Alors que le sénateur John McCain est tellement présent dans les journaux en raison de ses critiques acerbes des positions de Donald Trump en matière de politique étrangère, quelques personnes ont suggéré de republier mon article datant de quelques années explorant le dossier militaire très incertain de McCain.
Compte tenu de la couverture médiatique massive des allégations plutôt fantaisistes selon lesquelles les Russes font chanter Trump, peut-être que des ressources similaires devraient être consacrées à enquêter sur un cas de chantage beaucoup plus plausible, et qui est beaucoup mieux documenté.
Bien que la mémoire sur cette affaire se soit évanouie ces dernières années, pendant la plus grande partie de la seconde moitié du XXe siècle, le nom de Tokyo Rose se classa très haut dans notre conscience populaire, probablement après Benedict Arnold comme synonyme de trahison américaine en temps de guerre. L’histoire d’Iva Ikuko Toguri avait fait les manchettes de la presse nationale. La jeune femme, américano-japonaise, qui a passé ses années de guerre à diffuser de la musique populaire, avec la propagande ennemie, à nos troupes souffrant sur le théâtre de la guerre du Pacifique, était bien connue de tous, et son procès pour trahison, après la guerre, l’a dépouillée de sa citoyenneté et l’a condamnée à une longue peine de prison.
Les faits historiques réels semblent avoir été quelque peu différents du mythe populaire. Au lieu d’une seule Tokyo Rose, il y avait en fait plusieurs femmes diffusant ce genre d’émissions − Mme Toguri n’étant même pas la première − et leur identité a fusionné dans l’esprit des combattants GI’s américains. Mais elle fut la seule jugée et punie, bien que son propre commentaire à la radio ait été presque totalement inoffensif. La situation d’une jeune femme, née en Amérique, prise au piège, seule, lors d’une visite familiale, derrière les lignes ennemies, par l’éclatement soudain de la guerre était évidemment difficile, et accepter, en désespoir de cause, un emploi comme annonceur de musique en langue anglaise ne correspond pas à la notion habituelle de trahison. En effet, après sa libération de la prison fédérale, elle a évité la déportation et a passé le reste de sa vie à gérer tranquillement une épicerie à Chicago. Le Japon d’après-guerre devint bientôt notre allié le plus proche en Asie et, une fois les passions de la guerre suffisamment refroidies, elle fut finalement graciée par le président Gerald Ford et sa nationalité américaine fut rétablie.
Malgré ces circonstances extrêmement atténuantes, dans le cas particulier de Mme Toguri, nous ne devrions pas être trop surpris par le dur traitement imposé par l’Amérique à la pauvre femme à son retour du Japon. Tous les pays normaux punissent impitoyablement la trahison et les traîtres, et ces termes sont souvent définis de façon extensive à la suite d’une guerre acharnée. Peut-être que dans un monde à l’envers, genre Monty Python, les traîtres de guerre recevraient des médailles, seraient fêtés à la Maison-Blanche, et deviendraient des héros nationaux, mais tout pays réel qui permettrait une telle folie prendrait sûrement le chemin de l’oubli. Si l’action de Tokyo Rose, en temps de guerre, l’avait lancée dans une carrière politique américaine réussie et lui avait presque donné la présidence, nous saurions avec certitude qu’un ennemi cruel avait dopé notre approvisionnement national en eau avec du LSD.
L’ascension politique du sénateur John McCain m’amène à soupçonner que dans les années 1970, un ennemi cruel avait dopé notre approvisionnement national en eau avec du LSD.
Mes premiers souvenirs de John McCain sont vagues. Je pense qu’il est apparu pour la première fois au milieu des années 1980, peut-être après 1982 lorsqu’il a remporté un siège au Congrès en Arizona ou plus probablement lorsqu’il a été élu au sénat en 1986 prenant le siège du sénateur américain Barry Goldwater, l’icône démocrate prenant sa retraite.
Tous les articles de presse à son sujet semblaient fortement favorables, décrivant sa fermeté de prisonnier de guerre pendant plus de cinq années de torture par ses geôliers vietnamiens, avec l’ampleur de ses souffrances physiques en temps de guerre révélées par la fameuse photo le montrant toujours avec des béquilles alors qu’il était accueilli par le président Nixon plusieurs mois après son retour de captivité. Je n’ai jamais eu le moindre doute sur cette histoire ou sur son statut de héros de guerre.
