« Malgré la durée de la nuit, le jour finit toujours par apparaître… »
Ça y est ! François Hollande a eu, à l’instar de George Bush Junior, sa guerre, et sa « victoire » en moins de temps qu’il n’a fallu pour démolir l’Irak et le faire retourner à l’âge de pierre. Mutatis mutandis la France s’est offert le Mali, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est certain qu’il y aura une suite. Parlons d’abord de la « promenade française en terre malienne » avec les potentats vassaux africains qui font assaut d’allégeance vis-à-vis de Paris pour garder leurs trônes imposés à leurs peuples.
D’une façon faussement naïve, un journaliste du journal Le Pays se demande où sont ces combattants dont on avait surestimé la capacité de nuisance :
« Depuis la chute de la ville de Diabaly, au centre du pays, les troupes françaises avancent sans grande résistance. La ville symbolique de Tombouctou a été reprise le 28 janvier, sans combats. Défaite des djihadistes ? Sans doute pas. Les villes maliennes sous contrôle des islamistes tombent l’une après l’autre dans les mains des armées française et malienne sans la moindre résistance. Depuis la prise de Konna (Centre) par les armées malienne et alliées, les djihadistes ne font que fuir les villes qu’ils occupaient. Même dans les grandes villes comme Gao où ils avaient une importante base, ils n’y ont pas opposé une résistance aux soldats français et maliens. Les libérateurs, comme les appellent les populations, avancent la fleur au fusil. Faut-il en rire ou en pleurer ?
Pourquoi, poursuit le journaliste avec une rare délectation, des djihadistes qui fanfaronnaient à bord de pick-up ont-ils choisi de prendre leurs jambes à leur cou à la moindre frappe aérienne ? Et où se cache-t-elle cette vermine ? A dire vrai, l’attitude des islamistes suscite mille et une interrogations. Quelle est finalement leur destination ? Vont-ils se fondre dans la population nordique ou vont-ils se réfugier dans des grottes ? Il faut, à tout prix, arriver à déloger ces islamistes dans leur cachette et les capturer si possible. C’est à ce seul prix que l’on pourra crier victoire. Car la conquête rapide et sans grands sacrifices des villes, jadis occupées par les islamistes est, disons- le, trop belle, sinon trop facile pour être vraie. On a certes réussi à couper la chique à ces fous d’Allah, mais cela ne saurait être considéré comme une victoire totale, un retour absolu de la paix [1]. »
La reconquête de l’Afrique
On peut s’interroger à juste titre sur la finalité de ces expéditions dont les motifs réels sont toujours les mêmes depuis la Conférence de Berlin de la fin du XIXe siècle : mettre en coupe réglée les pays faibles africains. Ce cap est plus que jamais d’actualité avec la raréfaction des matières premières, dont l’énergie. Si on regarde finement les choses, on s’aperçoit que selon la sentence de Franklin Delano Roosevelt, ancien président des États-Unis dans les années trente du siècle dernier, « si un événement arrive par hasard, vous pouvez être sûr qu’il a été programmé pour se dérouler ainsi », tout devient clair !
Manlio Dinucci décode pour sa part à travers l’exemple malien la reconquête pure et simple de l’Afrique ; il en explique le scénario :
« Au moment même où le président démocrate Obama réaffirmait dans son discours inaugural que les États-Unis, “source d’espoir pour les pauvres, soutiennent la démocratie en Afrique”, de gigantesques avions étatsuniens, les C-17, transportaient des troupes françaises au Mali, où Washington a installé au pouvoir l’an dernier le capitaine Sanogo, entraîné aux USA par le Pentagone et par la CIA, en aiguisant les conflits internes.
