Un homme d’affaires hollywoodien nommé à Paris, un banquier de Chicago en poste à Londres, un avocat californien en route pour Tokyo.
Plus de la moitié des ambassadeurs choisis par Barack Obama depuis son arrivée à la Maison Blanche ont été désignés selon des critères politiques, bien souvent en récompense de services rendus pendant la campagne électorale.
Les « political appointees » sont une pratique courante aux Etats-Unis. Mais le nouveau président, élu sur le thème du changement, n’a fait qu’accentuer la tendance, au détriment des diplomates professionnels.
Parmi les promesses de campagne de Barack Obama, figurait en bonne place la volonté de réduire le rôle de l’argent en politique. Fort de cet engagement, certains de ses partisans avaient espéré l’abandon de la vieille pratique, à laquelle ont eu recours tous les occupants de la Maison Blanche, qui consiste à récompenser d’une ambassade les généreux contributeurs et autres amis politiques. Mais sur la question des nominations d’ambassadeurs, le président américain a résolument préféré la continuité au changement.
L’ « American Foreign Service Association » (AFSA), tient scrupuleusement à jour une liste des titulaires d’ambassades à travers le monde, agrémentée de statistiques sur les nominations. Au 25 août 2009, sur les 65 ambassadeurs désignés par Barack Obama depuis son arrivée à la Maison Blanche, 27 seulement sont des diplomates de carrière. La majorité d’entre eux (38) ont été choisis sur des critères politiques. La nomination de ce qu’on appelle des « political appointees » est une tradition aux Etats-Unis, surtout dans des postes assez alléchants comme Londres, Paris, Rome ou encore les Bahamas. Ces dernières décennies, il y en avait en moyenne 30%. Mais Barack Obama n’a fait qu’aggraver la tendance, avec 58,5% de nominations politiques à ce jour. L’AFSA, qui préconise de ramener ce taux à 10%, a fait part de sa déception face à l’évolution actuelle.
La tradition des nominations politiques
La pratique des « political appointees » remonte au tout début de la démocratie américaine. Parmi les premiers titulaires du poste d’ambassadeur des Etats-Unis à Paris, on trouve Benjamin Franklin ou encore Thomas Jefferson, choisis en raison de leur poids politique dans leur pays, plus que pour leur expérience diplomatique. « La tradition vient de là », explique François Bujon de l’Estang, ambassadeur de France à Washington de 1995 à 2002.
Le profil des ambassadeurs nommés par Barack Obama
Parmi les 38 « political appointees », on dénombre une bonne quinzaine de personnalités ayant généreusement contribué à la campagne présidentielle de Barack Obama. Exemples choisis.
Charles Rivkin, ambassadeur à Paris. Né à Chicago il y a 47 ans, cet homme d’affaires californien s’est installé la semaine dernière dans la prestigieuse résidence des ambassadeurs des Etats-Unis, rue Saint-Honoré, à deux pas de l’Elysée, où il doit présenter prochainement ses lettres de créance à Nicolas Sarkozy. Diplômé de Harvard et de Yale, où il a étudié les relations internationales, Charles Rivkin est aujourd’hui un grand patron de Hollywood. Il a notamment dirigé la « Jim Henson Company » qui a produit le célèbre « Muppets Show », avec ses vedettes Peggy la cochonne et Kermit la grenouille. A ce titre, il connaît bien la France puisqu’il vient chaque année au Festival de Cannes. Son père a lui-même été ambassadeur des Etats-Unis, notamment au Sénégal et en Guinée, où Charles Rivkin a vécu enfant. C’est là qu’il a appris le français, qu’il parle couramment selon la Maison Blanche.
Outre ces qualités, Charles Rivkin était aussi le trésorier pour la Californie de la campagne de Barack Obama, pour laquelle il a récolté un demi-million de dollars. Il a également réuni 300 000 dollars pour l’investiture. « On demande traditionnellement aux grands donateurs ce qu’ils veulent comme récompense », commente John McArthur, directeur du magazine Harper’s et auteur d’Une Caste américaine, publié aux Arènes. Comme Rivkin aime bien la France, il a répondu : « J’aimerais bien être ambassadeur à Paris ».
Louis Susman, ambassadeur à Londres. A 71 ans, ce banquier de Chicago à la retraite est surnommé « l’aspirateur » pour ses performances, exceptionnelles, semble-t-il, dans la collecte de fonds pour les démocrates. À un journaliste qui lui demandait les qualifications de Louis Susman pour le poste d’ambassadeur des Etats-Unis au Royaume-Uni, Robert Gibbs, le porte-parole de la Maison Blanche, a répondu en plaisantant : « Il parle anglais ».
Source : RFI
John Roos, ambassadeur à Tokyo. Riche avocat de la Sillicon Valley, en Californie, il a lui aussi versé 500 000 dollars à la campagne Obama. Il n’a aucune expérience des relations internationales et ne parle pas le japonais. Hillary Clinton avait tenté de placer à Tokyo l’un des ses protégés, Joseph Nye, professeur à Harvard et spécialiste du Japon. Mais la secrétaire d’Etat a perdu la partie. La nomination d’un ambassadeur est du seul ressort du président des Etats-Unis, même si celle-ci doit être confirmée par le Sénat.
Les nominations politiques ne sont pas toujours motivées par des considérations purement financières. Certains des heureux élus ont un profil qui correspond parfaitement à leur nouveau poste.
John Huntsman, ambassadeur à Pékin. Républicain déclaré, il a été co-président de la campagne de John McCain en 2008. Il parle chinois et maîtrise parfaitement les subtilités des relations sino-américaines.
Miguel Diaz, ambassadeur au Vatican. Ce théologien catholique était le conseiller d’Obama sur les questions religieuses pendant la campagne présidentielle.
Les arguments en faveur des nominations politiques
Les défenseurs de la pratique de nominations politiques des ambassadeurs rappellent que la proximité de la personnalité choisie avec l’hôte de la Maison Blanche peut être un atout pour le pays d’accueil. Ainsi la milliardaire Pamela Harriman, belle-fille de Winston Churchill, nommée à Paris par Bill Clinton pour l’épaisseur de son chéquier, s’est révélée être une ambassadrice de grand talent. « Quand on faisait passer un message politique à Pamela Harriman, on pouvait être sûr que dans l’heure qui suivait, il était sur le bureau du président », se souvient le diplomate français François Bujon de l’Estang. Les nominations politiques promeuvent également une certaine diversité au sein des ambassades américaines, qui ne s’appuient pas exclusivement sur une caste de diplomates professionnels. « Pour moi, tout individu, quels que soient son parcours ou son origine sociale, peut faire un bon ambassadeur », estime Aaron Miller, qui fut le conseiller de six secrétaires d’Etat, républicains et démocrates, de James Baker à Colin Powell.