L’image publique de McCain a été mise à mal à la fin des années 1980, lorsqu’il est devenu l’un des sénateurs impliqués dans le scandale financier de Keating Five [scandale impliquant cinq sénateurs US corrompus dans une affaire de trafic d’influence], mais il a survécu à cette controverse contrairement à la plupart des autres. Peu de temps après, il devint un éminent défenseur national de la réforme du financement des campagnes électorales, une voix favorable aux immigrants et un champion de la normalisation de nos relations avec le Viêt Nam, des positions qui me plaisaient autant qu’aux médias nationaux. En 2000, mon opinion était devenue suffisamment favorable pour que je lui fasse un don, dans son défi d’outsider à George W. Bush, lors des primaires républicaines de cette année-là, et je fus ravi quand il réussit étonnamment bien dans quelques-unes des premières primaires et eut soudain une sérieuse poussée vers la nomination. Mais il a ensuite subi une défaite inattendue en Caroline du Sud, lorsque un grand nombre d’électeurs militaires locaux se sont retournés décisivement contre lui. Selon les médias, la cause principale était une campagne de chuchotement tout à fait calomnieuse de Karl Rove et de ses sbires, qui incluait même des accusations épouvantables selon lesquelles le grand candidat héros de guerre avait été un traître au Viêt Nam. Ma seule conclusion était que les sales mensonges que l’on trouvait parfois dans la politique américaine étaient encore pires que je ne pouvais l’imaginer.
Ainsi, après les attentats du 11 Septembre, je me suis brutalement retourné contre McCain pour son soutien à une politique étrangère extrêmement belliqueuse. Je n’ai jamais eu de raison de remettre en question son passé ou son intégrité, et ma forte opposition à sa course à la présidentielle en 2008 était entièrement politique : je craignais que son tempérament notoirement volcanique ne nous entraîne dans d’autres guerres désastreuses.
Tout a soudainement changé en juin 2008. J’ai lu un long article d’un écrivain inconnu sur le site web de gauche Counterpunch. Des déclarations choquantes ont été faites disant que McCain n’avait jamais été torturé et qu’il avait plutôt passé son temps de captivité en temps de guerre à collaborer avec ses ravisseurs et à diffuser de la propagande communiste, une possibilité qui me semblait presque incompréhensible étant donné les milliers d’articles prétendant le contraire que j’ai absorbés des médias traditionnels. Comment cet article sur un petit site web pourrait-il dire la vérité sur le bilan de guerre de McCain, tout le reste étant alors un mensonge total ? La preuve n’était pas vraiment écrasante, l’article était mince et écrit d’une manière tortueuse par un auteur obscur, mais les informations étaient si étonnantes que j’ai fait quelques efforts pour enquêter sur l’affaire, mais sans aucun succès réel.
Cependant, ces nouveaux doutes à propos de McCain étaient encore dans mon esprit quelques mois plus tard quand je suis tombé sur l’exposé massivement documenté de Sidney Schanberg sur le rôle de McCain dans la dissimulation du scandale POW / MIA [L’abandon par les US des soldats encore prisonniers (POW) au Viêt Nam et le retour des restes des morts au combat (MIA)], un scandale bien plus grand. Cette fois-ci, on m’a présenté une montagne de preuves solides recueillies par l’un des plus grands journalistes américains de la guerre, lauréat du prix Pulitzer et ancien rédacteur en chef au New York Times. Dans les années qui ont suivi, d’autres journalistes ont salué les recherches remarquables de M. Schanberg, dont les conclusions ont été soutenues solidairement par quatre prix Pulitzer du New York Times, tandis que deux anciens membres du Congrès républicain qui avaient siégé à la Commission du Renseignement ont fortement corroboré son compte-rendu.
