Il vient de prendre les rênes de La Ligue de défense judiciaire des musulmans, dont il est le fondateur : Karim Achoui, l’ancien ténor du barreau, va livrer bataille contre l’islamophobie, à coups d’articles de loi, et nous a confié en exclusivité ses motivations, ses grands objectifs, et sa perception de la réalité française.
La défense de toutes les libertés fondamentales chevillée au corps, au premier rang desquelles la liberté de conscience est brandie en étendard de son combat contre l’islamophobie sous toutes ses formes et son escalade vertigineuse, l’ex-avocat de renom Karim Achoui s’apprête à reprendre le chemin des prétoires, à la tête de la Ligue de défense judiciaire des musulmans (LDJM), pour que justice soit rendue aux justiciables musulmans et musulmanes, victimes expiatoires de l’instrumentalisation des peurs et d’une stigmatisation funeste.
Si l’on connaît les sombres stratagèmes qui ont attisé la haine de l’islam en France en l’espace de dix ans, mais aussi sur l’ensemble du Vieux Continent, tout reste encore à faire judiciairement, à l’échelle nationale et européenne, pour l’éradiquer complètement. Un défi que le président de la LDJM, épris de justice surtout quand elle s’éclaire au flambeau humaniste des Lumières, est prêt à relever avec détermination.
Oumma.com : Karim Achoui, qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans la lutte judiciaire contre l’islamophobie ?
La conscience de sa propre différence, lorsque l’on est comme moi un enfant né en France, aux origines maghrébines, est présente en soi dès le plus jeune âge, mais il faut parfois un long cheminement personnel pour qu’elle se révèle et qu’elle arrive à maturité, comme je le décrivais dans mon livre autobiographique Un avocat à abattre. Pour certains, elle se traduira par une aspiration à Dieu, par une profonde quête spirituelle, pour moi elle s’exprime aujourd’hui à travers mon combat pour toutes les libertés essentielles et les droits inaliénables au service de tous les citoyens et citoyennes de confession musulmane.
J’ai fait mien depuis longtemps l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui reprend en l’amendant l’article 18 de la Déclaration universelle : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. »
S’il y a eu un élément déclencheur qui m’a convaincu de passer à l’action, c’est bien l’odieux dénigrement qui a jeté l’opprobre sur un éminent banquier français musulman à Londres, en le grimant en barbu pour mieux le diaboliser. Cette énième campagne de calomnie à caractère islamophobe venait après toutes les agressions franco-françaises et les rhétoriques politiciennes haineuses qui m’avaient particulièrement heurté, et la coupe était pleine. Il fallait agir urgemment, avec les armes les plus efficaces qui soient, à coups d’articles de loi, et sur le seul terrain qui vaille : la justice.
Le combat est hexagonal et européen, car l’islamophobie est hélas sans frontières, mais aussi et surtout parce que la lecture que font les juridictions européennes des lois françaises liberticides contre les voiles, désapprouve et condamne la France bien plus qu’elle ne la loue. C’est pourquoi la Ligue de défense judiciaire des musulmans, qui existe déjà en Belgique, va essaimer en Suisse, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Espagne, et nous ne manquerons pas de nous tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme, la Commission des droits de l’homme des Nations unies, ainsi que vers le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative en France, et la Cour de cassation.
Dans cette optique, je vais publier à la rentrée un guide que j’ai voulu très utile : Musulmans, quels sont vos droits ?
Oumma.com : Qui sont ceux qui composent votre équipe au sein de la LDJM, et pourquoi Roland Dumas vous a-t-il rejoint ?
Ce sont tous des juristes et avocats aguerris qui sont animés par la même sensibilité intellectuelle à l’égard d’un combat qu’ils considèrent comme prioritaire et fédérateur, au-delà de la sphère musulmane. L’équipe est composée bien sûr de professionnels de confession musulmane, mais aussi de non-musulmans, et je me félicite d’avoir reçu de nombreuses offres de collaboration spontanées, preuve que la volonté de combattre l’islamophobie est réelle et forte.
La présence de l’ancien ministre et président du Conseil constitutionnel Roland Dumas est précieuse. C’est un grand sage, avocat de son état, qui nous prodiguera ses conseils et apportera son expertise, et je me réjouis de l’avoir à mes côtés.
Oumma.com : Allez-vous travailler en concertation avec les associations qui luttent contre l’islamophobie, certaines depuis plusieurs années ?
Il est évident que ce combat requiert toutes les compétences et que je souhaite œuvrer dans un climat de concorde avec les associations existantes. La Ligue de défense judiciaire des musulmans collabore déjà sur des dossiers avec la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI), à l’image de l’affaire récente de Saint-Étienne où un homme, Farid. L, invalide de guerre, a été victime d’un abus de pouvoir policier, le 18 juillet dernier. Je dois rencontrer aujourd’hui Abdallah Zekri, président de l’Observatoire de l’islamophobie au sein du CFCM.
