Le couple formé par le chef de l’État et une journaliste en vue représente l’illustration symptomatique de la complicité entre la classe politique et le monde médiatique. Exemple puisé au plus haut niveau de l’État, il est pourtant loin d’être isolé. Trop souvent confinés aux rubriques people, ces nombreux couples soulèvent la question de l’indépendance des journalistes. Et si ces deux professions n’en formaient plus qu’une seule ?
Selon la « version officielle » qui s’étale régulièrement dans les hebdos dans le but de légitimer ces liaisons gênantes, le journalisme politique français aurait hérité d’une tradition de séduction, initiée à la fin des années 1960 par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud à L’Express. Le tandem à la tête de l’hebdomadaire avait recruté à dessein de jeunes et jolies femmes pour couvrir la politique. Quoi de plus banal que certains hommes succombent ainsi à leurs charmes ? D’après Catherine Nay, qui faisait partie de l’équipe de L’Express avec Michèle Cotta : « Françoise Giroud pensait que des hommes se dévoileraient plus facilement devant des femmes. » Suivant l’exemple de L’Express, les rédactions politiques se sont mises à embaucher des femmes à partir des années 1970. La même Catherine Nay entretiendra d’ailleurs une liaison avec Albin Chalandon. Quant à Michèle Cotta, le journaliste Renaud Revel qui vient de publier Les Amazones de la République (éd. First), estime qu’« un livre ne suffirait pas » à évoquer sa carrière politico-amoureuse ! Et de rappeler la gêne des observateurs avertis quand elle anima le débat télévisé du 24 avril 1988 entre François Mitterrand et Jacques Chirac, deux hommes qu’elle avait « très bien connus » par le passé, ce qui lui donnait un rôle d’arbitre « assez insolite »…
La même bourgeoisie libérale-libertaire
Selon Jean Quatremer, journaliste à Libération et auteur du livre Sexe, mensonges et médias, des raisons plus profondes expliqueraient ces rapprochements intimes, et notamment l’homogénéisation sociale et culturelle de plus en plus grande entre les journalistes et la classe dirigeante. Quatremer constate ainsi avec ironie que les journalistes d’aujourd’hui font Sciences-Po et une école de journalisme tandis que les hommes politiques font Sciences-Po et l’ENA, dans des cursus universitaires formatant les esprits à la même pensée unique. Il souligne également que les journalistes sont, comme les hommes politiques, largement issus des classes supérieures de la société. Ainsi 53 % des journalistes ont des parents cadres supérieurs ou équivalents contre 32 % des étudiants et 18,5 % de la population masculine française. Politiques et journalistes seraient donc principalement issus de la même bourgeoisie urbaine partageant les valeurs communes libérales libertaires. Cette vision est partagée par Jean-François Kahn. Dès 2001, il constatait que les journalistes « dans leur immense majorité, sont issus du même milieu, formés à la même école, fréquentent les mêmes espaces, porteurs des mêmes valeurs, imprégnés du même discours, façonnés par la même idéologie, structurés par les mêmes références ». Idéologie que l’ancien patron de Marianne définit comme « de gauche libérale-libertaire – un mélange de ralliement pan-capitalisme mondialisé et de pulsions néo-soixante-huitardes syncrétisées en rhétorique de la modernité ».
Témoin de mariage
De fait, lorsque l’on observe les couples politico-médiatiques passés ou actuels les plus en vue, la proximité sociale, culturelle, idéologique qui les caractérise semble évidente. Ainsi du couple Peillon-Bensahel : Nathalie Bensahel est née en septembre 1960 à Casablanca (Maroc). Après être passée par la rue Saint-Guillaume à Sciences-Po Paris, elle commence sa carrière de journaliste à La Vie française, puis elle rejoint La Tribune en 1985, intègre Libération en 1991 avant de rejoindre la rédaction du Nouvel Observateur où, depuis 2008, elle est chef de service de la rubrique « Air du temps ». Depuis la nomination de son mari, Vincent Peillon, comme ministre en mai 2012, elle ne s’occupe plus des questions d’éducation et de politique publique. Soulignons au passage que Vincent Peillon est le frère d’Antoine Peillon qui est journaliste à La Croix…
Autre couple médiatico-ministériel, le couple formé par Michel Sapin et Valérie de Senneville. Le couple s’est marié en décembre 2011 et avait pour témoin François Hollande. Michel Sapin et François Hollande sont en effet très proches, étant issus tous deux de la célèbre promotion Voltaire de l’ENA et ayant accompli ensemble leur service militaire. Valérie de Senneville (de son nom de jeune fille Valérie Scharre, divorcée du vicomte Benoît Denis de Senneville) est titulaire d’un DEA de droit international économique et d’une maîtrise de droit des affaires. Elle est également passée par l’IEP Paris où elle a obtenu un DEA de sciences politiques, puis a exercé comme juriste d’entreprise chez Goodyear et Seat avant d’intégrer, en 1991, La Vie judiciaire pour développer sa partie rédactionnelle. Devenue en 1997 journaliste spécialisé dans l’entreprise et la finances au quotidien économique L’Agefi, elle rejoint Les Échos en 2000 comme journaliste judiciaire où elle demande au comité d’indépendance éditorial de son journal de s’exprimer sur le rôle qui doit être désormais le sien.
