Egalité et Réconciliation
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Les étranges amitiés de Dieudonné

C’est l’histoire d’un humoriste dont les meilleurs amis d’aujourd’hui sont ses pires ennemis d’hier. D’un comique qui, il y a douze ans, s’engageait en politique, à Dreux (Eure), contre Jean-Marie Le Pen, qu’il qualifiait alors de "grand marabout borgne", et qui offre désormais son théâtre à des courants politiques plus radicaux encore que le Front national.

Jadis proche de la gauche alternative, Dieudonné, 43 ans, est devenu une sorte de caisse de résonance pour une frange composite de l’extrême droite française. Ces liaisons dangereuses, il les assume publiquement. L’occasion nous a été donnée de le constater récemment au Théâtre de la Main d’or. Ce soir-là, l’humoriste donne dans sa salle du 11e arrondissement de Paris une représentation de son spectacle J’ai fait le con. Le même show, qui, un mois auparavant, le 26 décembre 2008, avait fait scandale : Dieudonné avait invité sur la scène du Zénith de Paris le négationniste Robert Faurisson pour lui faire remettre un "Prix de l’infréquentabilité et de l’insolence" par son régisseur Jacky, vêtu d’un pyjama rayé de déporté et arborant une étoile jaune.

Ce 29 janvier, le spectacle est surtout parmi le public. Tout le gratin négationniste s’est donné rendez-vous, à l’invitation de Robert Faurisson, dont le 80e anniversaire tombait quelques jours plus tôt. Il y a là une petite famille marginalisée de militants qui nient la réalité du génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale et n’apparaissent que très rarement ensemble, compte tenu de l’hostilité qu’ils suscitent.

Un carré de places leur a été réservé au pied de la scène à la Main d’or. Le garde du corps personnel de Dieudonné veille à la sécurité de M. Faurisson. Ses voisins dans la salle sont Serge Thion et Pierre Guillaume, les principaux animateurs du site Internet négationniste Aaargh (Association des anciens amateurs de récits de guerres et d’holocaustes), domicilié à l’étranger et sous le coup d’une interdiction d’accès en France. A leurs côtés, Ginette Skandrani, ancienne militante des Verts, exclue de cette formation pour ses collaborations à l’Aaargh, et qui a fait partie du bureau de campagne de Dieudonné quand l’humoriste envisageait de se présenter à l’élection présidentielle de 2007.

Le théâtre est tout petit, 150 sièges à vue d’oeil. Des jeunes plaisantent entre eux. Ils appartiennent à cette partie du public, plutôt masculine et métissée, qui semble ignorer la dimension politique de cette soirée. Pourtant, outre les négationnistes, plusieurs courants de l’extrême droite radicale, qui ont tous en commun un antisémitisme virulent, ont leurs représentants. Il y a là Charles-Alban Schepens, l’un des dirigeants du Renouveau français, un groupuscule "catholique, nationaliste et contre-révolutionnaire", qui se réclame, entre autres, de Charles Maurras, du maréchal Pétain et des Phalanges espagnoles. On remarque aussi des membres du courant "nationaliste révolutionnaire", qui combine idéologie fasciste et anti-impérialisme, ainsi que le patron d’une boutique parisienne réputée dans les milieux skinheads.

Tous ceux-là apprécient comme autant de clins d’oeil les allusions à la Shoah et au pouvoir prêté aux juifs qui parsèment le spectacle. Comme au début de la représentation, quand une voix off demande, étrangement, avant le lever de rideau l’extinction des téléphones portables "en mémoire des victimes de la seconde guerre mondiale". Une heure et demie plus tard, quand la salle se vide, les plus militants font la queue pour serrer la main de Robert Faurisson, qui restera avec ses alter ego au théâtre pour y souper avec Dieudonné.

Pour l’humoriste et ses amis, il n’y a plus désormais ni gauche ni droite. Il y a le système - comprendre "l’axe américano-sioniste" - et les ennemis du système. D’où l’étrange attelage qui gravite autour de lui : chiites radicaux du Centre Zahra, héritiers de Maurras, quelques jeunes de banlieue et des étudiants membres de l’extrême droite musclée. Ce 29 janvier, la sécurité était assurée par des jeunes gens barbus, habillés à la manière des salafistes.

Au centre de cette galaxie, un club politique : Egalité et Réconciliation, une association créée il y a deux ans, qui a toujours évolué à la périphérie du Front national. Ses dirigeants officiels sont le polémiste Alain Soral, transfuge du Parti communiste passé à l’extrême droite, et Marc George, qui dit avoir commencé à militer au Parti socialiste dans les années 1980 avant de rejoindre le Front national après la première guerre du Golfe, puis de jouer le rôle de coordinateur de la campagne de Dieudonné avant la présidentielle de 2007. Tous deux étaient membres du comité central du FN, jusqu’à leur suspension début février.

