Le nationalisme des intellectuels conservateurs est-il un obstacle à la justice sociale ? Débat.
Y a-t-il vraiment, au Québec, une guerre culturelle entre les conservateurs et les progressistes ? Les professeurs Francis Dupuis-Déri (UQAM) et Marc-André Éthier (UdeM) le croient. Dans l’introduction de La guerre culturelle des conservateurs québécois, un ouvrage collectif costaud dont ils assurent la direction, ils écrivent qu’une lutte politique bien réelle existe « entre une conception progressiste et une conception conservatrice des enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels ».
La guerre en question, ici, se déroule dans le champ intellectuel et est passionnante. Elle oppose, principalement, des penseurs associés au nationalisme conservateur (Mathieu Bock-Côté, Éric Bédard, Jacques Beauchemin, de même que, dans un registre un peu différent, Gilles Labelle et Éric Martin) à des penseurs qui se réclament du progressisme, c’est-à-dire, notamment, les intervenants réunis dans ce livre ainsi que Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture, auteurs de l’essai Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec (Québec Amérique, 2012).
Les conservateurs peuvent être de droite ou de gauche, mais se rejoignent dans leur attachement à l’État-nation québécois et dans leur critique d’une « société des identités », selon la formule de Jacques Beauchemin, en proie à l’éclatement. Les progressistes, quant à eux, revendiquent tous leur appartenance à la gauche et trouvent leur unité dans leur refus du conservatisme de leurs adversaires, accusés d’abandonner les opprimés de toutes sortes.
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Ces visions de l’histoire déterminent les convictions politiques des deux groupes quant aux enjeux du présent. Les conservateurs insistent sur l’importance de la cohésion sociale. Pour cette raison, ils souhaitent le raffermissement du « nous » national, qu’ils croient menacé par la fragmentation identitaire (c’est-à-dire la multiplication des « nous » sociologiques : les femmes, les groupes ethniques, les jeunes, les homosexuels, etc.).
Quand ils sont de gauche, comme Éric Martin surtout, ces conservateurs mettent en avant la nécessité de valoriser, dans la lutte contre l’injustice sociale, les institutions à même de permettre une résistance commune, c’est-à-dire, entre autres, la nation, l’État et l’école. Pour eux, les autres luttes (féministe, homosexuelle, écologiste, étudiante, etc.) sont secondaires et mènent souvent à un individualisme qui favorise le néolibéralisme.
La lutte pour l’indépendance, par exemple, concerne tous les Québécois. Si on lui impose d’être du même souffle féministe, écologiste (ou de gauche, diront les conservateurs de droite), on multiplie les occasions de frictions et on court à l’échec. On n’obtient ainsi ni l’indépendance ni le reste.
Partisan d’une gauche de tendance anarchiste, Francis Dupuis-Déri se reconnaît dans l’anticapitalisme des conservateurs de gauche (Freitag, Martin), alors qu’il rejette en bloc le conservatisme de droite (position qu’il attribue à Bock-Côté, notamment), mais il n’adhère pas à leur souci cardinal de la cohésion sociale, qui les mène, croient-ils, à négliger d’autres causes essentielles, dont le féminisme.
« La diversité, écrit Dupuis-Déri, n’est pas une faiblesse par effet de fragmentation, mais au contraire une force en raison des possibilités de coalition ». Force est de constater, cependant, que la situation du Québec actuel semble plutôt donner raison aux conservateurs.
Dupuis-Déri et Éthier n’ont certes pas tort de constater qu’il y a bien, au Québec, une guerre culturelle entre les intellectuels conservateurs et leurs opposants progressistes. Le problème, c’est que ce sont les fédéralistes affairistes et les néolibéraux de tous poils qui la gagnent sans se battre.