Jérôme Bourbon : La première question qui vient à l’esprit se résume à deux mots : « Déjà un livre » ? [1]
Jean-Michel Vernochet : Nous sommes en guerre contre un système qui tue nos libertés une à une. Il n’y a donc pas de temps à perdre. Et pour l’heure il s’agit d’une guerre de mouvement et pas d’une guerre de tranchées. Tout se joue contre la montre. En effet, ou bien le peuple encoléré parvient à transformer l’essai et à imposer ses propres objectifs pour la gestion du pays – objectifs très différents il va sans dire de ceux poursuivis par la République macronienne – ou bien il échoue, rentre dans ses foyers et remâche sa déconvenue. Retour à la case départ avec au mieux un léger saupoudrage de réformettes très vite effacées par le modernisation du pays, c’est-à-dire son implacable intégration dans le Marché Unique Planétaire.
D’où l’importance d’accompagner au sens fort – avec pour outils, en ce qui nous concerne, le recul de la pensée réflexive et de la raison critique – les courageux manifestants qui s’expriment au nom du Pays dans toutes ses composantes historiques. Tous gens de la France profonde mobilisés contre les marcheurs nomades de la France d’en haut, pseudos élites déracinées, hors-sol en rupture de ban d’avec notre histoire, notre morale et nos traditions. Ajoutons qu’il est plus facile d’écrire l’histoire deux siècles après les faits qu’au fil des jours et de l’actualité. Le spectre des régicides de 1793 est certes moins dangereux que les tenants de l’actuel pouvoir et de leur arsenal de répression juridique. À nous par conséquent d’écrire ou de réécrire l’histoire en temps réel, afin, pour commencer, de contrer le violent torrent d’informations viciées dont nous sature les médias sur les grands réseaux et canaux tant privés que publics.
Mais un livre pourquoi faire ? Tout n’a-t-il pas été déjà dit sur cette crise ?
Les GJ sont pour la partie visible, celle qui défile et se rassemble chaque samedi, les strates inférieures – pour parler comme les sociologues – des nouvelles classes moyennes qui sont en voie de paupérisation, mais pas la seule. Nombreux sont GJ du haut en bas de la société ce qui tendrait à prouver qu’il s’agit bien d’une révolte indigéniste, celles des « de souche » qui sentent ou pressentent qu’à moyenne ou courte échéance ils pourraient se voir parqués dans des réserves à la mode euro-atlantiste. Quant à ceux qui défilent, ce sont ceux sur les jambes infatigables desquels reposent tout le mouvement, à savoir en majorité des salariés précaires ou précarisés, généralement redevables de l’impôt sur les revenus. Ceux-ci voient s’éroder, se restreindre comme peau de chagrin, notamment par la privatisation et la disparition des services publics, leur cadre existentiel de base. Je m’explique.
Nous sommes entrés dans la société du « tout payant » ! Ce qui hier encore était gratuit devient onéreux, la part de l’État régulateur diminuant à proportion de la privatisation progressive et rapide de nombreux secteurs jusque là détenus ou plus ou moins pilotés par l’État. Entreprises semi-publiques et même domaines régaliens (Défense, Justice, Police) passent discrètement et progressivement – lentement mais sûrement – sous la coupe de multinationales et d’intérêts très privés. Deux exemples. L’État a ainsi concédé les autoroutes hexagonales à des groupes alors qu’il était prévu au départ – alors que l’État était le premier investisseur et donneur d’ordre – qu’après amortissement elles soient gratuites ! Or les péages ne font qu’augmenter. Avant hier la réexpédition du courrier était gratuite, plus maintenant, et elle est chère. Les petits ruisseaux faisant les grands fleuves, les caisses de l’État, ces tonneaux percés, à l’instar de beaucoup d’entreprises déficitaires plus ou moins bien gérées, sont de sorte alimentées, par une foultitude de petites ponctions, indolores isolément – le prix du carburant en est un exemple – mais qui finissent, accumulées, par former d’insupportables charges financières. Mais cela les imbéciles qui nous gouvernent, chacun voyant midi à sa porte, se dispensent d’avoir une vue d’ensemble et c’est ainsi que les budgets particuliers sont de plus en plus insupportablement grevés. Reste que cela n’est pas amendable au coup par coup parce que cela procède d’un état d’esprit, d’une philosophie délétère de la conduite des affaires et de la marche de l’État.
