A quelques jours du G20, les Etats-Unis ont décidé d’injecter dans leur économie 600 milliards de nouveaux dollars à rebours des politiques restrictives menées en Europe. Le plan de relance est censé redonner espoir aux Américains englués dans la récession et redonner un nouvel élan à l’industrie américaine.
"Tigre de papier". En 1956, Mao, président d’un pays exsangue mais riche de ses centaines de millions d’habitants, désignait ainsi les Etats-Unis. Si l’homme au petit livre rouge avait alors ajouté « vert » à la fin de sa phrase, vert comme la couleur du dollar, sa pensée aurait sans doute eut l’avantage de la prophétie. 54 ans plus tard, le roi dollar est, en effet, plus que jamais, dans la tourmente. En décidant d’imprimer des dollars pour un montant record de 600 milliards, l’Amérique semble prête à jouer le tout pour le tout. Incapable de trouver un modèle de croissance propre à sortir le pays d’un taux de chômage enkysté à 9,7% (en réalité 20% de personnes hors de l’emploi) et 42 millions de citoyens abonnés au « food stamp » (aide alimentaire), les Etats-Unis semblent prêts à risquer l’un de leurs principaux atouts : leur monnaie. Car en injectant pour 600 millions de nouveaux dollars dans l’économie étasunienne, et donc dans l’économie monde, ce que les économistes nomme « quantitative easing » (QE2) va déprécier la valeur réelle d’un billet vert de près de 20 %. Un joli coup de pouce en perspective pour la compétitivité des produits « made in USA ».
Cette fois l’arme monétaire, et non budgétaire, est donc utilisée. Il faut dire que cette dernière n’est plus de mise depuis la défaite d’Obama et l’arrivée à la Chambre d’une majorité Républicaine, étrangère à toute relance de type keynésienne. Ce sera donc une relance d’un nouveau type (enfin nouveau dans la mesure, où cette politique a été bannie des livres académiques d’économie depuis 30 ans) : une relance monétaire. Autrement dit, l’enfer selon les monétaristes néo-libéraux.
Très officiellement il s’agit de financer une sorte de plan relance. Ben Bernanke, le patron de la Fed, la banque centrale américaine, expliquait ainsi sa politique dans les colonnes du Washington Post de jeudi 4 novembre : « Des prix en hausse sur les actions augmenteront la richesse des consommateurs ainsi que leur niveau de confiance dans l’économie, ce qui peut également stimuler les dépenses. L’augmentation des dépenses entraînera une augmentation des revenus et des bénéfices que, dans un cercle vertueux, continuera à soutenir l’expansion économique ». Et ca marche. A preuve l’envolée des bourses New York et dans leur sillage celles des autres capitales financières. Voilà pour le coté cour de la politique monétaire américaine. Coté jardin, la décision américaine est le dernier épisode en date de la guerre des monnaies, selon le mot du ministre brésilien des finances.
Guido Mantegua est d’ailleurs parmi les premiers politiques de premiers plans, a avoir réagi : « Tout le monde veut que les Etats-Unis se redressent, mais cela ne fait de bien à personne de jeter des dollars par hélicoptère. » L’attaque vise sans le nommer Ben Bernanke, qui avait évoqué, dans sa thèse de doctorat, ce lâchage massif de monnaie par hélicoptère. Pour le géant d’Amérique du Sud, comme pour le Japon et l’ensemble des pays de l’Asie du Sud Est, l’heure est grave. Avec la liberté de circulation des capitaux, ce sont des montagnes de dollars qui viennent s’investir dans leurs pays. Enfin s’investir….Inutile d’avoir un doctorat en macro-économie pour comprendre que, en fait d’investissements, il s’agit surtout de mouvements spéculatifs, du même acabit que celui qui soutient la bourse américaine d’ailleurs : le recyclage des montagnes de dollars sous formes d’autres actifs, ou d’autres monnaies. En gros les investisseurs misent sur une baisse du billet vert. Du coup, ils empruntent en dollar (c’est pas cher, presque gratuit), convertissent ces billets en real (monnaie brésilienne) et investissent éventuellement dans les matières premières… Résultat : les monnaies de ces pays émergents, comme celles du Japon et de la zone euro, s’envolent… Pour mémoire, c’est ce même phénomène, le recyclage massif de dollars investis à court terme sur les marchés monétaires asiatiques, hautement spéculatifs, qui fut à l’origine de la crise de 1997…
Mais le danger de déstabilisation monétaire est, semble-t-il, le prix à payer pour relancer l’économie réelle aux Etats-Unis. Risque qu’assume désormais l’axe Obama-Bernanke. Outre Atlantique, 30 années de priorité accordée à la finance ont détruit l’industrie. Dans le commerce international, la compétitivité du pays sur les biens est au plus mal : grande pourvoyeuse d’emplois (des plus qualifiés à l’OS) et d’investissements, l’industrie n’occupe plus que 11% des actifs américains, tandis que le déficit commercial est, lui, au plus haut. Évidemment, l’objectif de la Réserve fédérale est bien de générer un effet richesse en gonflant la valeur des actifs financiers et des prix immobiliers. Et par ricochet de cet effet richesse, stimuler les dépenses de consommation et d’investissement. Politique qui au passage prolonge celle, catastrophique, de l’ère Greenspan au milieu des années 90 débouchant sur la crise financière. Mais l’effet final recherché est bien la baisse structurelle du billet vert, histoire de redonner des couleurs aux exportations américaines. Mais pas que. Ce n’est que le second plateau d‘une même balance. La réduction des importations est aussi un objectif. En redonnant de la compétitivité à certains biens produits sur leur territoire, en compétition avec ceux produits ailleurs, les Etats-Unis comptent bien remettre en marche la machine à créer des emplois. Et pas seulement sur le court terme comme ceux générés dans le BTP via les programmes de développement des infrastructures.
Les pays émergents, ainsi que le Japon ont bien compris le message. Et leurs réactions sont à la hauteur. Le Brésil, la Thaïlande ont par exemple déjà mis en œuvre des politiques limitant l’entrée des capitaux sur leurs territoires. En Chine, c’est inutile car la circulation monétaire, comme le taux de change du yuan sont à l’image des libertés publiques : très encadrées par le PCC. Pour autant, le « vampire du milieu » a clairement fait connaître son intention de réagir. Et l’a fait. Points communs entre ces pays ? Ils produisent des biens qui n’entrent pas en concurrence frontale avec l’appareil industriel américain (pour faire simple, des biens incorporant de faibles quantités de valeur ajoutée).
Ce qui n’est le cas, ni pour le Japon, ni pour la zone euro, qui sont les deux principaux concurrents industriels de l’Amérique. Mais si le Japon a réagi, la zone euro semble étrangement muette, comme d’ailleurs pour tout problème monétaire. Certes, la banque centrale du Japon n’a pas encore annoncé une augmentation de son programme visant à limiter l’appréciation du yen par rapport au dollar. Mais elle a déjà mis sur la table environ 60Mds de dollars durant les derniers mois. En Europe, rien ou si peu. Il faut dire que l’Union porte assez mal son nom en ce moment. L’Allemagne fait cavalier seul, tandis que Jean-Claude Trichet, encore aveugle ne voit « aucune raison de penser que la Réserve fédérale et le secrétaire au Trésor poursuivent une stratégie de dollar faible ». Quel farceur ce Jean-Claude Trichet (n’est pas jouer, bien sûr)....
En tous cas, à quelques jours du G20, dont la France prend la direction, la décision de la Fed met sur la table les questions qui fâchent…