En 1993, la première page du New York Times a révélé qu’une transcription du Politburo, retrouvée dans les archives du Kremlin, confirmait absolument l’existence de prisonniers de guerre supplémentaires et, lorsque PSB Newshour a interviewé les anciens conseillers à la sécurité nationale Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski, ces derniers ont reconnu que le document [du Kremlin] était très probablement correct et que des centaines de prisonniers de guerre américains au Viêt Nam avaient été laissés derrière. À mon avis, la réalité de l’histoire de Schanberg sur les prisonniers de guerre est maintenant aussi solidement établie que tout ce qui peut l’être sans avoir encore reçu une bénédiction officielle des médias traditionnels américains. Et la malhonnêteté totale de ces médias concernant à la fois l’histoire des POW et le rôle principal de McCain dans la dissimulation tardive me rendit très méfiant par rapport à toutes ces autres affirmations concernant le prétendu palmarès de guerre héroïque de John McCain. Notre Pravda américaine n’est tout simplement pas digne de confiance sur les sujets délicats.
Je n’ai aucune connaissance personnelle de la guerre du Viêt Nam et je ne possède aucune expertise dans ce domaine de l’histoire. Mais après avoir découvert l’exposé de Schanberg en 2008, j’ai rapidement pris contact avec quelqu’un qui avait exactement ces points forts, un vétéran du Viêt Nam, qui devint plus tard professeur dans l’une de nos académies militaires. Au début, il était assez circonspect par rapport aux questions que j’avais soulevées, mais après avoir lu le long article de Schanberg, il avait l’impression de pouvoir répondre plus librement et confirmait largement les affirmations, en partie sur la base de certaines informations personnelles. Il a dit qu’il trouvait étonnant qu’en ces jours d’Internet, le scandale des prisonniers de guerre n’ait pas attiré beaucoup plus d’attention et qu’il ne comprenait pas pourquoi les médias étaient si peu disposés à aborder le sujet.
Il avait aussi des choses très intéressantes à dire sur le passé guerrier de John McCain. Selon lui, ce n’était pas un secret dans les cercles d’anciens combattants que McCain avait passé une grande partie de la guerre à faire de la propagande communiste à la radio, car ces émissions étaient régulièrement diffusées dans les camps de prisonniers pour briser le moral des prisonniers américains qui refusaient de collaborer. En effet, lui et quelques-uns de ses amis avaient spéculé pour chercher qui possédait actuellement des copies de ces maudites cassettes audio et vidéo de McCain et se demandaient si elles pourraient sortir au cours de la campagne présidentielle. Au fil des années, d’autres vétérans du Vietnam ont publiquement porté des accusations similaires, et Schanberg avait spéculé que le rôle principal de McCain dans la dissimulation des prisonniers de guerre abandonnés au Viêt Nam pouvait être lié à la pression qu’il subissait en raison de ses émissions fameuses durant la guerre.
Fin septembre 2008, une autre histoire fascinante est apparue dans mon New York Times du matin. Un journaliste intrépide décida de visiter le Viêt Nam et de voir ce que les anciens geôliers de McCain pensaient de la possibilité que leur captif pourrait bientôt atteindre la Maison-Blanche, que l’homme qu’ils avaient passé des années à torturer brutalement devienne le prochain président des États-Unis. À l’étonnement des journalistes, les anciens geôliers semblaient enthousiasmés par les perspectives d’une victoire de McCain, disant qu’ils espéraient qu’il gagnerait puisqu’ils étaient devenus de si bons amis pendant la guerre, et avaient travaillé si étroitement ensemble. S’ils vivaient en Amérique, ils voteraient certainement tous pour lui. Interrogé sur les allégations de torture « cruelle et sadique » de McCain, le chef de l’unité de garde a rejeté ces histoires comme étant le genre d’absurdité totale que les politiciens, que ce soit en Amérique ou au Viêt Nam, propagent pour gagner en popularité. Un correspondant de la BBC a rapporté les mêmes déclarations.
Considérons les implications de cette histoire. Tout au long de sa vie, John McCain s’est distingué par son tempérament très violent et ses rancunes profondes. Dans quelle mesure est-il plausible que les hommes qui auraient passé des années à le torturer soient si impatients de le voir atteindre la suprématie mondiale ?