Pour répondre plus précisément à votre question, dans le maquis des lois, des règlements, des procédures, des normes, il faut que les GJ se donnent les moyens d’être peu ou prou en mesure d’y voir un peu clair. Pas de reconstruction possible, pas de réformes si l’on ne sait pas où se situe la panne, là où la machine grippe, quelles pièces remplacer. En l’occurrence, c’est tout le moteur économique et politique qu’il faut envisager de modifier voire de changer, et le plus vite possible. Telle est l’ambition de ce livre après quelques autres : apporter des éléments consistants permettant de nourrir le débat… le vrai débat pas celui évidemment mis en scène pas M. Macron pour amuser la galerie et habiller les intentions mensongères à l’absolu qui sont les siennes.
Parce que si le mouvement parvient in fine à vraiment ébranler le système – ce que je souhaite de toutes mes forces – il faut qu’il ait les moyens de comprendre d’où vient le mal, quelles sont les grosses roueries mises en œuvre pour conduire le troupeau des cochons de payants à toujours plus cracher au bassinet, sans trop rechigner … En un mot, comment le faire taire et l’aveugler suffisamment pour lui faire accepter, lui le vulgum pecus, le sort détestable réservé en régime social-libéral au commun des mortels, à la multitude ignorante… dont se gausse si souvent le sieur Macron quand il ne va pas lui passer la main dans le dos. Belle, émouvante image que celle du Concours agricole (dit Salon de l’agriculture), où, devant un parterre de figurants et de militants seuls habilités à occuper les travées de cette foire à l’esbroufe et non encore ouverte au public. On se souviendra – morceau d’anthologie – de ce bonhomme chauve s’épanchant sur l’épaule de notre gandin – reconverti pour la circonstance en saint consolateur de toutes les misères d’ici-bas – qui en retour, avec une lourde insistance, lui caresse les omoplates. Quatorze heures d’un barnum au final assez puant.
En raccourci, quels seraient selon vous les objectifs à atteindre par les GJ ?
C’est assez simple. C’est évident même. Au-delà du pouvoir d’achat et des fins de mois difficiles, il faut un changement radical de paradigme sociétal, autrement dit replacer l’homme, les hommes (il s’agit du genre humain évidemment) au centre du projet sociétal et économique. Se préoccuper d’abord et avant tout des intérêts vitaux, primordiaux ou élémentaires de la communauté nationale. Encore que cette notion n’ait plus aucun sens pour nos élites dirigeantes… enfin les groupes et catégories qui se flattent de constituer l’élite eu égard à leur bonne insertion dans le système, leur congruence avec la matrice de l’économie mondialisée et leur adhésion totale, leur fusion, avec l’idéologie ad hoc.
L’idée de servir l’homme plutôt que la machinerie économique est évidemment une idée subversive dans le contexte actuel. Mettre l’économie et les politiques au service de l’homme, voici ce qui est assurément inenvisageable pour Mr. Macron & Cie. Parce que pour paraphraser un distingué économiste, je puis dire à mon tour qu’il faut mettre impérativement un terme au pouvoir des oligarchies financières qu’incarne justement Macron aux yeux de la France profonde. Celle qui travaille et produit de la richesse tangible, loin des services de pure consommation, soit l’économie des besoins artificiels non nécessaires. Les GJ sont une réaction populaire forte dans un pays où la gauche a depuis longtemps trahi le peuple (les syndicats ont essentiellement recruté leur clientèle dans la Troisième France, celle des migrants, passant de l’internationalisme prolétarien au cosmopolitisme, polychromie obligée qui constitue le fer de lance de la conquête des peuples par l’anarcho-capitalisme), tandis que la Droite, elle, a trahi la Nation. Sans commentaire. Les GJ sont de ce point de vue une révolte contre des élites renégates et apostates.
