Elle est belle. Ses longs cheveux noirs masquent à peine l’or de ses boucles d’oreille et retombent sur un discret collier. Son visage aux traits fins est celui d’une adolescente : Nayirah a quinze ans.
Mais malgré son jeune âge, ce 10 octobre 1990, elle s’exprime crânement devant les représentants des Comités des droits de l’Homme des deux chambres du Congrès américain, même si parfois sa voix s’embue et qu’une larme perle au coin de ses yeux.
Nayirah – un prénom d’emprunt destiné à la protéger, elle et sa famille, ont affirmé le Démocrate Tom Lantos et le Républicain John Forter – raconte. Engagée comme volontaire à l’hôpital koweïtien al-Addan peu après l’invasion de son pays par les forces irakiennes, elle a été témoin de scènes effroyables. Des soldats armés ont pénétré de force dans la maternité. Ils ont arraché les bébés des couveuses où ils reposaient, se sont emparé des incubateurs et ont précipité sur le sol ces enfants prématurés qui ont agonisé dans le froid.
L’adolescente pleure. Sénateurs et représentants sont saisis par l’émotion. La frêle Nayirah a parlé six bouleversantes minutes.
L’information ne tarde guère à franchir l’enceinte du Congrès. Elle est reprise par tous les médias. La conclusion fait l’unanimité : Saddam Hussein, chef suprême d’une armée capable de se livrer à des actes aussi ignominieux, ne peut être lui-même qu’un monstre !
Cette histoire, battue et rebattue, sera l’un des arguments décisifs employés par tous ceux qui voulaient à tout prix en découdre avec le dictateur irakien. Mais c’est seulement après la guerre qu’on découvrira que Nayira avait tout inventé…
Et pour Monsieur X, l’histoire des couveuses n’est que le spectaculaire sommet d’une manipulation qui a commencé bien plus tôt. Un prodigieux bobard qui a quand même conduit à la mort des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.