« La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique (...) sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. » Ces mots surprenants sont ceux du défunt président français François Mitterrand.
Ils pourraient prêter à sourire plus qu’à les prendre au sérieux, sauf pour ceux qui s’inquiètent de l’offensive du Qatar, qui vient de promettre au gouvernement français de s’occuper des quartiers défavorisés, en échange du rachat d’un peu de dette française. Pourtant les banlieues françaises ne sont pas seulement visées par le Qatar mais également par de nombreux stratèges du département d’état américain, qui ont développé une stratégie à long terme basée sur la démographie des jeunes français issus de l’immigration africaine qui implique, à terme, une prise progressive de pouvoir et d’influence en France pour ces minorités.
C’est un câble datant du 25 janvier 2007 publié par Wikileaks qui révèle cette étonnante affaire. L’ambassade américaine y affirme clairement développer une politique active de soutien et de développement envers les communautés afro-arabes de France, en visant clairement les jeunes musulmans français. Les premiers éléments de cette politique furent fixés en 2001, juste après le 11 septembre, alors qu’il semblait vital au département d’état de tenter d’améliorer l’image de l’Amérique aux yeux des musulmans d’Europe.
Mais c’est suite aux émeutes françaises de 2005, que le président Obama nomme en 2009 Charles Rivkin comme nouvel ambassadeur des États-Unis en France. Celui-ci va alors par le biais de l’ambassade développer une intense campagne de lobbying auprès de jeunes français issus de l’immigration. Cette campagne prendra différentes formes : l’organisation de voyages sponsorisés aux États-Unis dans le cadre de programmes politiques, des déplacements de l’ambassadeur dans des zones sensibles à forte concentration de population d’origine immigrée, l’organisation de visites de stars américaines issues de la diversité dans ces quartiers, ou encore l’organisation d’événements (politiques ou artistiques) avec des jeunes français issus de la diversité. L’ambassadeur est principalement assisté dans ses activités de lobbying en direction de ces minorités par Mark Taplin, un diplomate de carrière, spécialiste des méthodes d’influence et du soft power. Ancien attaché de Presse adjoint en 1994 à l’ambassade américaine à Moscou il a ensuite travaillé en Ukraine, Moldavie et Biélorussie de 1999 à 2004, année de la révolution de couleur en Ukraine.
L’année suivante, en 2010, l’ambassade américaine à Paris rédige un câble dans lequel l’ambassadeur Charles Rivkin explique les activités américaines en direction des minorités. Le câble décrit la crise de la représentation nationale en France, la nécessité pour les américains de développer une stratégie pour la France, de s’engager dans un discours positif, de mettre en avant un exemple fort, lancer un programme agressif de mobilisation de la jeunesse, l’encouragement des voix modérées, une diffusion des meilleures pratiques, l’approfondissement des compréhensions du problème, et enfin le ciblage des efforts. Le câble a été traduit et il est consultable ici, il est plus qu’explicite et mérite d’être lu. Il y est clairement expliqué que l’opération n’a comme intérêt final que de faire progresser les intérêts américains en France via la prise de pouvoir progressive de jeunes français issus de la diversité. Bien sur de nombreuses associations et fondations américaines opèrent depuis longtemps pour s’assurer du soutien à l’Amérique au sein des élites françaises, que l’on pense à la très célèbre fondation Franco-américaine, au club Jean Moulin (destiné à créer un projet d’opposition au gaullisme) ou encore plus récemment au Conseil national pour les visiteurs internationaux. Mais la nouveauté de cette politique de séduction est qu’elle est focalisée sur des communautés ethnico-religieuses en France et notamment sur les jeunes musulmans.
Cette activité diplomatique vise donc les élites françaises tout comme les sites internet de la communauté immigrée en France. Sont cités notamment comme relais les sites oumma et saphir, qui ont confirmé leurs bonnes relations avec l’ambassade des Etats-Unis en France (voir ici et là). Mais des personnalités publiques et politiques issues de la diversité ont également été visées, comme par exemple Rokhaya Diallo, Reda Didi (ex-responsable du mouvement socialiste écologiste français les Verts qui a notamment publié un ouvrage, À nous la France, racontant son expérience américaine). Il y a aussi Ali Soumaré (ancien candidat PS aux élections régionales), Almamy Kanouté, (militant associatif et à la tête d’une liste indépendante à Fresnes), Najat Belkacem, ancienne porte-parole de Ségolène Royal, et aujourd’hui membre du gouvernement français, ou encore Said Hammouche, fondateur du cabinet de recrutement Mozaïk RH, qui vise à favoriser la diversité dans les entreprises françaises. Enfin, le rappeur Axiom, qui a lui aussi participé à ce programme et publié un ouvrage intitulé J’ai un rêve, appelant à lancer, en France, une vraie dynamique de lutte des droits civiques, sur le modèle américain. Cette liste n’est pas exhaustive.
Plus surprenant, ce travail de lobbying des minorités cible particulièrement les musulmans français. L’ambassade américaine a par exemple contribué à lancer une association nommée Confluences, destinée à promouvoir les minorités et particulièrement la minorité musulmane dans la région lyonnaise, tout autant qu’ à lutter contre les discriminations. L’attaché culturel du consulat américain à Lyon siège au conseil d’administration de l’association. Plus récemment, c’est une Maison des États-Unis qui a été créée, destinée à informer les Lyonnais sur l’Amérique. Notre ambassadeur est aussi fortement intéressé par les « écoles de la seconde chance » destinées à favoriser l’intégration des jeunes défavorisés, souvent issus des agglomérations cosmopolites des grandes villes françaises. Ce travail en faveur des minorités défavorisées est plus limpide lorsque l’on lit le vibrant hommage rendu à l’ancien directeur de Sciences Politiques Richard Descoings, décédé dans des circonstances sordides aux États-Unis au début de cette année. On sait le travail énorme fourni par Richard Descoings pour ouvrir Sciences Po à la nouvelle diversité française, et aux minorités des quartiers dits défavorisés.
Au passage, la presse française, qui a applaudi cette initiative au nom de l’égalitarisme social et républicain a curieusement passé sous silence la gestion financière catastrophique de l’établissement.