La rapidité avec laquelle a été lancée l’opération, officiellement pour protéger le Mali de l’avancée des rebelles islamistes, démontre que celle-ci avait été planifiée depuis longtemps par le socialiste Hollande. (…) Les puissances occidentales, dont les groupes multinationaux rivalisent entre eux pour accaparer les marchés et les sources de matières premières, se compactent quand leurs intérêts communs sont en jeu. (…) Ce n’est pas un hasard si Paris, en même temps que l’opération au Mali, a envoyé des forces spéciales au Niger. Situation analogue au Tchad, dont les riches gisements pétrolifères sont exploités par l’étatsunienne Exxon Mobil et d’autres multinationales [2]. »
Un cas d’école assumé concerne la mainmise d’Areva sur les mines du Niger. Emmanuel Grégoire, directeur de recherche spécialiste du Niger, déclare, sûr du bon droit de la France :
« Au vu des tensions dans la région, les forces françaises seront envoyées au Niger protéger les mines d’Areva. 30 % de l’approvisionnement français en uranium proviennent de ce pays (…). Elle aurait même dû intervenir depuis longtemps au Niger (…). Quand la nouvelle mine d’Imouraren sera en activité, le Niger couvrira 50 % de l’approvisionnement. Je ne pense pas que la France se retirerait définitivement de la région, notamment du Niger. Si la France perdait les gisements du Niger ce serait très embêtant pour elle [3]. »
Dans une contribution intéressante, Barbara Spinelli s’interroge sur le suivisme européen des Américains, suivisme stérile en regard de l’efficacité de la démarche chinoise vis-à-vis de l’Afrique. Nous l’écoutons :
« Prix Nobel de la paix, l’Europe est en guerre depuis près de quinze ans – des Balkans à la Libye, en passant par l’Afghanistan et aujourd’hui, au Sahel. Un interventionnisme pourtant marqué par l’absence de vision à long terme. Voilà près de 14 ans que les Européens participent périodiquement à des interventions armées. La guerre – souvent sanglante, rarement fructueuse – n’est jamais appelée par son nom. Elle avance masquée : elle permettra de stabiliser les pays en faillite, de les démocratiser et, surtout, sera brève et peu coûteuse. Celle qui a débuté le 11 janvier au Mali est conduite par la France de François Hollande, avec le maigre appui de soldats africains et l’approbation – rétroactive – de ses alliés européens. Aucune concertation ne l’a précédée, en violation du traité de Lisbonne (art. 32, 347) (…). L’interventionnisme est en train de devenir un habitus européen, copié sur l’américain (…). Qui compare notre vision à celle des autres pays. Qui examine la politique chinoise en Afrique, si volontaire et si différente de la nôtre : elle est axée sur l’investissement, quand la nôtre se focalise sur l’aspect militaire (…). La dégradation de la situation malienne était évitable si les Européens avaient étudié le pays : considéré pendant des années comme un phare de la démocratie, le Mali a sombré dans la pauvreté, ravivant les problèmes posés par des frontières coloniales artificielles (…). C’est un échec, pour l’Europe et pour l’Occident. Pendant ce temps, la Chine regarde et se frotte les mains. Elle assoit sa présence sur le continent. À l’heure qu’il est, son interventionnisme consiste à construire des routes, et non à faire la guerre [4]. »
Même les Britanniques, sentant le vent tourner, veulent participer à la curée. « Des troupes britanniques rejoindront les Français dans la mission malienne. Les forces militaires épauleront les opérations contre les rebelles », assure David Cameron.
La guerre est-elle terminée au Mali après la victoire, véritable promenade de santé contre les damnés de la terre ? François Hollande a affirmé que la France et ses partenaires africains étaient en train de « gagner la bataille au Mali », mais qu’il appartiendrait aux forces africaines de poursuivre « les terroristes » dans le nord du pays. Nous sommes en train de gagner cette bataille. Quand je dis nous, c’est l’armée malienne, ce sont les Africains soutenus par les Français.
Interrogé sur Europe 1 le lundi 28 janvier, Jean-Luc Mélenchon a estimé que les buts de la guerre de la France au Mali avaient changé depuis le début de l’opération, et mis en garde contre des problèmes politiques prévisibles dans le pays :
« Les buts de guerre de la France ont évolué à mesure de la bataille. Au début, il s’agissait de stopper une colonne, puis il a été question de traquer les islamistes et nous voici partis pour reconquérir tout le nord du Mali. Si nous reprenons le Nord-Mali – ce que je souhaite, puisque je souhaite la victoire de nos armées, pas leur défaite, évidemment – nous aurons le problème suivant : à qui allons-nous remettre le Nord-Mali ? »
Pourtant , malgré les communiqués triomphateurs « on commence à relativiser ». Cette non-résistance fait que les « islamistes » se sont sauvés. Où sont-ils ?
« La France ira-t-elle seule déloger Aqmi de ses sanctuaires montagneux de l’Adrar des Ifhogas, à l’extrême nord du Mali, où se sont repliés les terroristes islamistes ? Peut-être que la France va lever le pied et qu’elle va confier “la patate chaude” aux Africains, pendant qu’elle prendra “ses quartiers” car on ne mobilise pas 3 500 hommes pour repartir au bout d’un mois. Pourtant, le président Hollande répète : c’est aux Africains de permettre au Mali de “retrouver son intégrité territoriale”, en particulier dans le nord du pays, toujours contrôlé par les “groupes terroristes”. “La France n’a pas vocation à rester au Mali. En revanche, notre devoir c’est de faire en sorte que nous puissions permettre aux forces africaines de donner au Mali une stabilité durable.” “Les Africains peuvent prendre le relais et ce sont eux qui iront dans la partie du nord”. Le président a par ailleurs, rappelé qu’“une fois l’intégrité du Mali restaurée, les forces françaises ont vocation à rejoindre leurs bases” Lesquelles [5] ? »