Mais qu’en est-il de la fameuse photo montrant McCain encore en béquilles des mois après sa sortie de captivité ? Au début du mois de septembre 2008, quelqu’un a découvert des images d’archives d’une équipe de journalistes suédois qui avait filmé le retour des prisonniers de guerre et les a téléchargées sur YouTube. Nous voyons un John McCain en bonne santé sortir de l’avion venant du Viêt Nam, avec une claudication notable, mais certainement sans besoin de béquilles. Après son retour à la maison, il a finalement été admis à l’hôpital naval de Bethesda pour subir une chirurgie corrective sur certaines de ses blessures en temps de guerre, et cette opération américaine récente expliquait ses béquilles sur la photo avec Nixon.
Il est avéré qu’un nombre considérable de prisonniers de guerre ont été torturés au Viêt Nam, mais il est loin d’être clair que McCain a été l’un d’entre eux. Comme le soulignait l’article original de Counterpunch, pendant presque toute la guerre, McCain fut détenu dans une section spéciale pour les prisonniers ayant un bon comportement, où il aurait produit ses émissions de propagande communiste et devint peut-être aussi bon ami avec ses gardes. D’anciens prisonniers de guerre de haut rang détenus dans la même prison, comme les colonels Ted Guy et Gordon Swede Larson, ont déclaré publiquement qu’ils étaient très sceptiques face aux allégations de torture de McCain.
J’ai pris la peine de lire les premières affirmations de John McCain sur une séquestration sévère, un compte-rendu à la première personne très détaillé de 12 000 mots, publié sous son nom dans US News & World Report en mai 1973, quelques semaines seulement après sa libération de prison. L’introduction éditoriale note la « guérison presque totale » apparemment observable sur le jeune pilote sortant de captivité, et certaines parties de l’histoire me paraissent douteuses, peut-être tirées de la longue histoire de fiction d’emprisonnement populaire qui remonte au Comte de Monte-Cristo de Dumas. Un jeune pilote de la Marine développerait-il si facilement et se souviendrait-il d’un code permettant de communiquer intensément avec les autres en tapant sur les murs épais de la prison ? Et McCain se décrit comme ayant un « penchant philosophique », passant ses années de confinement solitaire à revoir dans sa tête tous les nombreux livres d’histoire qu’il avait lus, essayant de donner un sens à l’histoire humaine, un degré d’intellectualisation jamais manifesté dans sa vie avant ou après.
Un détail factuel, régulièrement souligné par ses partisans, est son affirmation répétée que, hormis une unique déclaration signée très tôt au début de sa captivité et des réponses à quelques questions d’un journaliste français en visite, il avait fermement refusé toute collaboration avec ses ravisseurs, malgré la torture, l’isolement cellulaire, les menaces, les tabassages sans fin, et les offres de récompenses. Peut-être. Mais l’article original de Counterpunch a fourni le lien vers le texte prétendu d’une des émissions de propagande pro-Hanoï de McCain, comme résumé d’une dépêche de l’agence de presse UPI wire en 1969, et j’ai confirmé son authenticité en localisant l’article résultant qui est paru dans Stars & Stripes en même temps. Donc, si des parties cruciales du récit de McCain sur son emprisonnement se révèlent apparemment être de la fiction auto-promotionnelle, quel part du reste pouvons-nous croire ? Si ses émissions de propagande pro-communistes étaient si remarquables qu’elles ont même atteint les pages d’une des plus importantes publications militaires des États-Unis [Stars & Stripes], il semble tout à fait plausible qu’elles étaient aussi nombreuses, substantielles et fréquentes que ses critiques le prétendent.
Quand j’ai discuté, plus tard, de ces questions troublantes avec un politologue éminent qui a un bagage militaire, il a souligné que l’histoire de McCain ne peut être comprise que dans le contexte de son père, un amiral de haut rang qui a servi comme commandant de toutes les forces américaines dans le théâtre du Pacifique, y compris nos troupes au Viêt Nam. En fait, le titre allégué de la dépêche de l’agence de presse UPI wire était Le PW [Prisonnier de guerre] Songbird est le fils pilote de l’amiral, soulignant la parenté. Évidemment, pour des raisons de loyauté familiale et de standing personnel, il aurait été impératif, pour le père de John McCain, et son homonyme, d’étouffer le terrible scandale du fils servant comme collaborateur principal et propagandiste communiste pendant la guerre, ce que son rang hiérarchique important lui permettait. En outre, quelques années plus tôt, le père de McCain avait lui-même rendu un service extrêmement précieux aux élites politiques américaines en organisant la commission d’enquête qui blanchissait l’incident du Liberty, potentiellement dévastateur, avec ses dizaines de soldats américains morts et blessés. Il y avait certainement de puissants arguments politiques qu’il pouvait invoquer.
