Guy Bedos n’aura pas survécu longtemps à la mort de son ancien auteur, le vrai créateur du duo, Jean-Loup Dabadie. Ce dernier, académicien depuis 2008, s’est éteint quatre jours avant (le 24 mai). Il aura écrit les principaux sketches de l’humoriste pied-noir qui s’était fait une spécialité de flinguer Giscard, la droite et les « beaufs » avant Cabu. Dans les années 70, la censure télévisuelle n’était pas aussi hypocrite que celle d’aujourd’hui, qui passe par la lutte contre les discriminations : pour une critique un peu féroce, on pouvait passer à la trappe de la télé. Mais son positionnement de gauche (socialiste) lui conférera une aura de grand résistant à la droite giscardienne, pas vraiment le fascisme des années 30. On a les antifascismes qu’on peut.
Bedos fera sur scène ce que Hallier faisait dans la presse et en édition : tirer à boulets rouges sur le Président et sa politique qu’on pourrait presque considérer comme de gauche et souverainiste aujourd’hui. Comme quoi les temps ont bien changé. Celui qui n’a pas changé, par contre, c’est Guy, qui une fois déclassé par les nouveaux humoristes des années 2000, plus perspicaces, plus profondément politiques, moins idéologisés, sera de moins en moins drôle et de plus en plus antiraciste. Il fera de l’idéologie socialo-sioniste son cheval de bataille, perdra son humour, et finira à la casse des people.
Attention à tous les humoristes de France Inter : l’humour de gauche vieillit mal
On ne va pas s’appesantir sur Guy, dont on a déjà taillé le portrait sur E&R, on va changer d’angle en partant de son auteur Dabadie. Souvent, un peu comme l’épouse des grands hommes pour les féministes, les grands comiques ont de grands auteurs cachés. Il y a celui qui aime écrire, et celui qui aime la lumière, la gloire, mais aussi la chute, car on ne reste jamais au firmament. Les modes passent, les goûts changent, le public est versatile. C’est le prix à payer pour une gloire qui peut parfois durer des décennies. Seuls les plus grands restent au firmament, et ils se comptent, dans chaque domaine, sur les doigts de la main. Le temps fera le tri.
Mais Bedos père a été une star, il a été le père de l’humour politique rentre-dedans, et comme tous les précurseurs, il a été dépassé par les jeunes, plus fous, plus chauds, plus adaptés. Le dinosaure a cassé sa pipe, mais ses petits sont nombreux. On n’est pas là non plus pour casser du Bedos ! D’ailleurs le fils est brillant, beaucoup plus que la fille, et le nom des Bedos risque de rester encore sur le fronton du showbiz français, vu la pénétration des fils et filles de dans ce domaine très particulier.
On parlait de Dabadie, qui n’a pas fait qu’écrire des sketches, il a aussi écrit des chansons, et le duo Bedos-Dabadie nous en rappelle un autre, aussi célèbre, ou connu, le duo Dutronc-Lanzmann.
Eh oui, pas Claude mais Jacques, un écrivain marcheur qui a fait le tour du monde à pied (ça donne des idées, de marcher) et qui a lui aussi écrit des paquets de chansons. Jacques, c’était le petit frère de Claude, vous savez, le fou de la Shoah qui a cassé les pieds et les couilles de tout le monde avec son film. Certes, il s’agit d’une œuvre unique (surtout par sa durée) mais il a eu l’impression qu’après lui c’était le déluge, que plus jamais on ne pourrait faire de films sur la Shoah. Tu parles ! Y a pas une année sans dizaines de bouquins ou films sur la question, ça n’arrête pas, un vrai torrent ! En ce sens Claude n’avait pas tort : on aurait dû s’arrêter au sien (sorti en 1985), ça suffisait bien comme ça.
Jacques, lui, sur la fin, est redevenu juif, un juif très Shoah, bon, on dirait que c’est de famille. Mais avant, il a torché les plus belles chansons de Dutronc, dont la pépite éternelle Il est cinq heures, Paris s’éveille. Toute l’âme de la ville en quelques strophes, avec un riff de flûte de ouf !
Les guitares électriques existaient, mais l’orchestration de ce bijou est unique, le texte parfait. On s’y croirait :
Quinze ans plus tard, Dutronc sans Lanzmann pond une merde glorifiée par un numéro presque spécial de Libé, Merde in France :
Moralité : quand on est un humoriste, il faut toujours être dans l’opposition, sinon on flingue son art.
Quand la gauche est passée en 1981, Le Canard enchaîné a presque failli crever : les Français voulaient un Canard d’opposition, pas un Canard du côté du pouvoir. L’hebdomadaire des loges maçonniques (d’éloge maçonnique, ah ah) avait carrément fait campagne pour Mitterrand contre Giscard, comme Bedos. Les plumitifs du volatile comprendront la leçon et ne recommenceront plus à jouer avec le feu : ils deviendront un gentil journal d’opposition contrôlée, ne gênant en rien le pouvoir profond, mais ça, c’est une autre histoire.
On parlait des fils de, voici le fils Dutronc dans la chanson phare de son père, avec une version très Django :
Le seul et unique sketch raciste de Guy !
Voilà, ça nous fait un renvoi tout trouvé pour Kontre Kulture. Ah, on oubliait, un sketch emblématique du pied-noir, quand même, merde ! Voici Les vacances à Marrakech, avec sa première compagne Sophie Daumier. Les nightclubbers auront reconnu Dani, le top branché des années 70 (qui jouera la mère juive dans Carbone d’Olivier Marchal en 2017, sur l’affaire de la taxe du même nom par les juifs tunes, ou tunisiens) :
Pour la petite histoire, Guy était issu d’une famille de « fachos » et de « nazis », selon ses propres termes, et ça explique peut-être son parti pris socialo-sioniste. En même temps, le show-biz étant dominé par une communauté [1], il est difficile de percer sans montrer patte blanche...