« Certains de ces survivalistes jubilent depuis la panique qui s’est emparée de la population aux premiers jours de la pandémie. “Quand les gens ne sont pas préparés, car la préparation c’est pour les paranoïaques”, grince ainsi Vic Survivaliste (un pseudo) sur Twitter, sous la vidéo d’une interminable file d’attente devant un supermarché. “Les survivalistes sont aujourd’hui dans une prophétie autoréalisatrice, explique le sociologue Vincent Paris. Ils ont jadis modifié leurs comportements sociaux et ont adhéré à une croyance en pariant sur un risque : la crise du Covid-19 vient renforcer leurs croyances”. » (Le Monde)
Les survivalistes survivront-ils lors du grand effondrement de la société occidentale (on suppose que les habitants des sociétés non occidentales sont par définition plus proches de la survie) ?
Le survivalisme consiste pour beaucoup à se préparer à une ou à LA grande catastrophe. Alors que tout va bien, ou que tout a l’air d’aller bien, ces survivalistes préparent déjà l’Après. Mais il n’est pas certain que ceux qui se préparent à la survie en fonction des critères d’aujourd’hui soient adaptés à la survie de demain. Par exemple, si une bactérie dévisse l’humanité, ceux qui seront par nature immunisés contre cette bactérie survivront alors qu’ils n’auront fait aucun effort. Idem pour les groupes sanguins : on dit que les O sont plus protégés que les A pour le coronavirus. Si une glaciation arrive (comme ça, sans prévenir Jouzel), les individus du sud souffriront le martyre, ils ne seront pas préparés, même s’ils connaissent par cœur le manuel du survivaliste. Les Inuits, eux, seront alors bombardés à la première place de l’Évolution, ou de la Survie. Et si des Martiens ou des Véganiens débarquent, et qu’ils ne visent que les homosexuels, les juifs ou les féministes, ou les gauchistes, alors ces derniers ne pourront rien, malgré leurs connaissances des plantes et des forêts, si d’aventure il y a des survivalistes parmi eux ! L’Histoire de l’Homme nous apprend que ce ne sont pas toujours les plus forts ou les plus préparés qui survivent : Néandertal, lui, était calibré pour la chasse, le froid, et les conditions de vie dures. Quand le climat s’est apaisé, il a été fragilisé :
« Il y a environ 40.000 ans l’homme de Néandertal, qui peuplait l’Europe, a disparu au profit de notre ancêtre Homo sapiens. Présent sur le vieux continent depuis au moins 400.000 ans, les scénarios permettant d’expliquer sa disparition sont nombreux. Aucun d’entre eux ne faisait toutefois état du climat et de ses variations. C’est désormais chose faite : une équipe menée par Michael Staubwassera, géochimiste à l’université de Cologne, en Allemagne, publie dans les Comptes-rendus de l’Académie de sciences américaine (PNAS) une étude des variations climatiques sur la période allant de 44.000 à 40.000 ans. Or la comparaison de ces données avec les relevés archéologiques néandertaliens montre que l’alternance de périodes froides et douces pourrait avoir précipité leur déclin. »
Voici l’explication avancée par les paléoclimatologues :
« Selon les auteurs, ces changements climatiques ont favorisé le développement des prairies au détriment des forêts. Le gibier, principale ressource alimentaire de Néandertal, serait devenu plus rare. Nos ancêtres auraient été mieux armés pour faire face à ces nouveaux paysages, avec des ressources alimentaires plus variées (lesquelles). Ils auraient donc profité de l’affaiblissement des précédents occupants pour se développer et s’installer durablement. »
Mais ce n’est qu’une hypothèse. De plus assez fragile. Néandertal a une longue histoire, de plusieurs centaines de milliers d’années en comptant les Néandertaliens anciens, de 100 000 ans en se focalisant les Néandertaliens classiques. Dans le premier cas, on peut dire qu’il a connu plusieurs glaciations, et les interglaciaires associés, parfois plus chauds que l’actuel ; dans le second cas, il a connu d’autres variations assez rapides du climat au cours de la dernière glaciation, et des périodes bien plus douces que celles qui ont vu ses peuplements péricliter. Alors une variation climatique au sein de la dernière aurait-elle suffi à le mettre en danger, à le faire disparaître ? La vérité est probablement ailleurs, plus complexe et plus intéressante.
La survie est une équation complexe, qui fait intervenir le climat, les sols (fertilité/infertilité), le volcanologie (une méga éruption peut détruire tout un pays et avoir un impact planétaire), la faune et la flore. On pourrait ajouter l’ADN, les bactéries, l’organisation sociale...
« Les éruptions de niveau 8 sur l’Indice d’explosivité volcanique ou échelle VEI (Volcanic Explosivity Index) sont qualifiées de mégacolossales ou apocalyptiques si elles ont permis l’expulsion d’au moins 1 000 km3 de magma et de matière pyroclastique. De telles explosions ont détruit toute vie dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres et des régions de l’échelle d’un continent ont pu être brûlées sous des mètres de cendres. » (Wikipédia)
Au croisement de tout cela, il y a l’Homme, mais l’Homme lui-même change, et il change sans le savoir, en secret et en silence. Les survivalistes, ceux qui se préparent à survivre au grand chambardement plus qu’au monde actuel, se rassurent en s’éloignant des ensembles urbains, où la vie devient de plus en plus artificielle.
Retrouver ses racines ou des racines est rassurant, mettre de la distance avec l’Homme des villes (l’Homo urbanus) donne une impression de liberté dont l’individu a besoin. Alors qu’au temps de la préhistoire s’éloigner du groupe signifiait la mort, aujourd’hui, cela peut signifier la survie, surtout quand le groupe est porteur de pathologies qui affaiblissent l’individu. Et là, la politique entre en scène.
Bonus : l’article du Monde en intro parle de nous (en se trompant)
« Les survivalistes québécois ne constituent pas un bloc monolithique. Doublement influencés par le mouvement né aux États-Unis dans les années 1970 avec Kurt Saxon, un libertarien proche des néonazis (Vic Survivaliste a d’ailleurs adopté la petite grenouille chère à l’alt-right américaine sur ses profils Facebook et Twitter), et par le courant européen de l’extrême droite identitaire, incarné par le Français Alain Soral ou le Suisse Piero San Giorgio, ils comptent aussi dans leurs rangs quelques “eco-warriors” d’extrême gauche, engagés dans un combat pour sauver la planète. Mais la plupart se présentent comme de simples “néosurvivalistes” surtout soucieux de se débrouiller seuls en renouant avec des savoirs ancestraux.
“Leur point commun à tous, détaille Martin Geoffroy, sociologue au Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (Cefir), c’est leur méfiance, voire leur défiance vis-à-vis de l’État. Les plus ultras rêvent d’un effondrement civilisationnel pour retourner à un état de nature idéalisé. Les autres sont convaincus que les individus sont plus aptes que les institutions à assurer leur survie”. Jusqu’à se dire prêts à assurer leur propre défense en cas de grabuge. »