Bref, Macron n’a été élu que pour formater, plier la France et les Français aux normes du néo-capitalisme international, et c’est bien ce contre quoi la France populaire (mais pas seulement) s’insurge à présent. Cela se traduit par une réaction immédiate de puissant refus de voir ou de laisser le pays s’aligner sur les critères, les modes déjantées et les exigences exorbitantes du bon sens, imposés par l’économie financiarisée, dématérialisée… et de plus en plus réglée par des robots et leurs algorithmes désincarnés. Il faudrait avoir du caca dans les yeux pour ne pas voir que cela signifie non seulement la fin de notre modèle social, mais pire encore, la mort de la nation, de notre culture, de nos patrimoines héréditaires, voués à l’abâtardissement. En un mot, la fin de notre histoire.
Exit la France et les Français qui deviennent peu à peu des bipèdes interchangeables avec n’importe quel autre producteur/consommateur au sein de la termitière humaine… que l’on nous présente d’ores et déjà comme la forme la plus achevée du paradis terrestre. Ceux qui y seront nés et auront grandi dans cette prison mentale, ne connaissant rien du monde d’antan, en viendront sans doute, une fois leurs instincts primitifs assoupis ou éteints, à se faire les défenseurs fanatiques du Meilleur des Monde qui s’avance désormais à grands pas… Avec la PMA et la GPA, quelle drôle d’idée se diront-ils que naguère il ait été, pour se reproduire, nécessaire ou désirable de rapprocher des sexes différents. D’ailleurs la notion de sexe aura certainement elle-même été effacée de nos esprits.
Or c’est bien l’effroi non-dit que suscite cette grande mutation qui motive les GJ. Ceux-ci savent pertinemment – même si c’est obscurément – que nous sommes promis à la mort sociale après avoir été fiscalement et économiquement pressés comme des citons issus d’une économie non durable. Et puis, la transition écologique aidant, sous la pression terroriste du changement climatique et des oukases mondialistes qui l’accompagnent, tous les ingrédients sont réunis pour une mise à mort plus ou moins douloureuse de la France d’en bas devenue inutile dans le monde de demain !
Alors que peut-on encore espérer ? Les GJ n’ont-ils pas été qu’un simple feu de brousse, n’est-il pas en train de s’éteindre ?
Sans doute pas. Le XVe acte a montré une détermination qui, contrairement à ce qu’en disent mesdames et messieurs les journaleux, ne s’essouffle pas vraiment. Chacun d’entre nous sait que les statistiques sont minorées ou exagérées suivant les besoins. Ainsi, mardi 20 février, place de la République à Paris, la foule des tenants d’Israël ne paraissait immense, dense et compacte qu’à travers l’œil des caméras (France Culture, 24 février 2019).