Dans ce contexte, les récits de torture de John McCain sont tout à fait logiques. S’il avait en effet passé presque toute la guerre à diffuser la propagande communiste en échange d’un traitement privilégié, il y aurait eu des histoires à ce sujet en privé, et des craintes que ces contes finissent par se retrouver dans les titres des journaux, peut-être appuyés par des preuves audio et bandes vidéo. Une stratégie efficace pour prévenir ce danger consisterait à concocter des récits de souffrances personnelles et à les promouvoir dans les médias, faisant rapidement de McCain la plus grande victime de torture parmi les prisonniers de guerre rendus aux États-Unis, un effort crédibilisé par le fait que de nombreux prisonniers de guerre américains avaient effectivement subi des tortures.
Une fois que le public a pleinement accepté McCain comme principal héros de guerre et victime de torture au Viêt Nam, toute publication ultérieure de ses enregistrements de propagande serait rejetée comme une simple preuve que même les hommes les plus courageux avaient leurs limites. Étant donné que le père de McCain était l’un des plus hauts gradés militaires américains et que l’administration Nixon et les médias avaient rapidement élevé McCain au niveau d’un symbole national de l’héroïsme américain, il y aurait eu une énorme pression sur les autres prisonniers de guerre, nombre d’entre eux abrutis et meurtris par une longue captivité, pour ne pas saper un récit patriotique aussi important. De même, lorsque McCain se présenta au Congrès et au Sénat, une dizaine d’années plus tard, les histoires de sa torture devinrent un thème central de ses campagnes et constituèrent une fois de plus une puissante défense contre les rumeurs de sa prétendue déloyauté.
Ainsi la légende a enflé au fil des décennies jusqu’à engloutir complètement l’homme qui est devenu le plus grand patriote et héros de guerre des États-Unis, presque personne ne connaissant les émissions de propagande communiste qui avaient motivé l’histoire en premier lieu. J’ai parfois remarqué ce même schéma historique dans lequel des récits de fiction, inventés à l’origine pour excuser ou atténuer un crime énorme, peuvent finir par s’amplifier, au fil du temps, jusqu’à dominer totalement le récit, alors que le crime originel lui-même est presque oublié. Le thème central de la campagne présidentielle de McCain était son patriotisme inégalé et quand il est tombé devant Barack Obama, le verdict répandu était que même les plus grands héros de guerre pouvaient aussi perdre une élection.
Je dois souligner que je ne suis pas un expert de la guerre du Viêt Nam et ma petite enquête ne ressemble en rien au genre de recherche exhaustive qui serait nécessaire pour établir une conclusion ferme sur cette affaire troublante. J’ai simplement essayé de fournir un compte rendu plausible du bilan de guerre de McCain et de mettre en évidence certaines des preuves importantes qu’un chercheur plus approfondi devrait considérer. Contrairement à la documentation sur la dissimulation des prisonniers de guerre, accumulée par Schanberg et d’autres, que je considère comme extrêmement concluante, je pense que le mieux que l’on puisse dire de ma reconstitution de l’histoire de la guerre de McCain est plus vraisemblablement correcte que non. Cependant, je dois mentionner que lorsque j’ai discuté de certains de ces articles avec Schanberg en 2010, remarquant que John McCain avait été la Tokyo Rose de la guerre du Viêt Nam, il a considéré que c’était une description très juste.
John McCain est le seul personnage politique éminent dont les activités problématiques durant la guerre du Viêt Nam ont parfois été soumises à un examen sévère, mais ont ensuite été repoussées et oubliées par nos médias corporatistes. Tout comme McCain était largement considéré comme le héros de guerre républicain le plus important de ce conflit, son homologue démocrate était probablement le lauréat de la Médaille d’honneur du Viêt Nam, Bob Kerrey, un ancien gouverneur et sénateur du Nebraska qui avait brigué la présidence en 1992, et l’avait aussi envisagée à la fin des années 1990.
