« Je suis favorable à un nouveau train de sanctions », piaffait le 4 avril notre chef de gare tricolore, « en particulier sur le charbon et le pétrole, dont on sait qu’ils sont particulièrement douloureux. » En effet nous ne produisons ni l’un ni l’autre, donc personne ne peut savoir mieux que nous combien il va être douloureux de s’en priver.
Mais la douleur n’est-elle pas le fondement même de la démocratie ? Quoi de plus solidaire, et de plus conforme à l’essence de ce que nous sommes, que de boycotter les ressources dont nous avons le plus désespérément besoin ?
Du feu de l’action à la douche froide
Les pays libres se distinguent d’ordinaire par leur aptitude à plonger les autres dans la ruine et la désolation, alors que les régimes autocratiques (Cuba, Venezuela, Syrie, etc.) n’imposent de sanction à personne, ce qui permet de les repérer plus facilement. Aux sempiternels détracteurs des valeurs que nous défendons, il convient de rappeler que de tous les systèmes répressifs, la démocratie est le seul qui ait réellement fait ses preuves.
- Irak 30 mars 2003, arrivée de la démocratie
Le fait d’être basé sur l’ingérence, le saccage et l’extorsion n’est sans doute pas pour rien dans ce succès. Mais préserver notre capacité de nuisance suppose quelquefois des sacrifices.
Dès le 1er mars, Bruno Le Maire nous annonçait un avenir radieux : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe », claironnait-il la bave aux lèvres.
Malheureusement pour nous tousxtes, il semble que son appel n’ait guère été entendu au-delà des murs du studio de France Info, et qu’une écrasante majorité de la population mondiale (soit la quasi totalité de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique Latine) ne manifeste aucun intérêt pour ce challenge pourtant inédit et mobilisateur, consistant à plonger tous ensemble l’État le plus vaste de la planète dans le chaos et la famine.
Outre la perdition morale qu’elle révèle, cette fin de non recevoir est d’autant plus préoccupante que jusqu’à présent, on n’avait encore jamais vu 85% de l’humanité s’isoler du monde [1].
« À la surprise générale, on retrouve parmi ces récalcitrants deux alliés traditionnels de Washington dans le Golfe persique : l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis », observe Slate le 5 avril. « La situation illustre leur convergence d’intérêts avec la Russie et leur volonté de diversifier leurs partenariats afin de renforcer leur autonomie stratégique. »
Si même des États aussi investis dans la dignité humaine que les monarchies du Golfe se mettent à rêver d’autonomie stratégique, nos valeurs ont du souci à se faire. Aucun chantage, aucune menace ne semblent en mesure de les ramener à la raison. À croire que la terreur, ciment du Monde Libre, a tout d’un coup cessé de fonctionner [2].
Reste que se faire lâcher en rase campagne est toujours une expérience difficile à vivre, surtout quand on planifie une mise à mort. Mais dès le 7 mars Bruno Le Maire entre en résilience, et infléchit son discours d’environ 180 degrés : « Guerre en Ukraine : Bruno Le Maire appelle tous les Français à “faire un effort” sur leur consommation d’énergie », titre La Dépêche. « Nous devons tous faire un effort », serine avec détermination l’aigle de Bercy, reconduit dans la foulée au ministère de l’Inflation et de la Mendicité (c’était la moindre des choses).
Il faut dire que les sanctions antirusses ont ceci de nouveau qu’elles font le bonheur de leurs destinataires dont la monnaie, supposée dévisser selon nos meilleurs alpinistes, est devenue cette année la devise la plus performante du monde, alors que dans le même temps, chez nous, le prix de l’énergie explose et l’euro s’effondre à vue d’œil.
Emmanuel Macron : « L'économie russe à l'heure où je vous parle est en cessation de paiement, sa monnaie a dévissé, son isolement est croissant » pic.twitter.com/3JY9gcpksk
— CNEWS (@CNEWS) March 24, 2022
Quelle que soit notre sensibilité ou notre couleur politique, nous nous tenons tous ensemble aux côtés du peuple ukrainien en train de sombrer.
En nous étranglant nous-mêmes de nos propres mains, nous donnons à voir la spontanéité de notre mobilisation dans toute l’étendue de sa profondeur. C’est l’union sacrée dans le désastre, une vieille tradition française.
Vivre d’espoir
Parallèlement, nous travaillons à une issue diplomatique du conflit : éthiquement parlant, il est bien sûr impensable que nous achetions un gaz qui a du sang sur les mains. Si Poutine acceptait de nous le fournir gratuitement, nous serions éventuellement prêts à revoir notre position, et à lui laisser une porte de sortie (histoire de ne pas l’humilier). Mais s’il refuse, nous n’excluons pas de nous infliger à nous-mêmes de nouvelles sanctions.
Face à un dictateur, il faut employer un langage ferme : par exemple, nous pourrions l’avertir une bonne fois que s’il continue à n’en faire qu’à sa tête, nous risquons de ne plus pouvoir nous chauffer cet hiver ! Mais a-t-il encore assez de lucidité pour le comprendre ?
Heureusement il nous reste l’espoir, qui certes nous a toujours déçus, mais ne nous a jamais quittés. S’il s’avère que les pays sanctionneurs se retrouvent sanctionnés par leurs propres sanctions, nous avons la consolation de voir que ceux qui ne sanctionnent pas sont sanctionnés eux aussi : ainsi, Ursula von der Leyen n’a manifestement pas apprécié qu’au soir de sa réélection le 3 avril, Viktor Orbán ait qualifié d’adversaire Volodymyr Zelensky, l’Obersturmprésident ukrainien.