Une remarque concernant les incidents de Clermont-Ferrand qui a été le théâtre de quatre heures de petite guérilla urbaine… avec, apparemment, la complicité active et objective des forces de l’ordre. Un désordre qui en effet s’est développé de façon tout à fait étrange… pour ainsi dire « volontaire » de la part de personnels qui n’obéissent qu’à des ordres précis, exprès, émanant de leurs postes de commandement, ceux-ci relayant les instructions reçues de la place Beauvau via les préfets. Un réflexe conspirationniste – au demeurant bien inspiré – nous fait noter que dans cette ville les violences ont été provoquées par des tirs intempestifs de lacrymogènes quand les manifestants ont commencé à se rapprocher du palais de justice. Les samedis précédents, pourtant signalés comme comportant plus de risques, les autorités de s’étaient pas émus de les voir parvenir jusqu’aux grilles du palais sans réagir et sans incident. Pourquoi alors, cette fois-ci, une violente action préventive ? Pour susciter délibérément de la casse et enfoncer le clou d’une réprobation croissante de la part de l’opinion envers les déprédations en tous genres et des scènes d’émeutes ? Pour démontrer la détermination du gouvernement à réprimer fermement tous écarts commis ou non encore exécutés ? Sont parfois, à l’heure actuelle, interpellés des quidam sur la simple présomption d’intention de commission d’actes réputés délictueux ! À ce titre tous les GJ deviennent suspects d’être des casseurs en puissance… mais rarement ceux qui endossent effectivement un gilet jaune pour se mêler au manifestant et donner libre cours à leur brutalité et/ou à leur frénésie de rapine.
Pour aller au bout de mon propos, il serait temps d’évoquer l’exceptionnelle faculté de mensonge et l’extrême facilité à tromper de M. Macron. Cela au profit d’un système dont l’échec est à peu près assuré à moyen terme (pensons à la montée des populismes à travers la planète)… un ordre social et mondial qu’il sert néanmoins avec un certain talent de batteur d’estrade. À ce sujet, voici ce qu’écrivait, André Tardieu (1876/1945), à l’époque où il fut trois fois président du Conseil des ministres, entre novembre 1929 et mai 1932. Fin connaisseur de la démocratie parlementaire et de ses dessous peu ragoûtants, il représente pour nous, au XXIe siècle une sorte de grand témoin quant à l’insolente continuité et pérennité des turpitudes républicaines :
« La France vit dans le mensonge… Mensonge quand on lui dit qu’une voix vaut une voix car la valeur des voix varie d’une circonscription à l’autre. Mensonge quand on lui affirme que la loi exprime la volonté générale car la loi est votée par des chambres qui, élues par le quart de la nation, ne représentent même pas la majorité de ce quart. Mensonge quand on lui parle de Liberté et d’Égalité, car la France vit sous le régime de l’arbitraire, de la faveur et de la recommandation. Mensonge quand on lui affirme la souveraineté de la représentation, car à tout instant le régime représentatif en se substituant des décrets lois, démissionne et disparaît. Voilà que cent cinquante ans que l’on se moque du peuple. »
Finalement, face à la légalité démocratique que peuvent opposer les GJ ?
Élémentaire mon cher Jérôme. La répression régulière et progressive qui s’est abattue sur les Gilets jaunes ne peut en fin de compte que provoquer le durcissement et la radicalisation d’hommes et de femmes qui comprennent parfaitement qu’ils sont menés en bateau et que leurs justes demandes sont destinées à rester lettre morte. Les médiocres amortisseurs de la Démocratie représentative ne fonctionnant plus, ne demeure qu’une seule option, la violence qui, d’inévitable pourrait devenir de facto légitime. Le gouvernement ne l’ignore pas et craint cette issue… À moins disent quelques méchants esprits qu’il ne la recherche afin de crever l’abcès et de le vider pour longtemps. Toutes les interprétations sont au moment présent, permises.
Or le droit à l’insurrection se trouve inscrit au cœur de notre loi fondamentale… tel qu’en disposent nos différentes Constitutions… À commencer par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, texte fondateur de la démocratie moderne :
Art. 2.Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. La Constitution du 24 juin 1793 en son Article 9 prévoit de son côté que La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent.
Article 33. La résistance à l’oppression est la conséquence des autres Droits de l’homme.
Article 34. Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.
Article 35. Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.
Et puis rappelons les paroles de Saint Thomas d’Aquin (1224/1274), théologien et théoricien de la civilisation chrétienne à l’Âge moderne :
« L’élimination physique de la Bête est bien vue par Dieu si grâce à elle on libère un peuple ».
Qu’on se le dise !