Monsieur,
Dans un billet visant Aymeric Chauprade, que vous avez récemment publié sur votre blog Conspiracy Watch, vous avez écrit au détour d’une parenthèse que Peter Dale Scott était « un auteur conspirationniste » (sic) ! Permettez-nous de nuancer votre vision pour le moins caricaturale de cet ancien diplomate, universitaire et docteur en Sciences politiques éminemment respectable – comme l’illustre entre autres sa page Wikipedia.
En effet, son livre intitulé La Route vers le nouveau désordre mondial – que nous avons publié en octobre 2010 – a été vivement recommandé par le général d’armée aérienne Bernard Norlain, qui l’a recensé en mars 2011 alors qu’il dirigeait la prestigieuse Revue Défense Nationale. Pourtant, nul ne peut soupçonner Bernard Norlain de « complotisme ». En effet, Jean Guisnel, l’auteur de l’article du Point mentionné dans votre billet (qui avait incité le ministre de la Défense Hervé Morin à congédier abusivement Aymeric Chauprade en 2009), ne tarit pas d’éloges à son sujet :
« Bernard Norlain a fait une très belle carrière, qu’il a terminée dans l’estime générale comme directeur de l’IHEDN (Institut des hautes études de Défense nationale). Avant cela, il avait été pilote de chasse (6 000 heures de vol), chef du cabinet militaire des Premiers ministres Jacques Chirac et Michel Rocard, commandant de la FAC (Force aérienne de combat) [1]. »
Suite à la recension élogieuse du général Norlain, cet ouvrage de Peter Dale Scott a également été recommandé dans la lettre confidentielle du général Alain Lamballe (Le Milieu des Empires), puis à l’École militaire spéciale de Saint-Cyr. La Route vers le nouveau désordre mondial est également disponible à la bibliothèque de Sciences Po Paris, et il a été conseillé par l’expert en géopolitique Jean-Marie Collin sur le site d’Alternatives Internationales. Par ailleurs, ce livre a été recensé positivement par le magazine Diplomatie – qui a interviewé Peter Dale Scott à deux reprises –, et il a fait l’objet d’une recension dithyrambique dans la revue Afrique contemporaine. Pourtant, cet ouvrage – qui analyse sous un angle critique la politique étrangère des États-Unis depuis l’après-guerre –, explique notamment pourquoi Dick Cheney doit être considéré comme un suspect dans les attaques du 11 Septembre. Le terme « suspect » ne signifie pas « coupable » ; néanmoins, selon Peter Dale Scott, cette suspicion légitime impose que Dick Cheney témoigne pour la première fois sous serment afin d’infirmer ou de confirmer cette hypothèse.
Le second ouvrage de Peter Dale Scott traduit en français – intitulé La Machine de guerre américaine et publié par les éditions Demi-Lune en octobre 2012 –, a connu le même succès critique que le premier. En effet, le général Norlain l’a également encensé, tout comme le lieutenant-colonel et historien Rémy Porte. De plus, cet ouvrage a été conseillé en des termes élogieux par Daniel Ellsberg – le célèbre précurseur de Julian Assange et de Wikileaks –, et le journal L’Humanité l’a vivement recommandé, à l’instar du magazine Diplomatie qui a mis en avant cet ouvrage à l’occasion d’une nouvelle interview de Peter Dale Scott. Comme le précédent, ce livre est également disponible à la bibliothèque de Sciences Po Paris. Enfin, la définition d’« État profond » expliquée dans La Machine de guerre américaine – dont vous avez cité une interprétation par Aymeric Chauprade –, a été reprise par le commissaire divisionnaire, ancien officier de la DST et criminologue Jean-François Gayraud :
« La France a ainsi subi un phénomène dangereux ressemblant à une queue de comète du SAC (Service d’action civique) dans sa version la plus trouble ; à se demander même si la France n’a pas connu une forme (heureusement atténuée) d’“État profond”, tel qu’analysé par Peter Dale Scott pour d’autres pays [2]. »
Au vu de la crédibilité des personnalités, des institutions et des revues précitées, il risque de vous être difficile de rédiger un papier discréditant Peter Dale Scott, puisque ce faisant vous mettriez en doute l’esprit critique et l’intelligence tout à la fois de la Revue Défense Nationale, de Sciences Po Paris, de Saint-Cyr, de MM. Bernard Norlain, Alain Lamballe, Jean-Marie Collin, Jean-François Gayraud, du magazine Diplomatie, de la revue Afrique contemporaine, du journal L’Humanité, de l’historien Rémy Porte (etc.). Par conséquent, dans un souci d’honnêteté vis-à-vis de vos lecteurs, nous vous recommandons de remplacer l’expression « un auteur conspirationniste canadien » par « un auteur canadien lu et apprécié dans les milieux français de la défense, du renseignement et de la diplomatie ». Dans le cas contraire, votre jugement sur Peter Dale Scott pourra être considéré comme mensonger et diffamant – puisque nous venons de démontrer de façon indiscutable la fiabilité intellectuelle de cet auteur. Il vous est certes loisible de ridiculiser toute contestation de la version gouvernementale du 11 Septembre en citant des personnalités non-qualifiées mais respectables, comme Marion Cotillard et Jean-Marie Bigard, ou moins, tel ce candidat de l’émission Secret Story (!). Sans doute pensiez-vous « élever » le débat sur cette question particulièrement complexe en vous attaquant à M. Peter Dale Scott ?
Soyons clairs : les éditions Demi-Lune n’ont aucune affiliation politique et aucun objectif autre que celui d’informer nos lecteurs. Ainsi, nous ne cautionnons pas le positionnement d’Aymeric Chauprade sur l’échiquier politique. Néanmoins, contrairement à vous, cet homme a eu le courage d’assumer ouvertement ses convictions politiques, historiques et géopolitiques – en dépit des risques pour sa carrière académique et pour sa réputation. Expert mondialement reconnu, homme de sciences et géopoliticien respecté bien au-delà des cercles militaires, Aymeric Chauprade bénéficie d’une crédibilité et d’une expertise indiscutables dans les domaines de la géopolitique, de la géostratégie, de la défense et de l’histoire. Ce n’est pas votre cas, et une simple comparaison de vos parcours respectifs suffit à le démontrer. C’est pourquoi nous nous demandons quelle est votre légitimité intellectuelle pour critiquer M. Chauprade sur la question complexe du 11 Septembre et de ses nombreuses implications.
Enfin, vous avez l’habitude de vous présenter comme un « expert du “complotisme” » sans expliciter vos allégeances politiques et idéologiques – essentiellement au sein des milieux néoconservateurs français (Le Meilleur des Mondes [la revue pro-américaine du Cercle de l’Oratoire], La Règle du Jeu, [fondée et dirigée par Bernard-Henri Lévy depuis 1990], etc.). Cette allégeance manifeste, qui est loin d’être un gage d’objectivité, a notamment été soulignée par le respectable géopoliticien Pascal Boniface. Mais si vous étiez réellement l’« expert » intègre que les médias nous présentent, il serait bien plus déontologique d’assumer ouvertement votre positionnement politique, à l’instar d’Aymeric Chauprade. Néanmoins, peut-être craignez-vous de donner raison à vos principaux ennemis « complotistes » – c’est-à-dire toute personnalité médiatiquement visible ayant tendance à critiquer l’influence démesurée de Washington ou de Tel Aviv sur les cercles de pouvoir français ?
Arno Mansouri, pour les éditions Demi-Lune