Conflit d’intérêt
Audrey Pulvar fut, elle, la très médiatique et très controversée compagne d‘Arnaud Montebourg, troisième homme de la primaire socialiste pour les présidentielles de 2012 et ministre du Redressement productif dans le gouvernement d’Ayrault, avant leur rupture en décembre 2012. Si elle n’est pas passée par la rue Saint-Guillaume, elle sort de l’ESJ, autre séminaire du régime pour entrer dans la presse parisienne. Malgré ses dénégations, Pulvar est une journaliste militante, très proche du think tank socialiste Terra Nova, dont le fondateur était feu Olivier Ferrand, intime d’Arnaud Montebourg. Audrey Pulvar préside au sein du think tank une commission sur le thème : « Le rôle de l’État sur le marché des médias » avec Louis Dreyfus et le professeur d’économie des médias (Paris II Panthéon-Assas) Nathalie Sonnac. En juillet 2012, elle était nommée à la tête du mensuel Les Inrockuptibles par Mathieu Pigasse, son propriétaire, lequel était également vice-président de la banque Lazard, choisie par Bercy (dont dépend Montebourg) pour conseiller le gouvernement sur le projet de création de la future Banque publique d’investissement… Comme on le voit, les couples ainsi formés par des hommes de pouvoir et des journalistes alimentent également les conflits d’intérêts.
Journaliste ou politique ?
À droite cette fois-ci, Marie Drucker a fait la couverture des magazines au bras de François Baroin, alors qu’il était ministre de l’Outre-Mer. Marie Drucker est un pur produit de l’oligarchie. Fille du dirigeant de télévision Jean Drucker, nièce du journaliste et animateur de télévision Michel Drucker et cousine de l’actrice Léa Drucker, elle collectionne les hommes riches et célèbres, passant de l’écrivain Marc Lévy à l’homme politique François Baroin. Celui-ci, fils d’un grand maître du Grand Orient, avait d’ailleurs été lui-même journaliste au service politique d’Europe 1 de 1988 à 1992. Avant de se mettre en ménage avec Marie Drucker, il était marié à une journaliste de LCI, Valérie Broquisse dont il a eu trois enfants. Continuant sa quête d’hommes de la jet-set politico-médiatique, elle le délaisse en 2009 pour établir une liaison avec le banquier Matthieu Pigasse, dont la famille est très présente dans les médias : son oncle, Jean-Paul Pigasse a été directeur de la rédaction de L’Express. Son frère, Nicolas Pigasse, est co-fondateur du magazine Public, sa sœur, Virginie Pigasse, a travaillé au magazine Globe et lui-même est patron des Inrockuptibles…
Maîtres du monde…
Daniela Lumbroso, issue d’une des principales familles de la diaspora juive tunisienne, n’est pas mariée avec un homme politique à proprement parler. Il n’en demeure pas moins que le couple qu’elle forme avec Éric Ghebali, ancien secrétaire général de SOS Racisme et de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) reste très proche du pouvoir. Comptant parmi les fondateurs des magazines Globe et du Courrier international, ancien membre du Conseil national du Parti socialiste, Éric Ghebali jouera un rôle actif mais discret en 2012, comme entremetteur du candidat et futur président François Hollande avec le milieu artistique (L’Express, 7 mai 2012) et fut l’un des organisateurs du meeting du Bourget.
