Alexandre Adler – surnommé « Triple-Crème » par les gauchistes féroces de PLPL – est un journaliste français aux origines juives russe et allemande par ses parents. Spécialiste du tout et son contraire en géopolitique, à l’image de son parcours (socialiste, puis communiste, puis franc-maçon, et enfin néoconservateur), il est un peu le prédécesseur d’Attali en matière de proximospective plus ou moins foireuse. Interrogé par le site communautaire juif Akadem, le gros de ce monde donne libre cours à la vanité de celui qui a rencontré et impressionné tous les grands de ce monde, ou presque. Ici, il raconte une anecdote qui montre qu’il a tenu tête à Poutine.
Adler : C’est arrivé avec David de Rothschild qui a avec moi des liens extrêmement étroits. Quand on est avec des personnages de ce genre, il y a à la fois pour les gens, ils sont un peu obséquieux parce qu’ils essayent évidemment d’être bien vus, donc ça, ça déplaît, évidemment, et cette obséquiosité est compensée au fond par une agressivité... Or, ça je le vois parce que j’ai toujours un accès très facile à toutes ces personnalités, toutes sauf probablement Jospin que je n’arrivais pas à prendre au sérieux, oh ben parce que Jospin son père est l’un des auteurs du manifeste « Mourir pour Dantzig », avec Marcel Déat et Alain. Mais le fait de manifester qu’il ne fallait pas faire la guerre en 1936 pour Dantzig, mourir pour Dantzig, ça c’est resté chez moi et je considère que Jospin n’est pas de mon milieu.
Akadem : Mais il y a un puissant de ce monde et pas n’importe lequel, avec lequel le courant n’est pas passé entre vous et lui, c’est Vladimir Poutine.
Adler : Alors j’avais fait un voyage de tourisme en Russie à l’époque [en 2006, NDLR] où les Russes voulaient un petit peu renouer avec tout cela, et j’étais allé jusqu’en Sibérie, c’était d’ailleurs très intéressant, et Hélène Carrère d’Encausse pour les mêmes raisons que moi l’avait fait, donc elle est témoin de cette histoire. Là-dessus nous sommes invités à un débriefing amical chez Poutine, et Poutine bien entendu dans sa mégalomanie habituelle a choisi pas n’importe quel endroit mais la célèbre datcha la blijnia, la « lointaine » [en fait blijnia datcha signifie la « datcha proche » ; il s’agit de la datcha de Kountsevo, NDLR] qui est un peu la banlieue de Moscou, qui elle-même a vu la mort de Staline. Et donc il a occupé les lieux et il voulait nous recevoir là-bas, et comme on dit là-bas il avait mis les petits plats dans les grands. Et non seulement il m’avait bien reçu, il m’avait très bien reçu puisqu’il avait mis – c’est un garçon qui connaît l’étiquette russe, puis il s’était documenté –, et donc il avait mis Hélène Carrère d’Encausse tout à sa droite, ce qui est tout à fait normal, puisqu’elle est secrétaire perpétuelle de l’Académie française, pas que pour cela mais pour toutes les raisons du monde, et puis parce qu’elle est princesse Orlov. Ah oui, elle est quand même la descendante directe d’Orlov, l’amant de Catherine la Grande...
Akadem : Et vous à sa gauche alors ?
Adler : Et moi à sa gauche. C’était donc tout à fait pour m’honorer moi aussi et bien entendu s’il m’honorait c’était à cause de mon père. Il a quand même un KGB qui est là pour... Et puis pas connaître mon père c’était difficile pour eux... On est donc tous assis comme ça et à un moment donné, chacun y va de sa question. Et il fallait poser des questions insidieuses. Et moi, malheureux, je lui pose une vraie colle, et comme il est paranoïaque, il a cru que cette question était inspirée par ses ennemis qui étaient là, parce qu’il a toujours des ennemis, pour lui. Il est complètement dans la folie stalinienne... Je lui dis je ne comprends pas pourquoi – il l’avait fait d’ailleurs – vous avez fait une OPA hostile pour entrer dans EADS, EADS à l’époque c’était l’esquisse d’une défense européenne commune à la Belgique, à la Hollande, à la France et à l’Allemagne. Je dis là vous avez fait quelque chose qui est quand même compliqué parce que c’était la clé de la naissance d’un arsenal purement européen, pas américain, et là en rentrant vous perturbiez tout. Ma question est donc : pourquoi ne pas avoir choisi Airbus, à l’époque Airbus c’était purement civil, où au fond ça ne posait aucun problème, et vous auriez pu entrer dans Airbus sans histoires, mais pas EADS, parce que là vous touchiez aux problèmes de défense, pourquoi avez-vous fait ça ?
Alors là j’ai eu l’impression qu’il a eu envie de me casser la gueule. Comme il est paranoïaque, il a pensé que la question avait été inspirée par des gens qui savaient et qui lui ont envoyé ça dans les dents. Et donc il a pensé que j’étais leur truchement [Alexandre rote], et donc que toutes les bonnes dispositions qu’il avait à mon encontre s’étaient transformées. Il s’accrochait au bastingage parce qu’il voulait se lever et me foutre une baffe. (...) Il était là à brûler de haine et à ce moment-là il m’a répondu et sa réponse est extraordinaire parce qu’il a fait un éloge d’Israël. Et il m’a dit mais écoutez, non seulement je n’ai pas peur de votre distinction entre les affaires militaires et les affaires civiles, c’est ridicule, grotesque, enfin il m’a injurié, et il m’a dit d’ailleurs je vous en donne la preuve, nous avons d’excellentes coopérations avec des pays qui ne sont pas dans l’OTAN et avec lequel nous avons une coopération de défense, je vous en donne un, me dit-il, triomphant, et là c’est comme si il m’avait écrasé, il me dit Israël.
Akadem : Il savait exactement ce qu’il faisait en faisant ça.
Adler : Bien entendu, il voulait – je traduis mon Poutine parce que je savais traduire comme je savais traduire mon père –, il dit, tu vois, sale juif, toi tu es un petit dégonflé et tu louvoies pour essayer de te cacher et moi, moi qui suis un héros, moi je dis les choses, j’aime Israël. Et ça tu n’en est pas capable.