Depuis le 28 novembre, le journal le Monde publie chaque jour un ou plusieurs articles traitant des « révélations » du site fondé par Julian Assange. Le quotidien du soir est l’un des partenaires de WikiLeaks, aux côtés du Guardian, du New York Times, d’El Pais et du Spiegel. Critiqué par nombre de ses pairs, le Monde a justifié ainsi sa démarche : « A partir du moment où cette masse de documents a été transmise, même illégalement, à WikiLeaks, et qu’elle risque donc de tomber à tout instant dans le domaine public, Le Monde a considéré qu’il relevait de sa mission de prendre connaissance de ces documents, d’en faire une analyse journalistique, et de la mettre à la disposition de ses lecteurs ». Mais la sélection réserve parfois des surprises…
La tempête politico-médiatique déclenchée par la publication des documents WikiLeaks semble donner raison, a posteriori, au Monde, notamment contre tous ceux qui ont tenté d’affirmer, malgré les évidences, que les télégrammes révélés par WikiLeaks « ne nous apprenaient rien ».
Il s’avère néanmoins que le Monde a « oublié » un câble adressé au Secrétariat d’Etat états-unien par l’ambassade des Etats-Unis à Paris. C’est le câble 07PARIS306, consultable (en anglais) sur le site de WikiLeaks. A l’heure actuelle, le Monde ne s’en est pas fait l’écho. C’est bien dommage. On découvre en effet dans ce document, qui traite des « communautés musulmanes en France », l’instructif point de vue de l’ambassade à Paris sur les médias français. Entre autres :
« 17. Les grand journalistes français sont souvent issus des mêmes écoles d’élite que de nombreux responsables gouvernementaux. Ces journalistes ne considèrent pas nécessairement que leur rôle premier soit de surveiller le pouvoir exécutif. Nombre d’entre eux se voient plutôt davantage comme des intellectuels, et préfèrent analyser les événements et influencer leurs lecteurs plutôt que de rapporter les événements.
18. Le secteur privé des médias en France (presse écrite, TV et radio) continue d’être dominé par un petit nombre de conglomérats, et l’ensemble des médias français sont davantage régulés et soumis aux pressions politiques et commerciales que leurs homologues américains. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, créé en 1989, nomme les dirigeants de l’ensemble des chaînes TV et stations de radio publiques et surveille leur contenu politique.
19. L’accès à internet se développe de manière continue en France, notamment chez les jeunes générations, et remplace rapidement les médias traditionnels. Toutes les grandes chaînes de télévision et stations de radio ont leur propre site internet, tout comme les grands organes de presse écrite. Les blogs sont un moyen de communication de plus en plus populaire pour les minorités et les ONG, qui les utilisent pour exprimer des opinions qu’ils estiment ne pas retrouver dans les médias traditionnels ».
« Transparence et discernement ne sont pas incompatibles », écrivait Sylvie Kauffman, directrice de la rédaction du Monde, dans l’article cité plus haut. Le moins que l’on puisse dire est que le Monde semble, dans le cas du câble 07PARIS306, avoir davantage mis l’accent sur une certaine forme de discernement que sur la transparence. Le quotidien a sans doute estimé que cette information WikiLeaks était nettement moins digne d’intérêt que celles concernant l’Iran, le Vatican, le Pérou, le Kenya, la Chine ou le Maroc.
Et pourtant, ces quelques lignes rédigées par l’ambassade des Etats-Unis mériteraient d’être largement diffusées et, pourquoi pas, commentées par le Monde (et les autres usagers médiatiques de WikiLeaks). Certains silences sont au moins aussi révélateurs que certaines prises de position, aussi justes soient-elles. Cet avis d’Acrimed n’équivaut pas, chacun l’aura compris, à un soutien à la diplomatie états-unienne et à ses jugements sur les médias français qui pourraient être retournés contre les médias d’outre-atlantique.