Son histoire, apparemment sans tache, d’héroïsme à la guerre s’est soudainement effondrée en 2001 avec la publication d’un article dévastateur de 8 000 mots dans le New York Times Magazine avec un relais télévisé à Sixty Minutes II. Des témoignages oculaires détaillés et des preuves documentaires ont établi de manière convaincante que Kerrey avait ordonné à ses hommes de massacrer plus d’une douzaine de civils vietnamiens innocents – des femmes, des enfants et des nourrissons – pour avoir été témoins d’un raid bâclé des SEAL sur un minuscule hameau vietnamien, une action qui rappelait un peu le tristement célèbre massacre de My Lai de l’année précédente, mais certainement à une échelle beaucoup plus petite. La réponse initiale de Kerrey à ces accusations horribles – soutenant que son souvenir de l’incident était brumeux – me donna une preuve presque certaine de sa culpabilité, et d’autres tirèrent des conclusions similaires.
Comme héros de guerre supposé et démocrate modéré, Kerrey avait toujours été très populaire dans les cercles politiques, mais même New Republic, jadis amical, était choqué par l’empressement avec lequel les experts et les médias cherchaient à l’absoudre de ses crimes allégués. Les révélations semblent également n’avoir eu aucun impact sur son mandat en tant que président de la prestigieuse New School de New York, une institution universitaire à la réputation libérale impeccable, qu’il conserva pendant une autre décennie avant de partir pour tenter vainement de reprendre son ancien siège au Sénat du Nebraska. Bob Dreyfuss, un journaliste de gauche libéral, avec des principes, pouvait encore le qualifier de « meurtrier de masse » dans un article de 2012 dans The Nation, mais pendant des années, presque personne dans les médias traditionnels n’a jamais fait allusion à l’incident dans aucun des articles mentionnant les activités de Kerrey, tout comme les médias ont également totalement ignoré toutes les révélations remarquables de Schanberg. Je soupçonne que les crimes de guerre de Kerrey ont presque totalement disparu de la conscience publique.
Nous devons toujours faire une distinction importante entre les actions des journalistes individuels et le comportement des médias américains pris dans leur ensemble. Je crois que l’écrasante majorité des journalistes et des rédacteurs sont honnêtes et sincères, et bien que leur couverture soit parfois biaisée ou erronée, ils cherchent à informer plutôt qu’à tromper. Considérez combien des faits explosifs discutés ci-dessus ou dans l’exposition massive de Schanberg ont été tirés directement du New York Times et d’autres principaux médias. Mais après ces histoires cruciales, les faits qu’ils ont établis semblent souvent ne pas avoir de couverture ultérieure, ce qui les fait oublier par la plupart des lecteurs occasionnels. Ainsi, le récit détaillé du massacre allégué de civils, perpétré par Kerrey a reçu la couverture initiale la plus large possible – une couverture énorme dans le New York Times Magazine et un relais de télévision CBS News en tête d’affiche – mais en un an ou deux l’histoire avait été balayée dans la poubelle de la mémoire par presque tous les journalistes politiques. Les faits sont encore disponibles pour les lecteurs intéressés à les découvrir, mais ils doivent faire le travail eux-mêmes plutôt que de simplement se fier aux récits synthétiques produits par les publications grand public.
La prise de conscience que beaucoup de nos dirigeants politiques peuvent héberger ces terribles secrets personnels, secrets que nos médias cachent régulièrement, a une implication politique importante indépendamment des secrets particuliers eux-mêmes. Ces dernières années, j’ai de plus en plus commencé à soupçonner que certains ou même plusieurs de nos dirigeants nationaux peuvent parfois prendre des décisions politiques apparemment inexplicables sous la menace imminente d’un chantage personnel, et que cela a pu être vrai dans le passé.
Considérez le cas intrigant de J. Edgar Hoover, qui a passé près d’un demi-siècle à gérer notre service de renseignement intérieur, le FBI. Au cours de ces nombreuses décennies, il a accumulé des dossiers détaillés sur un grand nombre de personnalités et la plupart des historiens s’accordent à dire qu’il utilisait régulièrement ce matériau très sensible pour prendre le dessus sur ses maîtres politiques nominaux et pour faire plier d’autres personnalités publiques. Pendant ce temps, lui-même n’était pas à l’abri de pressions similaires. Aujourd’hui, on croit généralement que Hoover a vécu sa longue vie comme un homosexuel profondément isolé et il y a aussi des affirmations sérieuses qu’il avait une ascendance noire cachée, une possibilité qui me semble tout à fait plausible compte tenu de ses caractéristiques. De tels secrets personnels peuvent expliquer les dénégations de Hoover, disant pendant longtemps que le crime organisé n’existait pas vraiment en Amérique, et justifier ainsi sa grande réticence à allouer des ressources significatives au FBI pour le combattre.
