Avec 2,3 millions de détenus, les Etats-Unis ont la population carcérale la plus importante du monde. Le fonctionnement des prisons, qui génèrent plusieurs centaines de milliers d’emplois, subit la baisse des recettes fiscales.
« Quand on construit une école, on ferme une prison », disait Victor Hugo. La voix du poète français, qui fut aussi sénateur, n’a apparemment pas porté de l’autre côté de l’Atlantique : nourries par une politique très répressive se traduisant par une envolée de la population carcérale, les dépenses américaines consacrées aux prisons n’ont cessé en effet de progresser au cours des dernières décennies, au point qu’en Californie, elle atteignent 10% du budget de l’Etat, soit plus que l’enveloppe consacrée aux dépenses d’éducation (7%).
Le vent de la récession
Avec 2,3 millions de détenus (les prisons fédérales, d’Etat ou locales), les Etats-Unis détiennent le record mondial du taux d’incarcération. Résultat, les prisons sont devenues une véritable industrie, presque comparable à celle de l’automobile en termes d’effectifs. Le secteur pénitencier américain emploie au total 770.000 personnes (dont près d’un demi-million de surveillants de prison), contre 880.000 dans la construction automobile, révèle Suzanne Kirchhoff, auteure d’un rapport publié par le Congrès américain sur l’impact économique du secteur. Car le vent de la récession a fini aussi par pénétrer dans les cellules américaines.
La crise économique qui touche les Etats-Unis depuis 2007 rend de plus en plus problématique le financement des prisons. Au total, la construction et le fonctionnement de celles-ci coûtent chaque année 68,7 milliards de dollars par an aux contribuables américains (en 2006), une enveloppe qui s’est envolée de 660% depuis 1982. Selon l’auteure de l’étude, la progression des dépenses de prison supportées par les Etats au cours des trois dernières décennies a été deux fois plus rapide que celle des dépenses de santé ou d’éducation.
Réduire les peines de prison
Une inflation contre laquelle les Etats américains, qui sont confrontés à une réduction massive de leurs recettes fiscales, tentent de lutter : depuis le début de la crise, en 2007, ils essayent par tous les moyens de comprimer les dépenses des prisons. Fermetures d’établissements, retard dans les investissements programmés, mais aussi allègement des peines de prison et libérations anticipées font partie de cette cure de rigueur. « Plus de 26 Etats ont réduit leurs dépenses carcérales dans le budget 2010 et de nouvelles coupes sont prévues en 2011 », explique Suzanne Kirchhoff. Car une justice plus clémente est synonyme d’économies substantielles : le raccourcissement d’un mois du séjour moyen en prison aboutirait à réduire le nombre de détenus de 50.000 personnes.
L’autre moyen de comprimer le coût passe par un recours de plus en plus fréquent au secteur privé. Le phénomène a commencé bien avant la crise - sur les 153 nouvelles prisons construites entre 2000 et 2005, 151 l’ont été par des sociétés privées -, mais il s’est renforcé avec celle-ci. En Californie, le gouverneur Arnold Schwarzenegger a par exemple recommandé dans son discours de l’Etat en janvier dernier de faire inscrire dans la constitution californienne que les dépenses consacrées aux prisons ne puissent pas dépasser le budget de l’éducation : un changement qui passerait par la privatisation de nombreux établissements.
Salaires divisés par deux
De plus en plus sollicités, les opérateurs privés sont devenus indispensables dans l’univers carcéral américain (lire ci-dessous), contrôlant près d’un quart des 1.800 prisons américaines (contre 16% en 2000). « Au plan national, près de 8% des détenus se trouvent aujourd’hui dans des prisons privées, ce chiffre pouvant atteindre 30% dans certains Etats », détaille le rapport. Un succès qui s’explique par les coûts moins élevés du secteur privé. La comparaison des salaires est éloquente. Alors qu’un gardien de prison dans un établissement fédéral gagne 50.830 dollars par an, son collègue dans une prison privée ne perçoit que 28.900 dollars... Presque deux fois moins. C’est pourquoi les entreprises privées n’ont pas nécessairement à craindre un resserrement des budgets consacrés aux prisons : elles sont bien placées pour récupérer des « parts de marché » des prisons publiques.
Corrections Corporation of America (CCA) est le numéro un des prisons privées aux Etats-Unis. Basé dans le Tennessee, l’entreprise gère au total 65 pénitenciers (il est propriétaire de 44 prisons), et dispose d’une capacité de 87.000 lits, soit plus que le nombre de détenus dans les prisons françaises. La société, qui emploie 17.400 personnes, a réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de 1,6 milliards de dollars, qui a doublé depuis 2001.