Les entrailles de la Croix-Rousse donnent des signes de vie en ce mois de février 1959. Sur le versant Est de la colline plus précisément, là où des employés des services techniques de la ville de Lyon interviennent à l’angle de la rue des Fantasques et de la rue Grognard pour résoudre un problème d’affaissement de chaussée récurrent. Sans doute loin de se douter que le puits d’une trentaine de mètres de profondeur qu’ils découvrent va les conduire progressivement vers un dédale insoupçonné de galeries souterraines soigneusement ouvragées aujourd’hui baptisées les Arêtes de poisson.
Un ouvrage unique en son genre
Cheminant de la rue des Fantasques au Rhône, le réseau souterrain révélé progressivement à partir de 1959 est articulé autour d’une galerie centrale de 156 mètres de long de laquelle démarrent 32 galeries perpendiculaires, construites par paires (celles qui font penser aux « arêtes de poisson »), mesurant une trentaine de mètres et se terminant toutes par un cul-de-sac. Elles sont reliées à l’artère centrale par des puits carrés de 1,9 mètre de côté. Une deuxième « colonne vertébrale », construite à l’identique sous la première mais dépourvue d’arêtes, était reliée à l’origine au réseau principal par seize puits qui remontaient à la surface. Ce réseau est connecté à d’autres galeries, vraisemblablement contemporaines, ramifiées jusqu’en haut de la colline, sous l’actuelle église Saint-Bernard.
Le temps des questions viendra bientôt (quand a été construit ce site et par qui, quelle était sa vocation ?) mais d’abord il faut sécuriser l’ouvrage. Le service de voirie multiplie ainsi les interventions dans le secteur des rues Adamoli et Magneval au début des années 60, comme en témoignent les rapports conservés au sein des archives municipales.
L’un d’entre eux, rédigé au milieu de la décennie, résume bien le défi qui a soudain fait irruption dans la vie professionnelle des techniciens lyonnais :
« Il est indéniable que pour parer à un effondrement général de tout ce flanc de colline, il était urgent de consolider en totalité ce réseau et il n’est pas exagéré de dire que les mesures prises et les travaux de consolidation effectués ont évité de voir se reproduire en ce point une catastrophe à celle qui s’est produit en 1931 sur le flanc de la colline de Fourvière. »
Le rapport, qui fait une légère erreur de datation, fait allusion au double glissement de terrain causé par des infiltrations d’eau qui avait provoqué la mort de 39 personnes, dont 19 sapeurs-pompiers, en novembre 1930.
Il faut dire que des signaux alarmants se sont manifestés, tel ce spectaculaire effondrement survenu le 23 février 1963 rue Adamoli.
- Les 27 et 28 février 1963, les photographes du Progrès se rendent sur les lieux de l’effondrement rue Adamoli
L’impératif de sécurité prend donc le pas sur la curiosité historique. Dans la légitime urgence, les autorités publiques ont-elles potentiellement « effacé » des indices pouvant éclairer l’histoire des lieux ? Un rapport de 1959 des services de voirie mentionne par exemple la découverte d’ossements humains, peut-être laissés sur place dans une portion de galerie murée par leurs soins. « Les galeries ont été vidées et nettoyées, s’il y avait des objets comme de la céramique, tout cela a disparu, cela aurait pu donner des indices notamment sur la période d’abandon du site » relève Emmanuel Bernot, du Service archéologique de la Ville de Lyon.
Une aubaine pour les cataphiles
Si les experts défilent par nécessité dans les entrailles croix-roussiennes, d’autres amateurs, de sensations fortes ceux-là, s’immiscent sous terre à mesure que l’existence du site des arêtes circule. Ces cataphiles, adeptes de l’exploration de galeries souterraines, trouvent dans le réseau lyonnais un excellent moyen de s’évader dans un monde lointain et à portée de mains. Malgré l’arrêté municipal pris en 1989 et qui interdit l’accès aux galeries aux personnes non autorisées. Paul, plus connu dans le milieu sous son alias « La Taupe vous guette », a mis pour la première fois les pieds au cœur des Arêtes de poisson en 1988. Cet « amoureux de sa ville » y est retourné près de 170 fois depuis, notamment au fil des longues nuits passées à prendre des photos des lieux, visibles sur son site web.
