Lorsqu’on observe l’histoire des formes musicales du XXème siècle, l’expression « vendre son âme au diable » prend tout son sens.
Qu’il s’agisse du Jazz ou du Hip Hop, les courants musicaux contestataires sont bien souvent victimes d’une prostitution (à en faire rougir de honte les plus putes des hommes politiques).
Quel amoureux de musique n’a pas éprouvé dégoût et tristesse en se remémorant les belles années Hip-Hop, celles des Suprême NTM, des IAM, des Assassin, et j’en passe. Allons, assumons notre nostalgie : c’était mieux avant. D’ailleurs, pour s’éviter d’inutiles souffrances, il convient d’éviter de comparer ce courant musical à ce que Skyrock nomme aujourd’hui le « Rap Français ». Mais, par un souci scientifique, essayons de comprendre. Que s’est-il passé en seulement 20 ans pour que le Hip-Hop se dégrade à ce point ?
Rappelons-nous. En 1991, Suprême NTM sort son premier album. A cette époque, le Rap qui se développe en France est un réel mouvement de contestation, qui exprime à la fois la douleur profonde de la vie en Banlieue et une profonde haine pour la société capitaliste. Certes, la forme est parfois violente (mais jamais aussi agressive que la voix de Bob Dylan dans son Never Ending Tour), mais elle s’inscrit dans une logique cohérente : celle de la lutte.
Par ailleurs, si les rappeurs incitent parfois les jeunes de banlieue à « fumer des splifs », rappelons-nous qu’ils ne sont pas les premiers drogués de l’histoire de la musique (de l’héroïne de Miles Davis à la LSD du Velvet Underground). Le message global n’est pas toujours joyeux, mais il est souvent d’une grande justesse. Dans le dernier album de Suprême NTM (en 1998), on trouve ainsi un message aux parents de Banlieue dans Laisse pas traîner ton fils :
"Que voulais-tu que ton fils apprenne dans la rue ? Quelles vertus croyais-tu qu’on y enseigne ? T’as pas vu comment ça pue dehors, Mais comment ça sent la mort […] Ton cerveau te fait défaut, puis fait des bonds Et c’est vraiment pas bon, quand t’en perds le contrôle Quand pour les yeux des autres tu joues de mieux en mieux ton rôle Ton rôle de « caï-ra », juste pour ne pas Qu’on te dise : « Voilà, tu fais plus partie de la mille-fa d’en bas".
Ici, Kool Shen évoquait une aliénation propre à la banlieue, celle de la rue. Les issues sociales officielles étant bouchées, les jeunes dans les quartiers sensibles étaient (et sont toujours) quasiment contraints d’envisager une autre solution. En effet, le réseau social des familles pauvres et issues de l’immigration est à peu près aussi développé que leur capital culturel « légitime » (donc très faible). Le commerce illicite apparaît alors comme l’une des seules solutions si l’on veut échapper à la manutention ou aux travaux dans le bâtiment. Le choix est simple, c’est soit travailler dur pour peu d’argent (et se démettre au passage quelques vertèbres), soit faire valoir l’authentique - quoique peu académique - talent de commerçant des méditerranéens au-bas des immeubles de banlieue.
Dans un second temps, notre ami rappeur évoque un autre problème, de fond cette fois-ci : l’éternel problème du conformisme. Aussi rusés et philosophes soient-ils, les banlieusards n’ont que rarement le loisir – situation d’inconfort oblige – de méditer sur les questions existentielles de l’homme. Aussi, les parents n’ont que trop rarement la compétence (et le temps, vu qu’en banlieue même les femmes travaillent) pour enseigner à leurs enfants la dialectique des relations humaines. Or, les adolescents en banlieue – en plus d’être dans une période de trouble intérieur – sont multi-déterminés par les facteurs suivants : manque d’argent (donc pas d’accès à la consommation), qui entraîne un manque conséquent de notre culture (une barrière immense pour s’en sortir) d’où résultent le fort conformisme et l’effet de meute. La haine immense de ces jeunes troublés et écorchés provient de ce cercle – pour le moins vicieux – ainsi que de l’impitoyable stimulation médiatique des nerfs de ces malheureux. Mais ceci n’est qu’un rappel destiné à illuminer notre recherche. D’ailleurs, ces deux problématiques, nous allons tôt faire de les retrouver.
Pour en revenir au Hip-Hop, c’est simple. Une fois de plus, la logique marchande l’emporte grâce à son éternel atout : l’oseille. Le principe de base pour détourner un mouvement culturel de son but initial, c’est de l’intégrer dans un autre système. Évidemment, c’est bien plus subtil et vicieux que d’envoyer les contestataires dans un joli camp de travail au nord de la Sibérie.
