigrés se fait mal parce qu’ils sont discriminés. Vous dites, au contraire, qu’elle se fait mal car ils sont victimisés. Qu’entendez-vous par là ?
Nous ne portons pas le même regard sur les immigrés africains que sur les Européens arrivés ici avant eux. Avec les Italiens, les Polonais, les Portugais, la France était exigeante, et elle avait raison de l’être. Elle ne l’est plus avec les nouveaux venus.
Pourquoi ?
Une frange de notre élite intellectuelle, minoritaire mais puissante, présente encore les immigrés d’Afrique et du Maghreb comme des victimes de la colonisation, envers qui la France aurait une dette inextinguible… Elle clame que les nouveaux migrants sont discriminés, et ceux qui osent les contredire sont aussitôt embastillés dans la case “raciste” ! Or la victimisation est catastrophique : la culture de l’excuse déresponsabilise les étrangers installés en France.
Nous ne les incitons pas à faire les efforts nécessaires à la réussite dans notre société. Pis, nous multiplions en leur faveur les dispositifs dérogatoires au droit commun, nous négocions nos valeurs, nous transigeons. Sous la pression d’une minorité “bien-pensante”, nos dirigeants, droite et gauche confondues, ont renoncé à transmettre à ces populations les codes indispensables à leur intégration.
Nous laissons s’implanter en France des communautés revendiquant des privilèges et s’excluant elles-mêmes de la nation. Ce qui, finalement, ne satisfait personne : ni les immigrés, convaincus qu’ils sont discriminés parce qu’on le leur répète, ni les Français, qui souffrent de ces désordres.
N’a-t-on pas raison, cependant, de parler de discrimination à l’embauche, par exemple ?
Une erreur cent fois répétée ne devient pas une vérité. Des études le prouvent, comme celle de Jacqueline Costa-Lascoux, ancien membre du Haut Conseil à l’intégration : elle a assisté à des centaines d’entretiens d’embauche, qui ont été filmés. Les jeunes immigrés sont surtout victimes de leur comportement : ils ne savent pas quelle attitude adopter devant l’employeur. C’est logique : ils n’ont pas été éduqués dans le respect de la société française puisqu’on leur a dit qu’ils avaient “le droit à la différence”… Quand ils regardent le film de leur entretien, ils admettent eux-mêmes qu’ils n’auraient jamais recruté un candidat se comportant comme eux !
Parler de discrimination est abusif. Savez-vous combien l’État et les collectivités locales ont dépensé pour la rénovation urbaine ? 42 milliards d’euros sur dix ans : c’est le montant du plan Borloo. Des sommes considérables ! Sans compter les effets pervers d’une solidarité nationale mal comprise, coûteuse et d’autant moins efficace qu’on a laissé prospérer dans certaines cités une économie parallèle fondée sur la drogue et le travail au noir.
Résultat : les jeunes de ces quartiers prennent pour modèles de réussite des trafiquants dont les profits sont considérables. Loin d’affranchir les habitants de ces quartiers, la solidarité nationale finit par entretenir leur assistanat.
N’est-ce pas aussi parce que leurs parents – qui, souvent, ne parlent pas français – sont dépassés par la situation ?
Encore une idée fausse ! Les Polonais, les Russes, les Portugais ne parlaient pas non plus français en arrivant en France. Simplement, ils ont laissé les enseignants assumer leur mission. Des chercheurs, dont Nicole Mosconi, ont bien montré que, pour réussir à l’école, l’enfant devait choisir entre la figure parentale et celle de l’instituteur. Et c’est aux parents de l’aider à choisir le maître – c’est-à-dire la culture française, celle de l’école de la République : l’élève doit prendre le pas sur l’enfant. Ce n’est pas facile, c’est vrai, mais n’est-ce pas le but de toute éducation ?
