Le prince héritier Mohammed Ben Salmane dit vouloir « retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde ». Interview de la spécialiste Fatiha Dazi-Heni.
Le prince héritier Mohammed Ben Salmane s’est livré à une attaque frontale contre certains milieux religieux conservateurs, qui exercent une influence notable sur la société saoudienne depuis des décennies. « Nous voulons vivre une vie normale. Une vie où notre religion signifie tolérance et bonté », a lancé le prince héritier de 32 ans, lors d’une conférence économique internationale mardi 24 octobre à Riyad. Considéré comme l’homme fort du royaume, Mohammed Ben Salmane s’est attaché, depuis sa nomination en juin comme prince héritier, à desserrer le carcan des milieux religieux sur la société. En jeu : la consolidation de son pouvoir, en s’appuyant sur la jeunesse qui constitue 70 % de la population saoudienne. Interview de Fatiha Dazi-Heni, spécialiste des monarchies de la péninsule arabique (IRSEM) et auteur de L’Arabie saoudite en 100 questions (Tallandier, 2017).
Mohammed Ben Salmane dit vouloir retourner à « un islam modéré, tolérant et ouvert »... Ces déclarations, qui sont une claire remise en cause de la politique religieuse de l’Arabie saoudite, vous surprennent-elles ?
Le prince héritier est sur cette ligne depuis deux ans. Il veut montrer au monde occidental une image plus positive et diversifiée de l’Arabie saoudite. Ce qu’il est obligé de faire s’il veut attirer les investisseurs extérieurs dans un contexte économique difficile (avec un prix du pétrole qui a baissé de moitié) et qui constitue le défi prioritaire pour le royaume.
Mais ces paroles marquent le coup. Il y a un changement de ton. Elles montrent quand même que Mohammed Ben Salmane a à cœur de transformer le royaume sur le fond et veut marquer son ère. Il assume ses décisions, impose sa ligne et veut la mettre en pratique.
Il estime que son pays a abandonné la modération en 1979 avec la montée en puissance de courants religieux extrémistes marquée par la prise de la Mecque, le contexte géopolitique avec la révolution iranienne et les combats des moudjahidines en Afghanistan. L’Arabie saoudite s’est transformée en pays rigoriste à partir de cette période en durcissant sa rhétorique et sa pratique de l’islam : programmes scolaires dominés par le cursus religieux officiel (wahhabite), contrôle social plus strict de la non-mixité par l’establishment religieux... Il veut revenir à ces temps où le royaume, bien que conservateur, était bien plus ouvert sur le plan sociétal.
Il y a cette volonté chez lui de transformer le pays sur le plan économique, mais aussi de laisser respirer la jeunesse en libéralisant la sphère sociale. C’est son point fort. Ce qui est intéressant dans la démarche du prince héritier aujourd’hui, c’est que sa politique s’adresse pour la première fois à la jeunesse saoudienne.
En effet, il a également déclaré : « 70 % de la population saoudienne a moins de 30 ans et, franchement, nous n’allons pas passer trente ans de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes »...
C’est une population qui a été totalement négligée en raison du poids extrêmement important et pesant de l’establishment religieux. Celui qui avait pour mission de contrôler la société, moyennant la légitimation du pouvoir absolu de la famille al-Saoud. C’est de cette façon que la gouvernance était assurée, par ce partage des rôles : le régalien pour la famille royale et le social, l’éducation et le culturel pour le religieux. Aujourd’hui, ce partage des rôles est totalement remis en cause par le prince héritier.