Egalité et Réconciliation
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Iran : les médias en route pour un remake du fiasco irakien

Les principaux organes d’information américains, y compris le New York Times et le Washington Post, sont engagés dans un remake de ce genre de couverture tendancieuse qui avait conduit à la guerre en Irak. Mais, cette fois, il s’agit de l’Iran.

En juin dernier, la façon de traiter les élections iraniennes, de présenter le président Mahmoud Ahmadinejad et de sonner l’alarme sur le programme nucléaire iranien est similaire à la couverture unilatérale dirigée par les médias américains contre le dictateur irakien Saddam Hussein et contre le supposé programme des « armes de destruction massive » de l’Irak, avant l’invasion de 2003.

Dans les deux cas, les principaux médias américains ont pris position. Ils ont parlé de la nation musulmane « ennemie » en la présentant sous un éclairage le plus violent possible ; ils ont dit des dirigeants qu’ils étaient implacablement mauvais ; ils ont exagéré les menaces (et les menaces potentielles) que constituait l’armement, réel ou imaginé, du pays.

Sans doute, il y avait de nombreuses facettes déplaisantes, chez Saddam Hussein, comme il y en a aussi chez l’Iranien Ahmadinejad. Toutefois, les portraits des deux dirigeants tels que les brossaient les médias américains manquaient de nuance, en ne laissant passer que des interprétations les plus extrêmes et les moins flatteuses de leurs propos et de leurs actions.

En bref, le NY Times, le W. Post et la quasi-totalité des autres organes d’information américains se sont comportés davantage comme des outils de propagande que comme des organisations de journalistes professionnels. Le parti pris anti-iranien, à l’instar du précédent parti pris anti-irakien, se remarque surtout dans les pages éditoriales, mais on le retrouve également dans les pages ordinaires consacrées aux informations.

Par exemple, lorsqu’ils font l’écho des décideurs politiques américains, les médias américains de l’information nous mettent en garde contre le danger d’une menace nucléaire iranienne potentielle en prétendant qu’elle pourrait déclencher une course aux armements dans tout le Moyen-Orient.

Ce que les organes d’information ne disent presque jamais, c’est que plusieurs pays de la région possèdent déjà des armes nucléaires, y compris Israël, dont l’arsenal non déclaré passe pour l’un des plus sophistiqués de la planète.

Le Pakistan a développé une arme nucléaire dans les années 1980, avec l’accord de l’administration Reagan qui voyait en cet armement un compromis acceptable pour l’aide du Pakistan dans son soutien logistique aux moudjahidine afghans dans la guerre secrète contre les forces soviétiques en Afghanistan.

La rivale acharnée du Pakistan, l’Inde, possède aussi des armes nucléaires, de même que la Russie, ce qui veut dire que l’Iran est entouré de puissances nucléaires.

L’obstination constante de ces médias, à ne pas vouloir mentionner ce fait important, prive le public américain du contexte nécessaire pour évaluer le comportement de l’Iran. En lieu et place, l’intérêt supposé de l’Iran pour le nucléaire est copieusement dépeint comme un comportement d’extrémistes irréfléchis.

L’Iran, bien sûr, insiste sur le fait que son programme nucléaire poursuit des buts pacifiques et qu’il n’est nullement destiné à la fabrication d’armes. À ce point, il n’y a pas de preuves tangibles que l’Iran ment. De fait, les services de renseignement américains ont affirmé que l’Iran avait abandonné en 2003 ses recherches autour d’un projet d’ogive nucléaire.

Alors qu’Israël, le Pakistan et l’Inde sont dotés d’un arsenal nucléaire...

Ainsi donc, pourquoi l’Iran est-il particulièrement visé dans cette condamnation concernant son intérêt supposé pour un armement nucléaire, alors qu’il est admis qu’Israël, le Pakistan et l’Inde soient dotés d’un arsenal nucléaire ?

Un argument avancé par les organes américains d’information, c’est que l’Iran est un signataire du traité de non-prolifération, alors qu’Israël, le Pakistan et l’Inde n’en sont pas et que, de ce fait, on peut adresser davantage de reproches à l’Iran, qui ignore les dispositions du traité, qu’aux autres, qui ne tiennent carrément aucun compte de ce même traité.

Mais cet argument n’a guère de sens. Il revient à donner le feu vert nucléaire à des États voyous qui ont refusé de signer le traité.

L’absurdité de cette situation est particulièrement remarquable dans le cas d’Israël, même après qu’il eut infligé une condamnation extrêmement sévère à un technicien israélien, Mordechai Vanunu, pour avoir divulgué en 1986 des faits relatifs au programme nucléaire de son pays. Vanunu fut kidnappé en Italie, ramené en Israël et jugé en secret. Il fut placé en isolement durant 11 ans, sur une sentence d’emprisonnement de 18 ans.

Même aujourd’hui, Vanunu risque d’être arrêté s’il adresse la parole à des étrangers. Pourtant, ce tireur de sonnette d’alarme est presque autant traité comme un paria par la presse américaine qu’il ne l’est par le gouvernement israélien.

Alors que les journalistes américains se taisent à propos de l’arsenal nucléaire secret d’Israël et qu’ils traitent les poursuites à l’encontre de Vanunu comme si ce dernier les avait méritées, ils protestent contre le programme nucléaire iranien, bien que celui-ci soit placé sous le contrôle de l’Agence internationale pour l’énergie atomique et qu’il reste très éloigné de toute possibilité, dans de brefs délais, de disposer d’une arme nucléaire, même si le gouvernement iranien décidait d’œuvrer en ce sens.

