Guerre et Paix, le blog de Xavier Moreau, propose une vision originale et russo-centrée des problèmes de défense internationaux. Aujourd’hui, la fin du bouclier anti-missiles américain.
Replacé dans une perspective historique, l’abandon du bouclier anti-missiles en Europe de l’Est n’est pas une surprise. Le projet de bouclier anti-missiles apparaît aux Etats-Unis au début des années 60 avec le « Sentinel Program », abandonné en 1976. Il revient ensuite dans la doctrine militaire américaine, le 23 mars 1983, lorsque Ronald Reagan prononce son discours sur l’initiative de défense stratégique (IDS). Ce discours remet en cause la course aux armements traditionnelle, qui consistait à accumuler un nombre considérable de vecteurs (1), avec des charges atomiques de plus en plus puissantes. Il donne le bon rôle à l’administration américaine qui, en cherchant désormais à se protéger de la menace nucléaire, passe d’une position offensive à défensive. L’IDS ne sortira jamais des cartons, mais les soviétiques se laissent piéger dans cette course aux armements d’un nouveau genre, qui achève de ruiner une économie socialiste en phase terminale.
Vingt ans après, en novembre 2004, Georges Bush junior tente de reproduire l’extraordinaire coup de celui qui est devenu une légende au sein du parti républicain. La donne est cependant différente à plus d’un titre. Le nouveau bouclier anti-missile américain a, cette fois, une existence bien réelle. Il constitue un nouveau cadeau de la présidence républicaine au « complexe militaro industriel ». En faisant cela, Georges Bush passe outre l’avertissement du Président Eisenhower, qui, lors de son discours d’adieu du 17 janvier 1961, mit en garde les Etats-Unis contre la toute puissance de ce complexe et les intérêts militaires et économiques de son pays. Plus important encore, il ne s’agit plus d’envoyer des satellites tueurs de missiles dans l’espace, mais de dresser un maillage terrestre, composé de radars et de missiles anti-missiles. Des éléments de ce système doivent être installés en Pologne et en Tchéquie.
Ce système n’a jamais eu aucune chance de contrer la menace nucléaire russe ou chinoise, pour la bonne et simple raison qu’il aurait dû pouvoir arrêter tous les vecteurs tirés. Il suffit, en effet, que quelques uns des missiles mégatonniques échappent au bouclier pour que les grandes villes américaines soient vitrifiées. Il est toujours plus facile de lancer dix missiles que d’en intercepter un.
L’enjeu n’est donc pas d’annihiler la capacité de frappe en second (2) de la Russie. Il est, comme nous l’avons déjà souligné, de favoriser le « complexe militaro industriel » américain, et de provoquer si possible, une nouvelle course aux armements ruineuse pour la Russie. Il permet, en outre, d’associer, contre la volonté de leur peuple, deux Etats ex-communistes et de consolider le bloc atlantiste contre le reste du monde.
Tous les objectifs du « National Missile Defense » sont des échecs pour deux raisons essentielles. A l’est, la Russie de Poutine et Medvedev n’est pas l’URSS de Brejnev et d’Andropov. Elle a su tirer les leçons des pièges que furent le conflit afghan et l’IDS, et ne se ruinera pas, ni dans une guerre extérieure ingagnable, ni dans une course aux armements stériles. La seule réponse consiste pour la Russie à moderniser ses vecteurs, ce qui est normal pour une puissance nucléaire. C’est ce qu’a également entrepris la France.
Enfin, et surtout, les Etats-Unis ont été pris à leur propre piège. Leur économie vacillante n’a plus les moyens de maintenir des projets de ce niveau, pas plus qu’elle n’a les moyens de fournir un successeur à la navette spatiale. C’est cette réalité économique plus que toute autre considération qui a forcé l’administration Obama à renoncer.
Le Kremlin a manifesté une satisfaction retenue, et en guise de réciprocité, a abandonné l’installation de missiles à Kaliningrad. Il n’y aura rien d’autre de la part de la Russie, et le ministre des affaires étrangères, Sergei Lavrov, a été très clair. Le retrait du bouclier n’aura aucune influence sur la position russe en Iran ou ailleurs.