Aujourd’hui, quand nous considérons les principaux pays du monde, nous voyons que souvent les dirigeants officiels sont également les leaders dans l’actualité : Vladimir Poutine fait la pluie et le beau temps en Russie, Xi Jinping et ses collègues au sommet du Politburo font de même en Chine, et ainsi de suite. Cependant, en Amérique et dans d’autres pays occidentaux, cela semble être de moins en moins le cas, avec des personnalité nationales de haut niveau qui ne sont que des hommes séduisants, choisis pour leur attrait populaire, et leur malléabilité politique, un développement qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les nations qu’ils dirigent. À titre d’exemple extrême, Boris Eltsine, un ivrogne, a autorisé librement le pillage de toute la richesse nationale russe par une poignée d’oligarques qui tiraient les ficelles. Le résultat fut l’appauvrissement total du peuple russe et un effondrement démographique presque sans précédent dans l’histoire moderne en temps de paix.
Un problème évident avec l’installation de dirigeants marionnettes est le risque qu’ils essaient de couper leurs ficelles, tout comme Poutine qui a vite déjoué et exilé son patron, l’oligarque Boris Berezovsky. Un moyen de minimiser ce risque est de sélectionner des marionnettes si profondément compromises qu’elles ne peuvent jamais se libérer, sachant que les charges politiques autodestructrices enterrées au plus profond de leur passé pourraient facilement être déclenchées si elles cherchaient l’indépendance. J’ai parfois plaisanté avec mes amis en disant que, peut-être, le meilleur choix de carrière pour un jeune homme politique ambitieux serait de commettre secrètement un crime monstrueux, et ensuite de s’assurer que la preuve absolue de sa culpabilité finisse entre les mains de certaines personnes puissantes, lui assurant ainsi une ascension politique rapide.
Ces notions peuvent sembler complètement absurdes, mais prenons un peu de recul et considérons l’histoire américaine récente. Il y a quelques années à peine, un individu est arrivé tout près de la Maison-Blanche, presque entièrement grâce à son bilan de guerre, un bilan dont de nombreuses preuves montrent qu’il aurait normalement dû être pendu pour trahison à la fin des hostilités. J’ai étudié beaucoup d’époques historiques et de nombreux pays et aucun exemple similaire ne me vient à l’esprit.
Peut-être la cause de cette situation bizarre réside-t-elle dans la remarquable incompétence et la lâcheté de nos principaux organes médiatiques, leur mentalité de troupeau et leur réticence insouciante à regarder en face les preuves qui sont devant eux. Mais nous devrions aussi au moins envisager la possibilité d’une explication plus sombre. Si Tokyo Rose a failli être élu président dans les années 1980, nous devrions assumer que le système politique américain avait pris un virage très particulier.
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L’hommage sarcastique d’un député slovaque à McCain
Luboš Blaha est un député slovaque du parti social-démocrate slovaque SMER. De tendance néomarxiste, le politicien n’a pas hésité à adresser un hommage sarcastique, sur les réseaux sociaux, à John McCain, décédé le 25 août dernier.
Personne n’a offert au monde autant d’amour et de bonté que le sénateur américain John McCain. Quand j’ai appris qu’il était mort, j’ai immédiatement laissé échapper des larmes. Je n’arrête pas de pleurer. Qu’est-ce qu’on va faire sans lui ?!
Qui va maintenant se charger de répandre une russophobie sans vergogne ? Qui va se charger de défendre les sanglantes guerres américaines avec un fanatisme ardent ? Qui sera désormais le héros des faucons américains, des va-t-en-guerre et des nationalistes ?
