La presse revient sur la polémique liée à l’introduction au lycée d’un enseignement inspiré de la théorie du genre dans les manuels de SVT de première, prévus pour la rentrée 2011 par l’Éducation nationale.
Selon la théorie du genre, la différence entre l’homme et la femme relève d’un "genre social" sans lien avec le sexe biologique, trop déterminant quant à l’identité masculine ou féminine. La différence des sexes et l’hétérosexualité sont conçues comme des constructions sociales. Dans ce cadre, le masculin, le féminin et la sexualité sont à redéfinir "en termes d’ "orientation" choisie, et non plus d’identité inscrite dans le corps".
Dans Le Monde.fr, l’Institut Emilie du Châtelet, qui vise à promouvoir les recherches sur les femmes, le sexe et le genre, réagit aux critiques émises notamment par les associations familiales catholiques et par Christine Boutin, présidente du Parti chrétien-démocrate, dans une lettre ouverte adressée au ministre de l’Education nationale Luc Chatel.
"Comment peut-on présenter dans un manuel, qui se veut scientifique, une idéologie qui consiste à nier la réalité : l’altérité sexuelle de l’homme et la femme ?" y interrogeait Christine Boutin. Les membres de l’IEC estiment quant à eux que le refus d’enseigner le genre aux adolescents constituent une "censure archaïque" et affirment s’élever "avec force contre des conceptions anti-scientifiques qui s’autorisent du "bon sens" pour imposer leur ordre rétrograde". Selon eux, "on ne naît pas femme ni homme [...] on le devient. [...] en démocratie, l’anatomie ne doit plus être un destin".
Pour d’autres, cette installation de la théorie du genre dans le système éducatif français porte gravement atteinte "à la liberté de conscience et d’éducation des familles", notamment en matière de sexualité, d’autant plus que la théorie enseignée se présente comme une science.
Il s’agit en effet de "faire transiter des notions philosophiques très controversées dans un enseignement de nature scientifique. [...] Il ne s’agit pas ici de discussion mais d’injonction. Ce sont de grands adolescents qui apprendront le gender sans avoir été préparés à l’évaluation d’élucubrations hautement contestables" observe Gérard Leclerc dans Valeurs actuelles. "Considérer une théorie comme une donnée scientifique, c’est de l’idéologie" relève le philosophe Fabrice Hadjadj.
Née aux Etats-Unis sous l’influence des penseurs français de la déconstruction tels que Michel Foucault et Jacques Derrida (la French Theory), la théorie du genre a d’abord été un outil idéologique d’un féminisme militant. Toutefois, en s’attaquant radicalement à la différence des sexes, c’est plus largement "l’ensemble des relations humaines qui se trouve mis en examen".
"Le radicalisme anti-essentialiste" tel qu’il est défendu par Judith Butler, chef de file de la théorie du genre, pose en réalité de nombreux problèmes dès lors qu’il évacue le corps ainsi que le fait remarquer Jean-Claude Guillebaud dans son dernier ouvrage La Vie vivante. "Ce n’est pas la force du langage qui impose la réalité sexuée. Celle-ci se venge, dès lors qu’elle apparaît pour ce qu’elle est" souligne Gérard Leclerc. "Le constructivisme absolu ne concerne pas seulement l’identité sexuée, elle met en péril l’identité humaine tout court".
Dans le même sens, le philosophe Jean-François Mattei, membre de l’Institut universitaire de France, montre, dans Le Figaro, comment la théorie du genre "veut en finir avec l’humanisme occidental depuis la Renaissance afin d’abolir toute forme d’universalité". Les gender studies américaines ne peuvent être comprises si l’on y voit uniquement un "avatar du féminisme" souligne-t-il. Attaquant la différence entre l’homme et la femme, le genre annule, "avec leur identité propre, leur inclusion dans la catégorie de l’humain".
A partir d’un "énoncé purement performatif", la théorie du genre avance que les différences entre le masculin et le féminin sont "les effets pervers de la construction sociale" mais ne se demande jamais "pourquoi les sociétés humaines ont toujours distingué les hommes et les femmes, ni sur quel fond l’édifice grammatical, culturel et politique prend appui". Le gender n’interroge pas cette permanence des sociétés humaines. En outre, de la même façon que les queer studies et les multicultural studies, les gender studies "ont le souci de miner, par un travail de sape inlassable, les formes d’universel dégagées par la pensée européenne".
Judith Butler soutient en effet que le genre "constitue une critique de la représentation occidentale et de la métaphysique de la substance qui structure l’idée même de sujet". Ainsi, en se débarrassant "du sexe, de l’homme, de la femme et du sujet pris dans la forme de l’humanité", on entraine, "par une série de contrecoups, la destruction de l’humanisme [...] et, plus encore, la destruction de la République, de l’Etat et de la rationalité". En marche "vers un monde sans oppression qui, délivré du sexe, sera bon chic bon genre", l’humanité future, telle que la souhaite le gender, rejoindrait alors le diagnostic effectué par Michel Foucault : "l’ ’homme’ est bien, en Occident, une ’invention récente’ dont le visage de sable s’efface peu à peu ’comme à la limite de la mer’".
Le dignité humaine s’affirmera-t-elle à l’encontre de qui veut la déconstruire ?