Dans une tribune publiée ce matin par le Financial Times, l’économiste américain Nouriel Roubini, qui avait été l’un des rares à prédire la crise financière de 2008, annonce l’explosion de l’euro d’ici moins de cinq ans, « en particulier si certaines des économies périphériques stagnent ». Pour Roubini, la solution d’une sortie de l’union monétaire risque d’être bientôt envisagée sérieusement, « les avantages à y rester étant plus faibles que les bénéfices d’en sortir ».
Combien de temps reste-t-il à l’Euro ?
L’approche confuse de la crise de l’euro-zone a échoué dans la résolution des problèmes fondamentaux de divergence économique et de compétitivité au sein de l’Union. Si cette situation se poursuit, l’euro s’orientera vers une restructuration désordonnée de la dette, et éventuellement vers un éclatement de la zone monétaire elle même, certains de ses membres plus faibles se trouvant en situation de faillite.
L’Union économique et monétaire n’a jamais vraiment satisfait aux conditions d’une zone monétaire optimale. A la place, ses dirigeants espéraient que l’absence de politiques monétaire, fiscale et de taux de change forcerait à son tour une accélération des réformes structurelles. Celles-ci, espérait-on, verraient la productivité et les taux de croissance converger.
La réalité s’est avérée bien différente. Paradoxalement, l’effet de halo de la convergence des taux d’intérêts à court terme a conduit à une plus grande divergence des politiques fiscales. Un défaut insouciant de discipline de pays comme la Grèce et le Portugal n’avait d’égal que l’accumulation de bulles spéculatives dans d’autres pays tels que l’Espagne et l’Irlande.
Les reformes structurelles ont été retardées, tandis que l’augmentation des salaires et celle de la productivité ont divergé. Le résultat fût une perte de compétitivité en périphérie.
Toutes les unions monétaires qui ont réussi ont finalement été combinées à une union politique et fiscale. Mais les élans européens vers une union politique ont été entravés, tandis que le mouvement vers une union fiscale exigerait de significatives recettes fédérales centrales, ainsi qu’une émission généralisée d’obligations en euro – dans laquelle les impôts des contribuables allemands (et autres) n’endiguerait pas seulement la dette de leur pays mais aussi celle des Etats-membres de la périphérie. Il est peu probable que les contribuables de base acceptent cela.
La réduction de la dette de la zone euro ou son « reprofiling » (sa restructuration, nldr) aidera à résoudre le problème de la dette excessive de certaines économies insolvables. Mais ceci ne contribuera en rien à établir une convergence économique, qui exige l’instauration d’une convergence de compétitivité. Sans cela, la périphérie simplement stagnera.
A ce stade, les options sont limitées. L’Euro pourrait brusquement voir chuter sa valeur face au Dollar américain, pour restaurer la compétitivité de la périphérie ; mais une chute brutale de l’euro serait est peu probable étant donné la force commerciale de l’Allemagne et les politiques bellicistes de la Banque centrale européenne.
La voie allemande – avec des réformes visant à accroître la productivité et contenir la hausse des salaires – ne fonctionnera pas non plus. Rapidement, ces réformes ont en fait tendance à réduire la croissance et il a fallu plus d’une décennie à l’Allemagne pour rétablir sa compétitivité, un horizon qui est beaucoup trop long pour les économies de la périphérie qui ont un besoin urgent de croissance.
La déflation est une troisième option, mais celle-ci est aussi associée à une récession persistante. L’Argentine a emprunté cette voie, mais après trois ans d’une récession encore plus forte, elle abandonna et décida de ne pas honorer se engagements et de sortir sa monnaie du système de change fixe. Même si la déflation était atteinte, l’effet sur le bilan augmenterait la charge réelle des dettes publiques et privées. Tous les discours de la BCE et de l’Union européenne sur une dépréciation interne sont une erreur, la nécessaire austérité budgétaire ayant encore – à court terme – un effet négatif sur la croissance
Ainsi, étant donné ces trois options peu probables, il n’y a vraiment qu’une seule autre façon de restaurer la compétitivité et la croissance à la périphérie : quitter l’euro, revenir aux monnaies nationales et parvenir à une dépréciation massive nominale et réelle.
Après tout, dans toutes ces crises des marchés financiers émergents qui ont restauré la croissance, un passage à des taux de change flexibles a été nécessaire et inévitable pour les liquidités officielles, l’austérité et la réforme et, dans certains cas, la restructuration et la réduction de la dette et la réduction.
Bien sûr, aujourd’hui l’idée de quitter l’euro est inconcevable, même à Athènes et Lisbonne. La sortie imposerait de grandes pertes sur les marchés financiers pour le reste de la zone Euro, par le biais de réelles dépréciations et de pertes de capital pour les créanciers, et ceux en grande partie dans la même direction que la « Pesification » Argentine (En Argentine, politique d’assainissement économique ayant visé à convertir en peso les dépôts en dollars, ndlr) de sa dette en dollars comme lors de la dernière crise.
Pourtant les scénarios inconcevables aujourd’hui ne seront pas si farfelus que cela dans cinq ans, en particulier si certaines des économies périphériques stagnent.
La zone euro a pu s’agglomérer grâce à la convergence de taux d’intérêts réels faibles pour soutenir la croissance, l’espoir que des reformes pourraient maintenir la convergence, et la perspective d’une éventuelle uniformisation fiscale et politique. Mais désormais la convergence a disparu, la réforme est au point mort, tout comme l’union politique et fiscale n’est plus qu’une utopie lointaine.
Les restructurations de dettes se produiront. La question est quand (bientôt ou plus tard) et comment (de manière ordonnée ou non). Mais même la réduction de la dette ne sera pas suffisante pour retrouver la compétitivité et la croissance. Pourtant, si cela ne peut pas être atteint, la solution de quitter l’union monétaire va devenir prégnante : les avantages d’y rester seront plus faibles que ceux d’en sortir, quoique cette sortie se révèle agitée ou chaotique.
*Nouriel Roubini est Président de la Roubini Global Economic, professeur d’économie à la Stern School of Business NYU et co-auteur de « Crises Economiques », récemment publiée en édition de poche.