Oh, cher John, tu vas manquer à tous les lobbyistes de l’armement et à toutes les grandes entreprises. Tu as servi l’armée et le capital toute ta vie. Non seulement tu avais la conviction que la guerre était une bonne chose, mais tu avais même décidé de tuer volontairement des civils innocents. En tant que jeune soldat, tu voulais tellement aller tuer au Viêt Nam que ton désir de voir couler le sang a été comblé. Tant de romantisme en toi !
Tu as bombardé des cibles vietnamiennes et tué un nombre incalculable de femmes et d’enfants vietnamiens. Napalm, bombes, meurtres de masse. D’autres te considéreraient comme un criminel de guerre, mais on a fait de toi un héros de guerre.
Pourquoi ? Parce que les Vietnamiens t’ont capturé. Contrairement à toi qui t’es livré à des tueries, eux t’ont laissé vivre. On dit que ce sont eux les méchants et que toi tu es un magnifique American hero. Je le redis, mon cœur est brisé parce que tu nous as quitté pour toujours. Ouin.
Dans les années quatre-vingt, Reagan était le faucon en chef. Tout gauchiste est convaincu qu’il n’existe pas de plus grand monstre que Reagan mais c’est une erreur. McCain était un plus grand va-t-en-guerre, un plus grand néo-conservateur et un plus grand russophobe que Reagan. Notre cher John était la chose la plus agressive que l’Amérique et le capital mondial ont créée. Aucun des plus grands millionnaires dans le monde n’a oublié de verser une larme à l’annonce de ta mort. Nous pleurons en leur compagnie, après tout John était un grand homme, personne d’autre que lui n’a effectué un aussi sale boulot pour l’Empire.
Notre cher John a atteint le summum de son délire militant pendant le règne de Bush junior. Il faisait partie des supporters les plus bruyants des interventions militaires en Irak et en Afghanistan. Certains moralistes fous pourraient peut-être faire valoir que les guerres du Viêt Nam, d’Irak et d’Afghanistan ont coûté la vie à 3-4 millions de personnes, ce qui est presque un chiffre génocidaire, mais nous comprenons bien, John, ce que serait l’Amérique sans les guerres et les effusions de sang, peuh !
Quelques millions de morts ne sont rien, comparés à la liberté et à la démocratie que les USA, grâce notamment à des bienfaiteurs comme McCain, apportent au monde. Tu es un authentique fils de l’Amérique, John ! Laissons vivre toutes ces bombes qui apportent les droits de l’homme !
Notre bien-aimé John a passé les dernières années de sa vie à subir un lavage de cerveau comportant la russophobie la plus acharnée qu’on puisse imaginer. Il a même déclaré que l’État islamique était une menace moins importante que la Russie. Allo, l’État islamique !
Et il détestait aussi Trump car il pensait que ce dernier détestait trop peu Poutine. En effet, John, jusqu’au bout, avait foi en la valeur la plus forte de l’establishment américain, la haine pure et authentique. La haine contre la Russie. Un vrai patriote. Notre patriote grincheux et infiniment aimé. Qui ne l’aimerait pas !
Ah, quelle tragédie qu’il ne soit plus parmi nous. Qui se chargera maintenant de menacer la Russie d’une guerre ? Qui va désormais défendre les bandéristes ukrainiens et les oligarques ? Qui fera des États-Unis le gendarme du monde ? Qui défendra les crimes américains contre l’humanité avec une foi aussi infaillible ?!
Il est triste que des géants tels que John quittent la scène. Imaginez que tout le monde parte. Ce monde serait un enfer. Tout à coup, il n’y aurait plus de combats, le capital transnational ne s’en prendrait pas aux états les plus faibles, l’armée américaine ne mènerait plus de guerres, elle ne répandrait pas sa haine contre les Russes ou d’autres peuples...Beurk. Je ne peux pas imaginer quelque chose de pire. Mais il n’y aurait tout de même pas encore la paix.
Peut-être que John trouvera rapidement des successeurs qui empêcheront tout cela. Laissons mourir des millions de gens à cause des guerres, de la pauvreté et des inégalités. Afin que l’Amérique continue à être prospère ! C’est ce que John aurait souhaité !
Gloire éternelle à John, gloire éternelle au capitalisme, gloire éternelle à la guerre !
Et vous les amis, allez-vous également pleurer toute la journée ?