En Libye où l’État islamique est la surinfection d’une plaie ouverte par les islamistes dits « modérés », la situation semble s’éclaircir à l’est, en Cyrénaïque, alors qu’elle s’assombrit en Tripolitaine [1], à l’ouest.
En Cyrénaïque, les forces de l’ANL (Armée nationale libyenne) du général Haftar sont passées à l’offensive, à la fois contre les milices salafistes et contre celles de l’État islamique (Daech). La ville de Benghazi est désormais majoritairement tenue par les hommes du général Haftar, les salafistes ayant été chassés de la zone portuaire et de plusieurs quartiers, dont ceux de Bouatni, Leithi et Sabri. Parallèlement, l’ANL ayant repoussé l’État islamique du terminal pétrolier d’Ajdabia, l’expansion de ce dernier vers l’est semble stoppée. Du moins pour le moment.
Depuis son quartier général d’El Merj, le général Haftar semble donc être en passe de s’imposer comme l’homme fort de Cyrénaïque. Cet ancien compagnon du colonel Kadhafi, qui avait rompu avec lui, n’a jamais coupé les liens le rattachant à l’alliance tribale constituée autour du défunt colonel [2], ce qui lui assure une base tribale importante. D’autant plus qu’il est l’allié des Toubou du Fezzan.
On mesure là l’abîme séparant la réalité du terrain des abstraites constructions européo-centrées. C’est ainsi que le pseudo-gouvernement dit « d’union nationale » laborieusement constitué par la communauté internationale fait la part belle aux Frères musulmans de Misrata soutenus par la Turquie et par le Qatar, mais écarte le général Haftar.
En Tripolitaine, l’alliance entre salafistes et Frères musulmans de Misrata, connue sous le nom de Fajr Libya, bat de l’aile. La raison tient au jeu trouble que certaines milices entretiennent avec l’État islamique. Au moment où elle affirmait lutter contre ce dernier et demandait des armes aux Occidentaux, Fajr Libya laissait ainsi l’État islamique s’installer à Sabratha, en plein cœur de sa zone... Derrière ce double jeu, apparaît l’ombre d’une Turquie qui compte sur l’État islamique afin d’affaiblir le général Haftar en Cyrénaïque, tout en isolant ses alliés de Zinten en Tripolitaine. La manœuvre d’Ankara est claire : ne laisser que le choix entre les Frères musulmans de Misrata et l’État islamique. Ce qui, à la faveur d’une intervention militaire occidentale, permettrait aux premiers de prendre le contrôle du pays et à la Turquie d’opérer un retour en force dans un territoire qui lui fut arraché par l’Italie en 1911.
Depuis plusieurs mois L’Afrique réelle insiste sur le danger qu’il y aurait à intervenir au profit des islamistes dits « modérés » contre ceux de l’État islamique. Tous ont en effet partie liée. La solution se trouve donc ailleurs. C’est pourquoi il importe de changer de paradigme. L’ennemi principal est moins l’État islamique que les milices islamistes qui prétendent le combattre, elles qui sont à l’origine du chaos. La Turquie et le Qatar soutiennent ces dernières quand la solution est du côté de la Libye bédouine et berbère.