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La "fuite des muscles", ces athlètes qui tentent de disparaître pendant les compétitions internationales

Un athlète qui file en douce dans la nuit, un entraîneur qui lâche son équipe pour refaire sa vie ailleurs… La « fuite des muscles » est devenue récurrente dans les grandes compétitions internationales. Au Japon, un haltérophile ougandais a tenté sa chance avant d’être arrêté et expulsé.

 

Il ne voulait pas rentrer en Ouganda, alors Julius Ssekitoleko a fait le mur. Cet haltérophile de 20 ans s’est fait un nom en quittant l’hôtel de sa délégation, vendredi 23 juillet à Izumisano, près d’Osaka. Envoyé aux JO de Tokyo alors qu’il n’était pas qualifié, l’athlète est parti de son hôtel à l’aube. Il a laissé dans sa chambre une note annonçant son intention de rester au Japon, puis s’est rendu à la gare pour rejoindre des connaissances dans une autre ville. Arrêté quelques jours plus tard, il a été placé en détention à son retour au pays.

« Les athlètes, les entraîneurs et les officiels avaient [pourtant] remis leurs passeports », a simplement commenté le président de sa fédération, Salim Musoke. Et « l’hôtel où ils séjournaient était bien gardé ».

Cette fugue est une demi-surprise. À chaque grande compétition internationale, une poignée d’athlètes tentent leur chance dans le pays organisateur. On trouve trace des premières défections à Londres, en 1948, avec la fuite de la gymnaste tchécoslovaque Marie Provaznikova. Plus tard, c’est le cas d’athlètes hongrois aux JO de Melbourne (1956), de Cubains à Barcelone (1992) et aux Jeux d’Amérique centrale (1993), ou encore de Népalais et de Bangladais aux Jeux asiatiques.

En 2018, lors des Jeux du Commonwealth, plus de 200 demandes d’asile sont déposées en Australie, sans compter une cinquantaine de disparitions. L’entraîneur rwandais d’haltérophilie, notamment, prend la poudre d’escampette lors d’une pause aux toilettes, alors que son champion est en lice. « Cela arrive à tous les Jeux. Ce n’est pas une surprise », déclare alors le président du comité d’organisation, Peter Beattie, un brin désabusé.

 

« Les athlètes n’avaient pas d’équipement »

Blaise Bekwa a lui sauté le pas en 2012, après les JO de Londres. « Je suis un homme heureux, grâce à Dieu, et je suis officiellement resté en Angleterre », témoigne à présent auprès de franceinfo l’ancien entraîneur et directeur technique national (DTN) du judo congolais. Alors que certains pays confisquent les passeports des membres de leur délégation, Blaise Bekwa garde le sien après avoir « gagné la confiance entière du comité et du président de la fédération de judo ». Il assure avoir attendu la fin des épreuves avant de prendre congé avec plusieurs judokas.

 

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Le badge d’accréditation de Blaise Bekwa Botelwa lors des JO de Londres en 2012

 

Ce départ groupé a des racines profondes, politiques et financières. Blaise Bekwa cite « le manque de matériel et le manque de soutien financier du comité national olympique ». Le judo, poursuit-il, a été délaissé au profit du handball et du taekwondo, deux fédérations qui bénéficient de certaines amitiés gouvernementales. « Mon judoka Cédric Mandembo a revendiqué la cause de notre sport dans les médias et il a tout de suite été menacé. Son rêve olympique était en jeu. Il n’a pas eu d’autre choix que d’arrêter. »

Le président de la fédération de judo, feu Francis Bimwala, tente d’aider l’équipe sur ses fonds propres. Blaise Bekwa s’efforce lui-même de loger les sportifs lors d’un tournoi au Maroc. « Les athlètes n’avaient pas d’équipement et nous n’avons jamais reçu les frais de mission ». Au-delà de l’aspect financier, l’entraîneur craint aussi pour sa vie, en pleine crise politique. Un an plus tôt, son frère a été tué par balles avant la réélection de Joseph Kabila. « Dans mon pays, il n’y a pas de vraie justice. Rentrer était synonyme de prison ou de mort. »

« Chacun de nous fait ce qui est le mieux pour lui. Je pense que ces athlètes qui choisissent de ne pas rentrer ont tous une bonne explication. » (Blaise Bekwa, entraîneur des judokas du Congo aux JO de 2012)

Un mois après ces JO, Blaise Bekwa et quatre autres demandeurs d’asile de la délégation congolaise prennent la pose, en Angleterre, vêtus de tee-shirts barrés du message « Stop Kabila now ». Ce jour-là, face à l’objectif de l’hebdomadaire britannique The Observer, Cédric Mandembo manque à l’appel.

Très discret depuis neuf ans, l’ancien athlète a finalement accepté de répondre à franceinfo. « Nous avions la volonté de bien faire aux JO, mais les conditions d’entraînement étaient impossibles », raconte-t-il. Cédric Mandembo se souvient encore de ces deux nuits passées à « dormir sur les chaises de la réception d’un hôtel », faute de chambre, pendant une compétition au Sénégal.

 

« Mon entraîneur ne savait pas que je partais »

Qualifié d’office pour ces Jeux de Londres, l’athlète n’a jamais vu la couleur des 14 000 euros qui devaient, selon lui, être débloqués par les instances olympiques pour sa préparation. Sur place, il doit même compter sur la communauté congolaise pour trouver un kimono adapté. Après sa défaite contre le Russe Alexander Mikhaylin, triple champion du monde, il réclame son dû. Toujours selon son récit, le président du comité olympique congolais et son conseiller lui proposent 1 500 euros. La discussion dérape, les insultes fusent. Le point de non-retour est franchi.

 

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Le judoka Cédric Mandembo (à droite) lors d’un entraînement à Kinshasa (République démocratique du Congo) le 9 juillet 2012, moins de trois semaines avant le début des JO de Londres

 

Après la cérémonie de clôture, Cédric Mandembo fait ses valises et part se cacher chez un ami. « Je voyais mon visage à la télé et j’ai eu peur. Au Congo, on m’accusait d’avoir menacé le ministre, que je n’avais pas vu, et même de m’être mêlé aux combattants, simplement pour agresser les politiciens. » Le judoka ne se sent plus en sécurité, même à Londres. Quatre mois plus tard, grâce à son visa, le judoka rejoint la France, où il obtient l’asile. « Même mon entraîneur personnel ne savait pas que je partais. »

Installé à Lille (Nord) depuis neuf ans, il a pu faire venir sa famille. L’ancien médaillé de bronze aux championnats d’Afrique (2009) travaille désormais dans des foyers sociaux, dans la restauration rapide ou des boîtes de nuit. À 37 ans, il pratique encore sa discipline à l’occasion.

 

Les départs laissent parfois un goût amer

Les pays occidentaux ne sont pas les seuls à faire rêver les athlètes. Cette fuite des muscles se poursuit lors des championnats du monde de judo en 2013, quand un autre compatriote de Blaise Bekwa décide de rester au Brésil. « Notre entraîneur avait confisqué nos bons de nourriture, nos passeports… Nous étions maltraités », explique Popole Misenga au Parisien. À force de travail, il participe aux JO de Rio de 2016 dans la première équipe des réfugiés de l’histoire, pour laquelle il concourt de nouveau à Tokyo cette année. « C’est l’un des meilleurs élèves que j’ai eus », témoigne Blaise Bekwa, qui a récemment reçu un appel de son ancien poulain : « Il voulait que je participe à son tournoi au Brésil, comme entraîneur réfugié. Je n’ai pas pu, malheureusement. »

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