Il fallait une force judiciaire à ce combat que nous partageons tous, et l’association que je représente veut être cette force de frappe-là. Quand je songe à une affaire criminelle à Bordeaux, où un juge d’instruction a fait appel à un imam pour savoir s’il était écrit dans les préceptes coraniques qu’un mari jaloux pouvait mettre le feu à l’amant de sa femme, parce que l’homme présumé coupable était musulman, en vue de le traduire devant la cour d’assises, je me dis que là l’heure est grave…
Oumma.com : Que vous inspire la polémique qui remet en cause la légitimité du vocable « islamophobie », Manuel Valls, ministre de l’Intérieur et des Cultes, refusant de le prononcer ?
En premier lieu, j’estime que le ministre de l’Intérieur et des Cultes a très mal réagi envers le mineur de 14 ans qui a perdu un œil à la suite d’un tir de flashball, lors des affrontements avec la police à Trappes, en lui reprochant sa présence sur les lieux à une heure indue sur le mode : « Mais qu’est-ce qu’il faisait là à cette heure-là ? » Cette réaction n’est pas digne d’un père de famille, ni d’un homme, encore moins d’un homme politique à son niveau de responsabilité.
Comme tant d’autres, à l’instar de Caroline Fourest, il refuse de prononcer le terme « islamophobie » car il sait qu’il n’est pas protégé pénalement. Alors, il essaie de gagner du temps pour éviter de reconnaître que le sentiment antimusulmans s’est banalisé et propagé dans toutes les couches de la population, du citoyen lambda aux élites. La loi liberticide contre le voile intégral a mis hors la loi une poignée de femmes, et tous ceux qui, se sentant légitimés par des discours officiels et le ministre de l’Intérieur et des Cultes, jouent les justiciers, n’hésitent plus à passer à l’acte contre les musulmanes voilées, intégralement ou pas.
C’est la raison pour laquelle je serais d’avis de parler de « musulmanophobie » pour appeler un chat un chat, car il s’agit bien de cela, même si par ailleurs mon association a repris le terme déjà largement usité d’« islamophobie ».
Si l’on remonte à la loi du 15 mars 2004 qui a proscrit le port du voile à l’école et qui s’est décidée au cours d’un dîner du CRIF, entre autres, il fallait à tout prix lui trouver un fondement juridique, sinon elle se serait heurtée à l’écueil de l’anticonstitutionnalité. C’est alors que l’on a invoqué la laïcité pour la faire passer comme une lettre à la poste. En Belgique, c’est le sésame de la neutralité qui a été formulé.
Ces lois qui dévoient la loi de 1905 sont en vigueur aujourd’hui, aussi est-il impératif d’exercer des recours contre les verbalisations de femmes voilées pour dénoncer leur caractère inique, et de la même manière que l’on a le droit de s’opposer à une amende jugée abusive pour un excès de vitesse ou pour le non-respect du port de la ceinture, on doit pouvoir saisir la justice pour s’insurger contre la pénalisation du voile intégral.
Oumma.com : Que pensez-vous de l’état d’esprit qui anime certains policiers, conduisant à des bavures policières caractérisées à l’encontre de citoyens et justiciables musulmans ?
On ne peut pas exclure les policiers du champ citoyen, et quand certains se comportent en violant leur déontologie, en multipliant les délits de faciès sur le terrain, en agissant comme des redresseurs de tort au mépris de leur devoir et de la loi, estimant que la loi n’est pas assez répressive contre les musulmans, il faut alors les poursuivre en justice au même titre que les autres citoyens.
Je tiens à souligner que nous croulons sous des centaines de demandes d’assistance juridique de la part de justiciables musulmans qui ont subi des humiliations, des brimades, des sanctions injustifiées et arbitraires de la part de la police, mais aussi à l’école, dans leur milieu professionnel…
Oumma.com : Enfin, à quelques encablures du scrutin local à l’enjeu national, les municipales de 2014, redoutez-vous des rhétoriques populistes inflammables qui ont fait les heures indignes du débat sur l’identité nationale de l’ère Sarkozy ?
Parti socialiste, UMP, FN, la thématique obsessionnelle de l’islam fait consensus, elle est dans tous les esprits, sa surenchère dialectique est sur toutes les lèvres, occultant la pierre angulaire de l’emploi. Oui, je crains fort que l’on assiste à de nouveaux débordements langagiers islamophobes, les chants de sirènes électoralistes primant sur la préservation de la cohésion nationale et le vivre-ensemble. Il faudra là encore attaquer chaque dérive verbale calomnieuse et outrageante.
À cet égard, nous nous attelons actuellement à la rédaction d’une plainte contre Charlie Hebdo suite à sa dernière caricature infamante titrant « Le Coran c’est de la merde » et illustrant un islamiste égyptien qui se protège des balles de l’armée avec son Coran. Afin de marquer cette démarche d’une pierre blanche, les soixante avocats de la Ligue de défense judiciaire des musulmans seront présents pour le dépôt de plainte en septembre.
Propos recueillis par la rédaction d’Oumma.com.
Si vous souhaitez solliciter l’aide de la Ligue de défense judiciaire des musulmans, une seule adresse : ldjmuslim@gmail.com