Est-ce que pour autant la crise malienne est résolue ? Christophe Châtelot du Monde pense que le volet développement est incontournable :
« L’Afrique serait donc une priorité de François Hollande ? Certaines apparences sont pourtant trompeuses (…). Pour autant, cette intervention n’a rien à voir avec celles du passé (…). Mais, à supposer que cette mobilisation internationale entraînée dans le sillage de la France chasse les djihadistes du nord du Mali, une autre partie, aussi difficile, se jouera : reconstruire un pays failli, plongé dans un chaos institutionnel depuis le coup d’État du 22 mars 2012 (…). Ces dernières années, l’inclusion des annulations de dettes massives dans les chiffres de l’aide publique au développement (APD) a permis de gonfler artificiellement des statistiques qui, malgré cela, restaient en deçà des 0,7 % du PIB que la France s’est engagée à y consacrer. Pour Romano Prodi : “Le gouvernement malien doit commencer dès maintenant à préparer les élections [6].” »
Les exactions silencieuses
Au lendemain de la libération de Tombouctou, la population s’en prend aux biens des Arabes, accusés d’être des islamistes. On rapporte que des Arabes ont été jetés dans les puits. Human Rights Watch (HRW) avait demandé lundi aux autorités maliennes de prendre « des mesures immédiates » pour « protéger tous les Maliens de représailles », évoquant « des risques élevés de tensions inter-ethniques » dans le nord, où la rivalité est forte entre les minorités arabes et touarègues la plupart du temps assimilées à des islamistes, et les Noirs, majoritaires au Mali. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), groupe armé touareg indépendantiste et « laïque » annonce avoir repris la ville et la région de Kidal, au nord-est, et se dit prêt à lutter contre les « terroristes ». « Notre mouvement s’inscrit désormais dans la lutte contre les terroristes », ajoute-t-il. « Nous ne demandons pas le départ de l’armée française, nous l’approuvons quand elle lance des frappes ciblées. Mais pas quand elle ramène l’armée malienne sur notre territoire, où elle a déjà commis des exactions, aidée par des milices ethniques », ajoute Moussa ag Assarid.
Il y a donc à non point douter une épuration qui se fait. La communauté internationale regarde ailleurs, les médias aux ordres sont bâillonnés et Ban Ki-moon gère sa carrière. La crainte d’actes de vengeance et de représailles est présente à Tombouctou, on accuse les islamistes d’avoir commis comme à Gao de nombreux crimes au nom de la charia : amputations, lapidations, exécutions. Ceci reste à comptabiliser réellement. On les accuse aussi d’avoir détruit de nombreux mausolées de saints musulmans. Dans le journal L’Express, nous lisons les motifs de ces épurations interethniques et religieuses « « Ils nous chicotaient (frappaient) quand on fumait, quand on écoutait de la musique. On va leur faire payer ce qu’ils nous ont fait. Les chicoter aussi. » Dans les guerres asymétriques comme celle qui se déroule au Nord-Mali, la France se trouve devant deux écueils d’importance, l’un est d’ordre africain et avant tout malien, à savoir que ce pays est en déliquescence avancée puisqu’aucune institution malienne régalienne ne tient debout, Parlement, gouvernement, présidence, forces armées et gendarmerie sont minés par le clientélisme, la corruption. L’armada africaine, telle une armée mexicaine, ne dispose ni d’expérience ni de cadres militaires aguerris au combat, et encore moins de matériels adéquats [7].
Des magasins supposés appartenir à « des Arabes » assimilés aux islamistes ont été pillés mardi à Tombouctou par une foule en colère. Des centaines de personnes, visiblement très pauvres, ont attaqué des magasins tenus, selon elles, par « des Arabes », « des Algériens », « des Mauritaniens », accusés d’avoir soutenu les islamistes armés liés à Al Qaîda à Tombouctou. Cette ville mythique du nord du Mali a été reprise lundi sans combat par les armées française et malienne.
Dans le même ordre, c’est un véritable appel au meurtre que lance le journal Le Pays :
« Les populations qui jubilent actuellement devraient, elles aussi, se mettre en cheville avec les militaires afin de mieux traquer cette bande d’individus sans foi ni loi. Une saine collaboration des populations s’avère nécessaire car, c’est parmi elles que pourraient se dissimuler les djihadistes. »
Voila que l’Occident bouscule des traditions des espérances qui ont mis des siècles à sédimenter pour imposer sa doxa, sa loi impériale qui veut que ce qui n’est pas occidental en termes de façon de penser, de copier, de singer est mauvais, immoral et doit être combattu.
Quand on montre des Maliennes en train d’enlever leur voile ou se plaindre de ne pas se voiler, on veut imposer une façon de vivre à partir d’un échantillon qui n’est pas représentatif de l’ensemble.
Le grand poète latin Horace avait raison d’écrire « Quid leges sine moribus, quid mores sine legibus ? » : « Que sont les lois sans les mœurs, que sont les moeurs sans les lois ? » Ces lois et ces mœurs du vivre-ensemble de chaque peuple, savant dosage de traditions, d’espérances, d’acculturation sont en train de voler en éclats. Pour l’Occident chrétien pendant longtemps « Salus extra ecclesiam non est » (« Hors de l’Église point de salut ») Nous pourrions dire avec la nouvelle religion du money-théisme : « Salus extra mercatus non est » (« Hors du marché point de salut ») Doit-on laisser cette machine du diable faire voler en éclats des traditions des espérances qui ont mis des siècles à sédimenter ? La question est plus que jamais d’actualité.
Professeur Chems Eddine Chitour