C’est ce qu’ont fait les immigrés européens, et ce que ne font plus les nouveaux arrivants. Au contraire, ils dissuadent souvent leurs enfants d’adopter des comportements qui leur sont étrangers. Ils ne sont pas inactifs, non : ils transmettent leur culture et empêchent les instituteurs de transmettre celle de la République. C’est l’une des raisons de l’échec scolaire de ces enfants, puis de leur difficulté à trouver un emploi.
Vous insistez dans votre livre sur le respect de la laïcité. L’échec de l’intégration n’est-il pas aussi lié au fait que l’islam, par nature, ignore la distinction entre le temporel et le spirituel ?
Ce n’est qu’un aspect du problème. La difficulté est surtout d’intégrer à la nation des personnes qui ne sont pas libres de leurs actes car elles n’existent, culturellement, qu’au sein d’un groupe. De ce point de vue, le communisme soviétique, bien qu’athée, était aussi contraignant que l’islam ! Même si les immigrés européens, de culture chrétienne, étaient plus proches des Français, ramener le débat à l’islam me paraît restrictif et périlleux.
De quel islam parlons-nous ? Les querelles sont nombreuses entre musulmans. L’islam arabe n’est pas le même que l’islam africain, celui des Algériens n’est pas celui des Tunisiens. Et comment distinguer l’islam de l’islamisme ? N’entrons surtout pas dans ce jeu ! Il faut rester concentré sur la culture française et sur ses exigences propres.
C’est pourtant le cas : les pouvoirs publics veulent mettre en place un “islam de France”.
Cette expression est aussi dangereuse que floue. Si l’on veut dire que l’islam est aussi français, donc que la France est une terre d’islam, alors les musulmans sont fondés à négocier toujours plus de dérogations à la loi commune, toujours plus de droits, et c’en est fini de l’intégration ! Si l’on prétend faire émerger un islam des Lumières, au motif qu’il serait “de France”, cette tentative est vouée à l’échec.
Penser que l’Europe pourrait organiser l’islam est d’une naïveté consternante. Voyez l’échec du Conseil français du culte musulman : ses membres ne cessent de se quereller ! Se placer du point de vue de l’islam, c’est commettre une double erreur : c’est renvoyer les immigrés à leurs origines, donc favoriser l’emprise du groupe alors qu’il faudrait les en libérer et, ce qui me scandalise, c’est engager une politique d’accommodements dont la France ne peut que souffrir.
À ce propos, les statistiques ethniques, si elles étaient mises en place, feraient peser de lourdes menaces sur notre cohésion nationale. Comment des responsables politiques français peuvent-ils oser faire de la France leur variable d’ajustement ? C’est à la France de dire aux nouveaux venus ce qu’elle attend d’eux et de sanctionner les comportements contraires aux normes collectives françaises. C’est le vivre-ensemble qui se joue désormais.
Le Haut Conseil à l’intégration, dont vous êtes membre, a souligné que l’école était soumise à d’intenses revendications communautaires. Dans un entretien à la Revue parlementaire, Luc Chatel dit qu’il ne partage pas la “vision pessimiste” du HCI. Que lui répondez-vous ?
Nous n’inventons rien : ni le rejet de la langue française, ni la contestation des cours d’histoire et de biologie, ni les revendications de repas halal… Quant aux chiffres 2005 de l’Insee, ils sont accablants : sur les 150 000 élèves qui sortent du système scolaire chaque année sans diplôme, les deux tiers sont issus de l’immigration. Est-ce le signe d’un progrès de l’intégration ?
Depuis trente ans, on dit aux Français : “Ne vous inquiétez pas, tout va s’arranger !” Et l’on attend d’eux qu’ils revoient leurs revendications à la baisse. Pourquoi ? Parce qu’il est moins coûteux d’imposer ces concessions aux Français que le respect des principes républicains aux personnes issues de l’immigration. Je le dis clairement : les hommes politiques ont peur de la violence qu’une telle exigence pourrait déclencher.
Qu’on se rappelle les émeutes de 2005 ! Les Français, eux, se contentent de s’abstenir dans les urnes…
Vous affirmez que les dirigeants politiques ont renoncé à transmettre aux immigrés l’amour et le respect de la France. Comment en est-on arrivé là, selon vous ?