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Walid Nazim fait aussi partie des quelques Lyonnais intrépides qui ont arpenté clandestinement le réseau pendant des années. Lui a voulu percer le mystère qui entoure la construction des Arêtes. Après une enquête de longue haleine, cet autodidacte fin connaisseur des lieux a synthétisé ses connaissances dans un ouvrage documenté publié à compte d’auteur en 2009 : L’énigme des Arêtes de poisson.
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Vous défendez vous même une thèse atypique conduisant au fameux trésor des Templiers...
En effet, les Arêtes de poisson débouchent au niveau du Rhône vers les Sarrazinières, deux galeries parallèles entre Lyon et Miribel très étudiées entre le XVIe et le XIXe siècle et qui ont déclenché les mêmes passions à l’époque que les Arêtes de poisson. Qui a pu les construire, quand, est-ce un aqueduc romain, un souterrain du Moyen Âge ? On n’a jamais trouvé la réponse formelle et ces galeries ont subi les affres du temps et il n’en reste que quelques vestiges aujourd’hui. Mais dans les parties encore visibles on peut bien voir que c’est le même gabarit et la même pierre que les Arêtes de poisson, qui sont selon moi à l’origine le cœur d’un réseau beaucoup plus vaste, pas forcément lyonnais, qui remontait jusqu’à Miribel d’un côté, alors que de l’autre deux autres galeries s’enfoncent sous le plateau. En partant de cette observation, je me suis intéressé à la période où la Croix-rousse était hors de Lyon et précisément, appartenait au seigneur de Miribel, Sire de Beaujeu, ce qui m’a amené au XIIIe siècle. À cette époque on peut difficilement imaginer un seigneur féodal se lancer dans une telle construction, il faudrait des fonds, de la main-d’œuvre, c’est une prouesse technique et architecturale et une dépense financière inimaginable ; cela m’a emmené aux Templiers car on est dans un entrepôt souterrain à 30 mètres de profondeur, donc une salle des coffres et on est sur les terres de la famille de Guillaume de Beaujeu, dernier grand maître des Templiers assiégé en Terre Sainte. La porte était ouverte pour aller explorer cette piste là.
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Voir le sujet de Walid Nazim sur le mystère :
Le site de La Taupe vous guette donne un aperçu de cette architecture mystérieuse :
Les Fantasques et les Arêtes de Poisson
Un énigmatique réseau souterrain, en forme d’arêtes de poisson, à la croisée des galeries des Fantasques.
Lyon, ville mystérieuse ?
La ville mérite bien cet adjectif lorsqu’on arpente les entrailles de la colline de la Croix Rousse. Particulièrement sous les rues et les immeubles des pentes Est, où court un immense et étrange réseau de galeries souterraines, portant le nom d’Arêtes de Poisson.
Arêtes de Poisson : Quel drôle de nom… et pourtant sa forme étonnante est composée d’une « arête » centrale entrecoupée par 17 « arêtes » perpendiculaires… Son origine demeure des plus controversée et aujourd’hui le mystère reste entier.
Note : De nombreux changements et modifications ont profondément transformé cet ensemble de galeries. Le percement du second tube du tunnel de la Croix Rousse a défiguré et amputé à jamais le squelette des Arêtes, dans les années 2010. Quatre d’entre elles ont été en partie détruites, les deux dernières à jamais perdues, mais le plus dommageable reste la liaison parallèle sous l’axe principal, coupant pour toujours en deux ce magnifique réseau. Le mystère restera entier faute de réelles et sérieuses prospections archéologiques, malgré le fait que cet ensemble se trouve dans le secteur classé par l’Unesco…
Voir toutes les photos sur lataupevousguette.fr
Pour aller plus loin, la Rédaction E&R vous conseille le magnifique – et parfois quelque peu imaginatif et poétique - documentaire de Georges Combe (que nous avons pu voir en projection cinéma dans sa version courte, la version longue durant plus de 3h30). Il s’agit d’un documentaire payant dont la bande-annonce peut être visionnée ici :