L’Allemagne attend 800 000 migrants cette année, pour la plupart jeunes et souvent bien formés. Les entreprises se réjouissent de ce réservoir inespéré de main-d’œuvre
L’Allemagne s’attend à devoir accueillir cette année 800 000 demandeurs d’asile. Pour les communes, qui doivent loger les requérants, cet afflux pose des difficultés souvent insurmontables. En revanche, les entreprises se réjouissent de cet apport inespéré en main-d’œuvre potentielle alors que la population allemande vieillit. La République fédérale est en train de développer un modèle d’intégration des migrants inédit en Europe. Plus de la moitié ont moins de 25 ans, alors qu’un quart des Allemands sont dans cette tranche d’âge.
Depuis des années, les chambres de commerce et d’industrie tirent la sonnette d’alarme : « Dans les 130 métiers de l’artisanat qui nécessitent un apprentissage, on a un grave déficit en termes de relève, souligne le porte-parole de la Fédération des artisans allemands ZDH, Alexander Legowski. Depuis longtemps, nous tentons activement de recruter des migrants. Malgré de nombreux obstacles administratifs. »
En cette période de rentrée scolaire, 80 000 postes d’apprentis sont restés non pourvus en Allemagne. « De nombreux requérants – surtout les Syriens ou les Irakiens – viennent en République fédérale avec une bonne qualification dans des domaines recherchés sur le marché du travail, constate la Fédération des employeurs allemands BDA, dans un document. Les personnes sans papiers mais non expulsables (n’ayant pas obtenu l’asile politique, mais qu’on ne peut renvoyer dans un pays en guerre, ndlr) devraient obtenir immédiatement un permis de travail. De plus, les requérants doivent pouvoir participer le plus tôt possible à des cours de langue et recevoir l’assurance qu’ils ne seront pas expulsés tant qu’ils sont en cours de formation. »
Sous la pression du patronat, le gouvernement a déjà assoupli les conditions d’accès au marché du travail. Depuis novembre 2014, les requérants sont autorisés à travailler ou à entamer une formation professionnelle dès trois mois après leur arrivée dans le pays, au lieu de neuf mois auparavant. En Europe, seule la Suède ouvre les portes de ses entreprises dès l’arrivée des migrants. Autre requête du patronat allemand : les entreprises ne seront plus obligées dès novembre prochain de soumettre leur projet d’embauche d’un requérant à l’Agence pour l’emploi, qui devait jusqu’alors vérifier qu’aucun candidat allemand ou membre de l’UE ne pouvait prétendre à l’emploi.
Mais, malgré cet assouplissement, les obstacles sont encore nombreux pour les migrants qui veulent travailler. Les crédits manquent pour les cours de langue. Et surtout la loi – qui ne leur permet pas d’accéder au marché du travail temporaire – n’offre toujours aucune garantie que le jeune en cours de formation ne sera pas expulsé à l’issue de l’examen de son dossier de requérant. « Tant que le processus d’évaluation n’est pas achevé, le patron reste dans l’incertitude de savoir si son employé pourra mener sa formation jusqu’au bout, remarque Wido Geis, de l’institut en recherche économique de Cologne IWf. Cette incertitude n’est pas gérable pour une entreprise. » D’où la pression exercée par le patronat, qui réclame la règle dite du « 3+2 » : l’assurance qu’un demandeur d’asile en formation pourra rester en Allemagne les trois années de sa formation puis deux années qui permettront à son patron de rentabiliser l’investissement engagé.
Daimler fait partie de ces entreprises favorables au « 3+2 ». Le constructeur automobile a recruté plusieurs réfugiés en tant que stagiaires ou apprentis dans quatre de ses usines. « Des cas isolés pour l’instant, à cause de l’incertitude juridique », précise le service de presse du groupe. « Nous ne sommes pas encore satisfaits avec les modifications apportées à la loi », insiste Alexander Legowski pour qui les politiciens sont « trop frileux ».
Le boulanger Martin Dries est un des pionniers du recrutement de requérants d’asile. 250 salariés sont employés dans cette entreprise familiale de la région viticole de Rheingau, près de Rüdesheim. Les premiers migrants, embauchés dans les années 90, viennent du Kosovo, de Croatie ou d’Ethiopie. Les derniers embauchés viennent d’Afghanistan, de Syrie ou de Turquie. Ils travaillent au fournil, dans la livraison ou la distribution. « Sans tous ces migrants, bien des entreprises mettraient la clé sous la porte, estime le patron. Une grande partie de ceux que j’ai recrutés voici vingt-cinq ans sont toujours là. Les réfugiés deviennent un jour des salariés irremplaçables ! »
Plusieurs initiatives d’aide aux réfugiés s’impliquent pour faciliter leur accès au marché du travail. Fin juillet naissait ainsi Workeer.de. Ce portail lancé par deux étudiants en fin de formation met en contact employeurs et demandeurs d’asile. Des centaines d’offres sont recensées sur le site, de l’assistant dentiste au monteur, en passant par l’employée d’hôtellerie ou le fleuriste. Jamil Badra, 32 ans, Abkhaze originaire de Damas, cherche un emploi dans l’orfèvrerie ou la vente de voitures. Ayham Al Kafri, 26 ans, ingénieur originaire de Damas parlant couramment l’anglais cherche un stage ou un emploi d’ingénieur en bâtiment… « Nous nous sommes demandé ce que nous pourrions faire pour aider les réfugiés, et avons eu cette idée de bourse pour l’emploi, explique David Jacob, 24 ans et cofondateur de Workeer.de. Un des grands problèmes des réfugiés est qu’ils restent des journées entières à ne rien faire. » Alors que le pays souffre d’un manque grandissant en main-d’œuvre qualifiée.