La Cour suprême russe a ordonné la dissolution de l’ONG, accusée d’avoir violé à plusieurs reprises les obligations relatives à son statut d’« agent de l’étranger ». Memorial dénonce pour sa part une décision « injuste » et « malfaisante ».
Ce 28 décembre, la Cour suprême de la Fédération de Russie a ordonné la dissolution de l’ONG Mémorial. Cette organisation, qui entend perpétuer la mémoire des violations des droits de l’homme dans le passé et défendre ces droits aujourd’hui, est classée en Russie parmi les « agents de l’étranger ». Elle perçoit depuis 2016 des fonds d’organisations étrangères, selon la justice russe.
Le procureur accuse Memorial d’être payée pour déformer l’histoire
Le Parquet général de Russie avait formulé une demande de dissolution de Memorial International – structure centrale de Memorial – pour non-respect des obligations découlant de ce statut.
En Russie, les entités ou individus considérés par la justice comme « agents de l’étranger » doivent, selon une loi de 2012, s’enregistrer auprès des autorités, effectuer des démarches administratives régulières et signaler clairement ce statut dans leurs publications, sous peine d’amendes ou d’interdictions. Une mesure visant, selon les parlementaires qui l’ont votée, à garantir pour les citoyens russes la transparence sur ces organisations.
Devant la cour ce 28 décembre, le procureur Alexeï Jafiarov a accusé Memorial, sous couvert de l’objectif de « perpétuer la mémoire historique », de « déformer la mémoire historique, principalement sur la Grande Guerre patriotique », nom donné en Russie à la Seconde Guerre mondiale. Selon lui, l’ONG ambitionne de « créer une image mensongère de l’URSS en tant qu’Etat terroriste ». Il a en outre accusé Memorial de chercher à « blanchir et réhabiliter des criminels de guerre nazis qui ont le sang de citoyens soviétiques sur les mains [...] probablement parce que quelqu’un paye pour cela ».
Une décision qui « renvoie la Russie à son passé », selon la défense
« La décision est de liquider Memorial International et ses antennes régionales », a pour sa part commenté l’ONG sur Telegram, alors que l’avocate de la défense, Maria Eïsmont, a qualifié cette mesure de « malfaisante » et « injuste ».
« Liquider Memorial International renvoie la Russie à son passé, et accroît le danger de [nouvelles] répressions », avait affirmé cette dernière devant la cour.
L’organisation a assuré qu’elle trouverait des « moyens légaux » pour continuer son travail. « Mémorial, ce n’est pas une organisation, ni même pas un mouvement social. Mémorial, c’est un besoin des citoyens de Russie de connaître la vérité sur son passé tragique, sur le sort de plusieurs millions de personnes. Et personne ne pourra "liquider" ce besoin », a assuré l’ONG dans un communiqué.
Paris et le Conseil de l’Europe montent au créneau
En raison notamment de l’aura dont elle jouit — Memorial a en effet été créé en 1989 par des dissidents soviétiques, dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov — l’ONG a reçu le soutien de nombreuses chancelleries occidentales, promptes à commenter les décisions de la justice russe.
Paris a ainsi déploré ce 28 décembre une « terrible perte pour le peuple russe », tandis que la secrétaire générale du Conseil de l’Europe, Marija Pejčinović Burić, a évoqué une « nouvelle dévastatrice pour la société civile », dans un communiqué.
« La Fédération de Russie semble s’éloigner davantage de nos normes et valeurs européennes communes [...] Aujourd’hui marque un jour sombre pour la société civile de la Fédération de Russie », a-t-elle ajouté.
Avant même cette décision, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits humains était lui aussi monté au créneau, appelant à l’arrêt des poursuites contre Memorial.
Les « agents de l’étranger » : un enjeu pris au sérieux par les autorités
Une autre branche de Memorial, le Centre de défense des droits humains de Memorial, fait l’objet d’une demande de dissolution du Parquet. Les faits qui lui sont reprochés sont similaires, mais cette entité est en plus accusée d’avoir fait l’apologie d’« activités extrémistes et terroristes » en publiant une liste de détenus présentés comme des prisonniers politiques, parmi lesquels se trouvaient des membres d’organisations interdites en Russie.
Ces accusations sont fermement niées par les intéressés. Ilia Novikov, l’un des avocats du Centre de défense des droits humains de Memorial, avait exprimé sa sidération lors d’une audience préliminaire au procès : « Si nous débarquions de l’année 2000, nous aurions pu dire qu’il s’agit d’une farce [mais] c’est la réalité en 2021. »
De leur côté, les autorités russes prennent très au sérieux la menace que représentent selon elles les financements étrangers dont bénéficient certaines ONG opérant sur le territoire national. Outre la loi de 2012, un autre texte adopté en 2015 prévoit que « l’activité d’une organisation non gouvernementale étrangère ou internationale, représentant une menace pour les fondements constitutionnels de la Fédération de Russie, la capacité de défense du pays ou la sécurité du gouvernement, puisse être reconnue indésirable ».
En avril dernier, alors que 12 nouvelles organisations avaient été déclarées « indésirables » dans le pays, le procureur général Igor Krasnov avait dénoncé les tentatives venues de l’étranger « d’influer sur la situation sociale et politique du pays ».