Pour cela, la société marchande détient un moyen infaillible, qui a aussi bien marché pour le Jazz, pour le Punk que pour le Rap. Les contestataires ont toujours une raison pour contester. Or, il s’agit toujours (ou presque) de l’argent (s’il est aujourd’hui mal vu d’être marxiste, établir un parallèle entre l’homme social et sa condition économique n’a rien d’une utopie : c’est une vérité sociologique). On sait bien que les pionniers du Jazz étaient pauvres (et victimes de la ségrégation raciale aux États-Unis). C’est la même chose pour le Rap en France. Le système capitaliste s’appuie sur cette pauvreté (et donc sur le désir humain naturel d’améliorer sa situation) pour acheter les dissidents, et les rallier à sa cause.
La question qui suit naturellement est la suivante : comment peut-on savoir qu’il s’agit d’un détournement orchestré ? Ne s’agit-il pas juste d’un soudain amour populaire pour le rap, qui aurait propulsé ses artistes en haut du hit-parade ? Encore une fois, il y a une réponse très simple. On remarque les albums les mieux vendus dans le Hip-Hop ne sont pas ceux à haute teneur subversive, mais bien ceux que je nommerai par euphémisme les « merdes sans fond ».
D’ailleurs, les Suprême NTM ont été traînés en justice pour leurs propos dérangeants, tandis que les Booba, La Fouine et autres tanches au bras long n’ont jamais dérangé que les honnêtes gens. C’est bien ici une preuve que ces arnaqueurs ont bien repris l’étiquette Hip-Hop pour détourner celui-ci de son but initial. Même Kool Shen (qui fut pourtant un des plus grands) a souhaité un jour faire gonfler ses économies, là où la raison originelle de son existence sociale était de véhiculer un message fort et cohérent pour représenter les banlieues. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter « Un Ange dans le ciel » (qui ressemble plus à une chanson de Céline Dion qu’à un réel morceau de Hip-Hop).
Le Hip-Hop aujourd’hui a du plomb dans l’aile. Les médias dominants refusent la subversion, et empêchent ainsi aux mouvements culturels d’avoir une quelconque utilité. Les artistes censés représenter la banlieue dans la vie culturelle de notre pays sont bien loin.
Dressons d’ailleurs une petite liste des vendus primitifs qui peuplent le paysage du rap français :
Booba jadis pionnier, aujourd’hui l’équivalent de David Guetta dans le milieu (auteur des célébrissimes maximes « j’trempe mon pénis dans l’eau bénite » ou encore « fais-moi la bise puis suce moi la bite »).
Joeystarr : surnommé « la pucelle », qui a récemment fait un scandale, ne voulant pas monter sur scène pour cause de pluie dans un festival dans lequel il était programmé (festival Terres du son). C’est triste pour un type issu de la banlieue et qui sort de prison, de ne pas avoir le courage d’affronter la pluie.
Diam’s : rappeuse féministe, sentimentaliste s’essayant parfois à la politique de comptoir, bref, du Brut de femme comme on aime (Dieu merci, elle n’a plus rien créé depuis 3 ans).
La Fouine : la légende dit qu’il est dans un état constant de mort cérébrale dû à une trop forte concentration de THC dans son système nerveux (d’où le pseudonyme).
Sexion d’assault : Si vous ne connaissez pas ce collectif virtuose en philosophie et poésie (dont la thèse pourrait globalement se résumer à : « les soirées le samedi soir, quelquefois ça me déçoit »), sachez que j’admire votre incroyable chance. Heureusement, il existe une scène hip-hop plus alternative, dont l’existence médiatique est très souvent due à l’internet (dont je vous conseillerais volontiers quelques artistes en fin d’article).
Le Hip-Hop français, s’il est au départ l’expression d’un mal-être en banlieue a très vite été racheté par la société marchande. La métamorphose d’une forme langagière subversive et revendicatrice en outil de domination n’a guère attendu, l’aspect symbolique originel du courant ayant été amputé au profit du simple loisir (ou même valorisation sociale de la connerie, dans de nombreux cas).
Aujourd’hui, impossible de compter sur Skyrock pour promouvoir ceux dont l’intelligence a permis la création de nombreuses œuvres de qualité. La solution en la matière reste l’internet, qui apparaît aujourd’hui comme l’ultime bastion des dissidents et des Hommes d’honneur (ceci est vrai pour la musique, mais aussi pour le reste : n’est-ce pas M. Soral ?).
La route est longue vers la reconnaissance des artistes authentiques. Mais, je crois qu’il est de notre devoir de citoyen de savoir distinguer certains d’entre eux pour leur courage et leur foi, ainsi que leur talent. Qu’il s’agisse de rap pur ou qu’ils expérimentent le slam, les artistes proposés plus bas sont tous restés fidèles au message d’origine du Hip-Hop français.
Voici les quelques artistes de qualité que je vous suggère :
Pour les anciens : Suprême NTM, IAM, Assassin, Mc Jean Gabin, Mc Solaar…
Pour les plus récents : Sniper (les débuts), Kenny Arkana, La Rumeur…
Et le Slam : Oxmo Puccino, Abd al Malik…