Dieudonné s’affiche aujourd’hui comme une sorte de compagnon de route d’Egalité et Réconciliation. Cette association entend convertir au nationalisme politique les jeunes des milieux populaires, et notamment ceux issus de l’immigration. Ces jeunes sont une des composantes principales du public de Dieudonné, dont les spectacles peuvent servir de passerelle pour un engagement politique. Comme Idriss, 22 ans, qui affirme avoir "découvert les thèses d’Alain Soral" par le biais des spectacles de l’humoriste.

C’est aussi au Théâtre de la Main d’or qu’Alain Soral a tenu une conférence de presse, mercredi 4 février, en compagnie de l’humoriste, pour annoncer son départ du FN. De l’aveu même de M. Soral, Dieudonné, "qui entend faire de son théâtre un lieu de résistance culturelle", le met "gracieusement à disposition d’Egalité et Réconciliation une fois par mois, à condition que nous fassions tourner le bar".

La véritable nature d’Egalité et Réconciliation reste un mystère. La consultation de ses statuts, déposés le 21 mars 2007 au bureau des associations de la préfecture de police de Paris, fait apparaître deux personnes qui préfèrent rester très discrètes. Outre Alain Soral, sont inscrits comme membres fondateurs Jildaz Mahé O’Chinal et Philippe Peninque. A vingt ans d’écart, tous deux ont milité activement au sein de la même organisation d’extrême droite étudiante, le Groupe union défense (GUD), réputé pour sa violence. La spécificité du GUD - autrefois basé à l’université de Paris II-Assas et aujourd’hui dissous - était de rassembler des adeptes de la provocation qui faisaient leurs premières armes en politique en cassant du "gauchiste".

Jildaz Mahé O’Chinal travaille aujourd’hui dans l’entreprise de communication Riwal, avec Frédéric Chatillon, qui était, dans les années 1990, le chef du GUD. Tous les deux avaient à l’époque fondé l’association sportive du Marteau de Thor, où les étudiants d’extrême droite s’entraînaient aux sports de combat. Frédéric Chatillon est aussi un ami de Dieudonné et d’Alain Soral. A l’été 2006, ils étaient ensemble au sud du Liban et en Syrie - où M. Chatillon a de nombreux contacts haut placés.

Lors d’un dîner à son domicile, Frédéric Chatillon a voulu présenter Dieudonné à Marine Le Pen, une de ses amies : "Quand j’ai appris que c’était pour me faire rencontrer Dieudonné sans me le dire, j’étais furieuse et je n’y suis pas allée", affirme la vice-présidente du FN. Enfin, M. Chatillon était présent au Zénith le 26 décembre, quand Robert Faurisson est monté sur scène lors du spectacle de Dieudonné.

Alain Soral et Marc George nient un quelconque rôle des anciens "gudards" dans Egalité et Réconciliation, sans doute en raison de l’image sulfureuse véhiculée par le GUD. M. Soral dit avoir rencontré MM. Mahé O’Chinal et Peninque "lors d’une fête de la Saint-Patrick". Lorsqu’il a fallu constituer le bureau de l’association, "ils ont accepté par amitié de prêter leur nom, explique-t-il, sans jamais s’y être investis en aucune façon". Et d’ajouter : "Ils ont d’ailleurs été remplacés à leur demande."

Or si les statuts ont bien été modifiés en septembre 2008 pour faire entrer Marc George et Julien Limes, il n’est nulle part fait mention d’un départ de MM. O’Chinal et Peninque. Contactés par téléphone, tous deux ont refusé de répondre, sur ce point comme sur d’autres, sans toutefois nier leur présence au bureau.

La matrice idéologique d’Egalité et Réconciliation emprunte à la ligne politique du GUD, impulsée par M. Chatillon au tournant des années 1990, quand ce dernier avait imposé un positionnement violemment antisioniste au nom de la défense de l’identité. Lors d’une manifestation de soutien aux Palestiniens, à Paris, le 24 janvier, Alain Soral et une partie de ses troupes ont ainsi tenté de défiler aux cris de : "Sioniste, casse-toi, la France n’est pas à toi !" A cette occasion, M. Soral déclarera : "Nous, patriotes français, (...) sommes traités en Palestiniens dans notre propre pays." Et il saluera "partout, au Venezuela, en Iran, en Russie, la nouvelle résistance qui se lève contre le nouvel ordre mondial sous imperium américain". Ce jour-là, Egalité et Réconciliation était hébergée dans le cortège du tout nouveau Parti antisioniste créé par le centre chiite radical Zahra, souvent représenté au Théâtre de la Main d’or de Dieudonné et assidûment courtisé par l’extrême droite.

C’est l’histoire d’un humoriste jadis opposé au FN et qui incarne la dernière provocation en date de l’extrême droite radicale.

 






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