Depuis bientôt quinze ans déjà, je connais Alain Soral, et dois confesser pouvoir le compter parmi mes amis. De loin, mon ami le plus irritant, mais peu importe.
Las de ses outrances et provocations, je n’écris pas ici, aujourd’hui, en tant qu’ami, mais en tant qu’avocat et citoyen inquiet de voir et constater l’accentuation, la systématisation d’une pénalisation toujours plus vaste et accrue de l’expression. Se taire et se terrer dans le silence serait consentir à ces dérives qui rongent chaque jour davantage nos libertés fondamentales.
Le 15 avril dernier, un cap accablant pour notre démocratie a été franchi, avec l’édiction d’un mandat d’arrêt à l’encontre de Soral.
Un mandat d’arrêt, c’est-à-dire la décision d’incarcérer un individu, ici pour la seule expression d’une opinion. On pourra bien répéter à l’infini le mantra « le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit », cela ne fera pas cesser le racisme et tous ses succédanés morbides, d’être l’expression d’une idée, sortie d’un esprit humain, d’un logos. Or, un logos s’affronte par un autre logos et certainement pas dans une geôle. Les débats d’idées font évoluer les consciences, élèvent les esprits, nourrissent les critiques. Combattre les idées par le raisonnement, l’intelligence, la lumière et non pas en les censurant derrière des barreaux.
L’emprisonnement des intellectuels réprouvés nous rabaisse collectivement, aux heures les plus sombres de l’histoire de nos civilisations, nous renvoie aux méandres du passé, nous rabaisse intellectuellement en substituant au débat, au combat intellectuel, politique et culturel, la violence pénale, la séquestration des corps, mais également la gloire carcérale.
En effet, à l’échelle de l’histoire des arts et de la pensée, il n’existe guère de plus grande gloire individuelle, que celle qu’inflige le juge pénal. Socrate, Jésus, Giordano Bruno, Sade, Soljenitsyne, pour ne citer que quelques exemples iconiques, ont à leur grand détriment en tant que dissidents du régime, en tant que personnages dérangeants, construit l’idée que l’intellectuel ou l’artiste, que l’on emprisonne ou l’on tue, l’est précisément car il dit et incarne la vérité. Le juge pénal, garant d’un contrat social, médiocre et mesquin comme l’est tout contrat, réprime, pour la conjoncture et le contexte, ceux qui portent l’universel, le beau et le vrai, réprime les visionnaires, les extralucides.
La société suicide ses mages, comme le hulule Artaud dans son Van Gogh. Notre démocratie suffoque. Le juge pénal fabrique donc des martyrs et le « martyrat » est un objet glorieux, que l’on soit chrétien ou musulman, Sacco ou Vanzetti. Or, en auréolant ceux qu’il souhaite écraser, l’État se livre à une tâche socialement contre-productive.
L’exemple d’Alain Soral est à cet égard tout à fait remarquable. Eu égard aux nombreuses condamnations antérieures d’Alain Soral relativement à des faits comparables, on notera que la dissuasion pénale semble à son encontre pour le moins inefficace. En deuxième lieu, qui imagine une seule seconde, qu’Alain Soral s’amende ou évolue dans ses opinions ou son discours, puisque ces condamnations le confortent dans sa conception du monde ? Enfin, et c’est l’essentiel, quelle est l’utilité socio-pédagogique de ces sanctions ? Signifier aux gens, que tenir des propos antisémites est quelque chose de mal ?
C’est cette dernière fonction qui pose problème, car c’est ici que le juge pénal agit contre les intérêts de la société, qu’il est censé protéger. Il agit d’ailleurs doublement contre ceux-ci, en créant le faux martyr d’un imaginaire pouvoir juif et en étendant dangereusement le champ de la pénalisation sur l’expression. L’érection fantasmée de Soral en victime goy des juifs est véritablement dangereuse en tant que telle. Elle attire à lui, persécuté et donc magnifié, et ses idées, pénalisées et donc validées, des golems antisémites qui participent au renouveau actuel de cette vieille haine morbide et imbécile. De cette vielle haine nauséabonde et immonde. « I am under arrest cause i am the best » fredonne Soral. Beaucoup de gens le croient. Non pas tant par adhésion à ses idées, que par fascination pour le « prophète » censuré et lynché, martyrisé, que le régime du jour voudrait faire taire.
Or, l’auréole du réprouvé complique gravement l’indispensable combat politique et intellectuel. On ne débat pas à égalité avec un intellectuel qui a pris du ferme. Car hormis le mantra le-racisme/l’antisémitisme-est-un-délit et les grandes postures performatives sur l’air d’on-ne-débat-pas-avec-une-personne-condamnée-pénalement, l’intellectuel au casier vierge aura toujours l’air un peu puceau face à l’esthétique de l’intellectuel bagnard. Soral sur son canapé fait l’effet d’une miniature tératologique de prisonniers d’opinion dans leur cellule. Soral s’appelle « dissident ». Il est Soljenitsyne. En fantasme seulement. La France est totalitaire. Ses ennemis sont des intellectuels organiques plus ou moins guébistes. Et bien sûr les juifs dominent tout, etc.
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Karim Achoui est avocat et président de la Ligue de défense judiciaire des musulmans (LDJM).