L’idée de nation s’est progressivement effacée : conversion de la gauche à la construction européenne à partir de 1984, puis à la mondialisation dans la décennie suivante ; progrès des idées libérales et du libre-échange au sein d’une droite auparavant dominée par le général de Gaulle ; pressions sur la droite et sur la gauche des milieux patronaux, partisans d’une immigration de maind’oeuvre bon marché.
À quoi s’ajoutent les revendications des nouveaux venus, pris en main par un réseau d’associations dont toutes les actions sont relayées par les médias… Tout cela a joué. Le fait aussi que nos élites n’aient plus d’ancrage culturel a favorisé ces abandons. La culture qu’avaient de Gaulle et les hommes de sa génération leur permettait de résister à la tyrannie du quotidien, des sondages et du court terme. Ils savaient se projeter au-delà des échéances électorales. Aujourd’hui, des avocats, des commerciaux, des énarques occupent la scène.
Des hommes qui ont remis à l’Europe le destin de la France et n’ont aucune envie d’en reprendre les commandes, alors qu’il faudrait pratiquer, comme de Gaulle, la politique de la chaise vide pour ramener Bruxelles à la raison.
La droite affirme cependant sa volonté de maîtriser les flux migratoires à nos frontières. Claude Guéant dit même qu’il faut réduire l’immigration légale.
Et il a raison ! Mais il est aussitôt contredit par Christine Lagarde et par Laurence Parisot, la présidente du Medef, pour qui l’économie française ne pourrait pas tourner sans immigration nouvelle !
Ce n’est pas vrai ?
Mais non ! Notre politique de l’emploi est aberrante. La France vient d’adopter une directive européenne dont le but est d’« attirer les ressortissants de pays tiers aux fins d’emplois hautement qualifiés ». Or de nombreux diplômés français s’exilent chaque année à l’étranger, où leurs talents sont reconnus. Mieux vaudrait endiguer la fuite de nos cerveaux !
Autre exemple : la signature en 2008 d’un accord d’immigration entre la France et le Sénégal. Il s’agit d’ouvrir le marché du travail français aux ressortissants sénégalais dans cent huit métiers, dont beaucoup ne sont pas très qualifiés : des emplois qui pourraient trouver preneurs en France, à niveau de compétence égal ou moyennant la formation de chômeurs.
On estime à 4 millions le nombre des demandeurs d’emploi, si l’on tient compte des chômeurs qui ne sont pas inscrits à Pôle emploi et des salariés à temps partiel subi. Peut-on tout à la fois supporter la charge du chômage et recourir à une immigration de travail massive ?
Ce n’est pas seulement une question financière, c’est une question de dignité : priver d’emploi des hommes et des femmes capables de travailler, c’est les condamner à l’exclusion sociale.
Vous évoquez un risque de “libanisation” de la France. Que proposez-vous pour l’éviter ?
Les solutions se déduisent du diagnostic. Il est impératif de réduire les flux migratoires, dont l’importance nuit à l’insertion des immigrés installés en France. Il faut aussi responsabiliser les parents de ces familles, dans l’intérêt de leurs enfants et de la France.
Quelques chiffres : officiellement, il y a 200 000 entrées nouvelles en France chaque année. S’y ajoutent 80 000 à 100 000 clandestins par an : c’est Nicolas Sarkozy qui l’a dit en 2006 devant le Sénat. « La proportion de jeunes issus de l’immigration atteint 37 % en Île-de- France, 23 % en Alsace, 20 % en Rhône- Alpes », écrit la démographe Michèle Tribalat. En Seine-Saint-Denis, un jeune sur six est originaire d’Afrique subsaharienne. Et l’on n’aurait pas le droit de se demander si la France peut encore accueillir de nouveaux immigrés ?