« Anne Sinclair fait fondamentalement partie de ce petit monde de connivence intello-politico-médiatique, dont elle ne comprend même pas qu’il puisse énerver puisque c’est le sien », écrit Emmanuelle Anizon dans Télérama en 2003. Dominique Strauss-Kahn épouse en troisièmes noces, en novembre 1991, Anne Sinclair, alors journaliste à TF1 et présentatrice de l’émission politique télévisée 7 sur 7, elle-même divorcée du journaliste Ivan Levaï. Parmi les témoins des mariés figure la productrice Rachel Kahn (épouse du journaliste Jean-François Kahn). Membre du club Le Siècle, profondément engagé à gauche et marqué par ses racines juives, Anne Sinclair incarne la gauche caviar version tape-à-l’œil (ou bling-bling comme on dira plus tard). Dans Belle et Bête, un livre paru début 2013, la juriste Marcela Iacub décrira Anne Sinclair comme une femme perverse considérant DSK comme « son caniche » et convaincue qu’elle et son mari font partie de la caste des « maîtres du monde »… En août 2012, suite aux déboires érotico-judiciaires de DSK, Anne Sinclair confirme leur séparation avant de divorcer officiellement en mars 2013.
Dominique Strauss Kahn ne restera pas seul longtemps ; sa nouvelle conquête est, comme Anne Sinclair, une femme des médias. Myriam L’Aouffir travaille en effet à France Télévisions comme responsable communication online & social media marketing. Née au Maroc où elle a passé toute sa jeunesse, elle prend en charge en 2007 les relations extérieures à l’ambassade du Maroc. Elle est aussi connue au Maroc pour son engagement caritatif dans l’association Juste pour eux, dont elle a été la présidente entre 2004 et 2011, et dont on retrouve comme parrain Gad Elmaleh (l’ex-compagnon de Marie Drucker…). Le monde de l’élite est un village.
La politique étrangère de la France : une affaire de couple ?
Autre reine du PAF à partager la vie d’un homme politique, Christine Ockrent est issue de la haute bourgeoisie libérale belge. Son père, diplomate, fut l’ancien chef de cabinet du Premier ministre Paul-Henri Spaak. Christine Ockrent passera, comme tant d’autres, sur les bancs de l’IEP Paris et effectuera une brillante carrière dans la presse audiovisuelle. Elle est la première femme à présenter régulièrement le journal télévisé de 20 heures en France de 1981 à 1985 et reçoit le surnom de « reine Christine ». C’est Nicolas Sarkozy lui-même qui choisira Christine Ockrent au poste de directrice générale de la future holding France Monde, appelée à coiffer l’audiovisuel extérieur public français (RFI, TV5Monde et France 24)… au moment même où son compagnon [1] était ministre des Affaires étrangères du gouvernement Fillon ! Christine Ockrent est par ailleurs une fidèle du groupe Bilderberg, membre de l’International Crisis Group, une « ONG » réputée proche de l’OTAN financée en partie par des entreprises privées, ainsi du l’European Council on Foreign Relations, un think tank influent en matière de politique étrangère.
Les marquises de la République
Ces liaisons, qui ne se limitent pas à quelques couples emblématiques, montrent une véritable endogamie, c’est-à-dire « le choix prioritaire de son époux ou de son épouse, de son compagnon ou de sa compagne au sein d’un même groupe ». Cette endogamie est révélatrice de l’extrême proximité qui caractérise désormais le « haut journalisme parisien » et la classe politique. Loin d’être un contre-pouvoir, le monde médiatique fait désormais partie intégrante du pouvoir par tout un écheveau de relations croisées. Un exemple caractéristique de cette proximité concerne Christophe Barbier, qui arbore toujours sa fameuse écharpe rouge. Interrogé à son sujet par Philippe Vandel sur France Info le 7 janvier 2010, il précisait alors : « Sachez que celle que je porte aujourd’hui m’a été offerte par Carla. » « Carla » qui était, là encore, témoin à son mariage de Christophe Barbier en 2008, accompagné du président de la République en personne… On imagine la critique féroce qu’un journaliste peut exercer dans les colonnes de son journal après de telles agapes en si bonne compagnie.
Face à la multiplication de ces liaisons amoureuses et des couples qui s’étalent sous le feu des projecteurs, ou plus discrètement dans le secret des alcôves, la question qui se pose est évidemment de savoir dans quelle mesure une journaliste vivant avec un ministre ou un chef de parti peut travailler de façon impartiale et crédible. La réponse est malheureusement évidente.
On a coutume de moquer les cours d’Ancien Régime, où se pressait la noblesse pour décrocher charges et privilèges. Les belles marquises passaient des bras d’un puissant à un autre. Aujourd’hui, force est de constater que rien n’a changé. Les courtisanes sont remplacées par les icônes médiatiques en vue passées par les bonnes institutions et partageant la même vision du monde que ceux dont elles partagent la couche. Difficile dans ces conditions de considérer la presse comme un contre pouvoir informant les citoyens « en toute objectivité »…