Comme n’importe qui le ferait à sa place, elle envisage donc de priver la Hongrie de 40 milliards d’euros de fonds européens car au royaume de la Mère Übü et de ses valeurs, le crime de lèse-national-socialisme ne saurait être toléré. Il est vrai qu’Orbán n’en est pas à sa première incartade, loin s’en faut : « Sa position plus qu’ambiguë depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et sa tiédeur à accepter les sanctions européennes contre Vladimir Poutine a poussé la Commission européenne à accélérer le tempo face à ce leader qui se joue des valeurs européennes », se réjouit Les Échos [3].
Serons-nous un jour délivrés de ces illibéraux qui à force de proximités douteuses, finissent par saper notre unité dans la soumission ? Rien n’est moins sûr, c’est pourquoi soulevés par l’énergie de l’espoir, nous renouons avec les fondamentaux de l’engagement citoyen comme la rage impuissante, la diffamation et le marasme.
« Éliminer Poutine, la seule solution ? » s’interroge LCI le 8 mars, avant d’annoncer (le 1er avril) que « Poutine sera écarté ou tué d’ici 6 mois ». Même si cela part d’un bon sentiment, et que sur LCI l’information procède systématiquement d’un examen scrupuleux et objectif des faits, nous ne nous rappelons que trop les paroles pleines d’espoir de Laurent Fabius en 2012, assurant que « Bachar Al-Assad ne méritait pas d’être sur la Terre », et que « le régime syrien devait être abattu et rapidement » : dix ans plus tard, le Boucher de Damas trône toujours derrière le comptoir, et continue à se jouer de nos valeurs.
Est-ce cela que nous voulions ? Est-ce pour cela que nous nous sommes mobilisés jusqu’à perdre haleine sur Facebook, TikTok et Pinterest ? En un mot, est-il normal que malgré leur refus de s’autodétruire, certains s’en sortent quand même ?
Dans le combat pour ce que nous sommes, et qui a toujours été le nôtre, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Et chacun peut voir que malgré les avanies que nous subissons au quotidien, notre résilience est intacte, tout comme notre détermination à faire barrage aux forces obscures.
Dans le fond et comme chantait le poète,
On a tous quelque chose en nous de Zelensky
Cette volonté de prolonger l’conflit
Ce désir fou de détruir’ d’autres vies
Ainsi vivait Zelensky…
D’amuseur public à comique troupier
De même qu’Emmanuel Macron est un personnage de roman-photo, Volodymyr Zelensky est un acteur de sitcom, reconverti dans l’ethnocide et l’optimisation fiscale. C’est dire si sa créativité a des cordes à son arc ! En 2021, il reçoit même une mention spéciale dans les Pandora Papers pour l’ensemble de son œuvre, et en 2022 il rafle plusieurs canons Caesar dont celui du meilleur second rôle et du meilleur T-shirt.
C’est peut-être un détail pour vous, mais avant de se transformer en président, il jouait du piano debout. Et pour nous, ça veut dire beaucoup : quoi de plus jupitérien, en un mot quoi de plus français, que cette rapidité fulgurante à baisser son pantalon, qui laissait déjà présager une trajectoire d’envergure au sein du Monde Libre ?
Depuis, son répertoire s’est considérablement élargi, et il s’est même laissé pousser la barbe. Que de chemin parcouru ! Sous le treillis du chef de guerre dont le torse éblouit les ménagères du monde entier, on oublierait presque le danseur en talons aiguilles qui hier encore, faisait la joie des téléspectateurs kyiviens.
Il va sans dire qu’un pays présidé par une drag queen et géré par des skinheads correspond en tous points aux standards européens : « Notre peuple est, en son for intérieur, déjà mentalement en Europe depuis longtemps », analyse notre idole. (...)
Le problème c’est la corruption en Ukraine, qui est certes considérable. Mais a-t-elle atteint un niveau suffisant pour faire partie de l’UE ? « Ils sont l’un des nôtres », certifie Ursula von der Leyen, experte reconnue en la matière [4].
C’est que sous la pression du contexte le youtubeur de Kyiv a pris de l’épaisseur, à défaut de gagner en finesse. En tournée distancielle mondiale, ses jérémiades identitaires conquièrent les foules, même s’il peine davantage à s’imposer dans les pays qui pour une raison ou pour une autre, ont une image négative du nazisme : « L’appel à l’aide de Volodymyr Zelensky laisse un goût amer en Israël », selon Les Échos du 22 mars, qui parle de « propos qui ne passent pas ». « Banalisation de la Shoah et même négationnisme, Zelensky tente de réécrire l’histoire », résume RFI, citant un éditorialiste local.
« Grèce : tollé après la diffusion d’une vidéo d’un combattant d’Azov lors du discours de Zelensky au Parlement », titre Libération le 8 avril. Il faut dire que pour agrémenter son show, notre VRP du nettoyage ethnique avait eu l’idée disruptive de faire appel à un soudard néo-nazi, quitte à provoquer la nausée des parlementaires grecs. Quel farceur ce Volodymyr !
- En rouge et noir, j’afficherai mon cœur
En échange d’une trêve de douceur…
Par contre, dans les pays ayant eu la présence d’esprit de collaborer avec le IIIe Reich, les choses se passent nettement mieux : « Pour la première fois de notre histoire parlementaire, nous accueillons le président d’un pays en guerre », frétille Gérard Larcher, en proie à une vive émotion. Il est vrai que ces derniers mois le Parlement n’avait pas eu grand-chose à se mettre sous la dent, à part les crises de nerfs d’Olivier Véran et les prédications filandreuses de Jean Castex.
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