On émet le voeu pieux, et totalement stérile, de “déghettoïser” alors que l’on sait pertinemment que cela n’est plus possible du fait du fort taux de natalité et des flux migratoires, et que, par ailleurs, les migrants eux-mêmes cultivent l’entre-soi et refusent de plus en plus de respecter le cadre culturel français.
Donc réduire l’immigration de travail, mais aussi les entrées pour raison familiale, est une urgence. Aujourd’hui, l’un des principaux motifs d’immigration est le mariage.
Que les mariages mixtes se multiplient, n’est-ce pas l’indice d’une intégration croissante des immigrés ?
Non, car ces mariages ne sont mixtes qu’en apparence. Dans la plupart des cas, il s’agit d’unions entre deux conjoints dont l’un est français de fraîche date et l’autre arrive de l’étranger où la famille est allée le chercher.
Il ou elle ne parle pas français, ou mal. Son conjoint reste culturellement étranger… Si la France n’attribuait pas aussi généreusement la nationalité française, on ne parlerait pas de mariage mixte.
Vous voulez dire qu’il y a trop de naturalisations ?
En septembre 2010, le ministre de l’Immigration – c’était alors Éric Besson – se félicitait en commentant le chiffre des naturalisations (80 175 durant les huit premiers mois) que « ces résultats placent la France en tête des pays européens pour l’acquisition de la nationalité ». Il indiquait ensuite qu’il souhaitait faire signer aux étrangers naturalisés une « charte des droits et des devoirs du citoyen » les engageant à être « fidèles aux valeurs de la France ».
C’est-à-dire que l’État accorde la nationalité française à des personnes dont il n’est pas encore certain qu’elles soient véritablement intégrées… L’octroi de la citoyenneté française doit venir valider la réussite du processus d’intégration, qui conduit à l’assimilation. Prétendre que l’on peut être français sans être porteur de l’identité française est mensonger, comme il est mensonger d’affirmer qu’octroyer le droit de vote aux étrangers favoriserait leur intégration. Le taux d’abstention est extrêmement élevé parmi les populations issues de l’immigration.
Vous dites aussi qu’il faut responsabiliser les parents. Comment ?
Ce sont eux qui détiennent les clés de l’insertion. Il ne faut pas hésiter à les sanctionner quand leurs enfants commettent des délits. Dans ces familles, les mineurs sont éduqués dans le strict respect qu’ils doivent à leurs parents. La mère occupe d’ailleurs une position sacrée.
En cas de mauvais agissements de leurs enfants, il est donc indispensable que les parents soient placés face à leurs responsabilités. Qu’ils soient astreints, par exemple, à financer les réparations en cas de dégradations. Cela inciterait les enfants à ne plus récidiver et enclencherait un cercle vertueux. La sécurité ne pourra s’obtenir qu’en agissant sur les familles.
J’insiste aussi sur la responsabilité des parents vis-à-vis de l’école. L’enseignant ne peut pas tout, il est souvent désarmé face aux incivilités qu’il subit dans sa classe. Aujourd’hui, l’école n’est plus en mesure d’assumer sa mission et, pour moi, c’est un problème de fond. Il est impératif que les pouvoirs publics la préservent des revendications communautaires et sanctionnent les parents des élèves qui ne respectent pas leur maître.
Nous devons rompre avec l’idéologie victimaire qui inspire toute notre politique d’intégration, et qui a échoué. Remettons les choses à l’endroit : le point de départ de cette politique, ce doit être la France, ce qu’elle exige, et non les immigrés, ce qu’ils revendiquent. On ne la fera pas respecter en méprisant son histoire.
La France fait beaucoup pour les étrangers qu’elle accueille. Les Français ne sont pas racistes ! Finissons-en avec la repentance ! On demande aux peuples européens de disparaître ; c’est une entreprise terrifiante !
Il serait temps que nos dirigeants politiques s’en rendent compte avant que des troubles majeurs n’éclatent. « Dieu, a écrit Bossuet, rit des hommes qui déplorent les conséquences dont ils chérissent les causes. »