Le Courrier de la Russie : Selon Rosstat, en 2015, le PIB russe a baissé de 3,7 %. Que signifie cet indicateur pour les entreprises et pour les citoyens russes ? D’après vous, le retour de la croissance est-il possible en 2016 ?
Jacques Sapir : Le PIB est un instrument de mesure de la production marchande, et il n’est que cela. Il ne mesure QUE la production vendue (et achetée). Quand on a une partie de la production qui est auto-consommée, cette dernière n’apparaît pas dans le PIB. Le problème, mineur pour un pays développé, se pose dans le cas des pays en voie de développement, où une part substantielle de la production est auto-consommée. Mais on retrouve aussi ce problème sous une forme particulière dans les économies développées. Si vous déjeunez au restaurant, vous faites monter le PIB ; si vous apportez avec vous votre déjeuner au travail, le PIB reste inchangé. De même, si vous apportez vos chemises à la laverie du quartier, vous augmentez le PIB ; si vous les lavez chez vous, ce n’est plus le cas. Le PIB n’est donc pas un indicateur parfait pour mesurer le niveau de vie des citoyens, ni le niveau d’activité. Mais, c’est l’un des rares indicateurs synthétiques que nous ayons, et c’est pourquoi il est tellement utilisé.
La baisse du PIB de 3,7% que l’on a connu en 2015 en Russie a touché les ménages de manière très différente suivant le niveau de revenu et la structure de la consommation. Les coûts du logement, que ce soit les loyers ou les coûts des prêts hypothécaires, sont restés constants en 2015 ou n’ont augmenté que faiblement. La « consommation » des ménages en logements n’a donc pas été affectée par la baisse du PIB. Il semble donc que les ménages les plus riches aient été les plus touchés. Ainsi, la baisse de pouvoir d’achat semble avoir été de l’ordre de 10% pour la partie la plus riche de la population, mais nettement plus faible pour les couches populaires. Le problème avec une simple moyenne est que son utilisation suppose que les observations sont également réparties de chaque côté de la moyenne. On sait que ce n’est pas le cas. Les écarts de revenus sont importants en Russie, et cette inégalité a des effets importants quand on veut mesurer l’impact de la récession actuelle.
Un retour de la croissance est possible en 2016, mais il dépendra essentiellement de la politique économique de court terme du gouvernement. Au lieu de chercher à tout prix à restreindre les dépenses budgétaires, le gouvernement devrait user du déficit budgétaire de manière importante pour relancer l’activité. La très faible dette publique de la Russie aujourd’hui (moins de 10% du PNB) et l’ampleur de l’inflation (sans doute 11% en 2016), autorisent des niveaux de déficit pour 2016 de l’ordre de 7% à 9%, soit très au-dessus des 3% prévus par le budget. Les estimations faites par mes collègues russes montrent que la croissance de 2016 sera très sensible à la politique conjoncturelle du gouvernement. Si cette dernière s’avère restrictive (même avec un faible déficit) on peut s’attendre à une poursuite de la récession (de -0,5% à 1%). Si, au contraire, le gouvernement adopte une politique expansionniste (avec un fort déficit budgétaire) on pourrait avoir au contraire une croissance de 1% à 1,5%. Il faut ici savoir que le ratio Dette Publique / PIB, qui mesure l’endettement publique d’un pays, dépend de la croissance du PIB nominal (avec l’inflation) et du déficit budgétaire. Une règle de base est que le déficit ne doit pas excéder à long terme la croissance nominale du PIB sous peine de provoquer une hausse de la dette publique exprimée en pourcentage du PIB. Si l’on part de l’hypothèse que la Russie devrait connaître une récession de -1% du PIB réel (ou « à prix constants ») et une hausse de 11% de l’inflation, le PIB nominal devrait augmenter de 9,9% en 2016. C’est pourquoi le gouvernement pourrait réaliser un déficit budgétaire allant jusqu’à 9% afin de soutenir l’activité de l’économie et les revenus des ménages, et cela sans augmenter le poids de la dette dans le PIB.