« Une nation particulièrement dangereuse »

Un autre argument, utilisé pour justifier ces deux poids et deux mesures, c’est que l’Iran est une nation particulièrement dangereuse, qu’il a soutenu des groupes arabes, tels le Hezbollah et le Hamas, que certains gouvernements occidentaux qualifient de « terroristes », que ses dirigeants rejettent le statut d’Israël en tant qu’État juif et qu’ils ont même souhaité sa fin en raison de cette désignation religieuse et ethnique.

Pourtant, bien des gens au Moyen-Orient et un peu partout dans le monde considèrent le Hezbollah et le Hamas comme des groupes résistants et/ou politiques qui ont lutté contre l’occupation par Israël des territoires libanais, pour le premier, et des territoires palestiniens, pour le second. Et, si ces groupes ont recouru à la violence, parfois même contre des civils, on ne peut dire non plus qu’Israël ait les mains propres, sur ce plan.

Israël est bien connu pour ses assassinats hors frontières et pour sa conquête de territoires extérieurs voisins. Israël a envahi et occupé certaines parties du Liban dans les années 1980 et il y a encore lancé une offensive sanglante pas plus tard qu’en 2006.

Israël a également organisé une occupation très musclée des terres palestiniennes, assassinant des chefs palestiniens et s’emparant de terres très précieuses au profit de ses colons, en violation complète des résolutions de l’ONU et des protestations sporadiques de son principal allié, Washington. Voici un an à peine, les forces israéliennes ont tué plus d’un millier de Palestiniens, dont la plupart étaient des civils, lors d’une offensive contre Gaza.

En contraste, depuis des générations, l’Iran est une puissance régionale relativement paisible. Ses huit années de guerre contre l’Irak ont commencé lorsque les forces de Saddam Hussein ont envahi son territoire, en 1980, probablement avec le « feu vert » des États-Unis et des États arabes sunnites, telle l’Arabie saoudite, qui craignait la propagation de l’intégrisme chiite iranien.

La guerre fut soutenue par la décision secrète du président Ronald Reagan de choisir le camp de l’Irak. En outre, tout spécialiste objectif devrait reconnaître que, depuis six décennies, les États-Unis sont la nation la plus active de la terre quand il s’agit de s’ingérer dans les affaires d’autres pays, et souvent en recourant à la violence.

Des liens avec des terroristes

Quant à entretenir des liens avec des organisations terroristes, le Pakistan et les États-Unis ont à coup sûr les mains bien plus sales que l’Iran.

Dans les années 1980, durant la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, le Pakistan a collaboré avec des extrémistes musulmans sunnites, y compris le Saoudien Osama bin Laden et d’autres agents violents qui, plus tard, allaient constituer Al-Qaida. Dans les années 1990, le service des renseignements pakistanais, l’ISI, a formé les taliban et a soutenu leur prise de pouvoir en Afghanistan. Il allait rester leur allié dévoué jusqu’aux attentats du 11 septembre.

L’ISI a également la réputation de déployer des activistes contre l’Inde, dans le territoire contesté du Cachemire, et le Pakistan a été à la base d’attaques terroristes sanglantes, tel le massacre de Bombay, en Inde, en 2008.

Les États-Unis aussi sont loin d’être irréprochables sur le front du terrorisme. À ce jour, les autorités américaines hébergent des terroristes cubains bien connus à Miami et ailleurs, y compris Luis Posada Carriles, qui fut impliqué dans la destruction en plein vol d’un avion de ligne cubain, en 1976.

Depuis qu’ils ont fait exploser deux bombes nucléaires contre la Japon, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les responsables américains ont périodiquement discuté d’attaques nucléaires et en ont même menacé d’autres pays, s’ils ne se conformaient pas aux desiderata des Américains. Parmi ces pays menacés figurent des États non nucléarisés, comme le Nord-Vietnam, à l’époque où le président Richard Nixon était engagé dans ce qu’on a appelé sa « stratégie du fou ».

Même aujourd’hui, alors qu’elles dénoncent l’intérêt présumé de l’Iran pour la réalisation d’une arme nucléaire, les autorités américaines, y compris le président George W. Bush et, selon toute vraisemblance, le président Barack Obama, ont laissé grande ouverte la possibilité d’une attaque nucléaire contre l’Iran. Ils n’ont pas manqué d’insister pour dire que « toutes les options étaient envisageables » et, alors qu’elle était encore candidate à la présidence, la ministre des Affaires étrangères Hillary Clinton, a menacé de rayer l’Iran de la carte s’il attaquait Israël.

Pourtant, à la lecture des principaux journaux américains, on croirait que l’Iran est le seul pays dangereux opérant dans cette partie du monde.

Le parti pris à propos des élections

Il y a également la façon curieuse dont les médias américains ont traité les élections iraniennes le 12 juin dernier.

Les éditorialistes du New York Times et du Washington Post qualifient habituellement les élections de « truquées » sans la moindre justification ou confirmation par des faits. Cela ressemble beaucoup à la manière dont le chef éditorialiste du W. Post, Fred Hiatt, avait annoncé en 2002 et au début 2003 que l’Irak possédait des armes de destruction massive.

Ce n’est que plus tard, après l’invasion américaine et l’absence de découverte de cachettes d’ADM, que Hiatt a admis que le W. Post n’aurait sans doute pas dû être aussi catégorique.

« Si vous considérez les éditoriaux que nous rédigeons en galopant [vers la guerre…], nous y déclarons, comme s’il s’agissait d’un fait incontournable, qu’il [Hussein] a des armes de destruction massive », déclara Hiatt dans une interview accordée à la Columbia Journalism Review. « Si ce n’est pas vrai, il eût mieux valu de ne pas en parler. »

Oui, effectivement, il y a eu une époque, dans le journalisme américain, où l’on estimait que c’était une affaire grave que de présenter comme fait véridique quelque chose qui était faux. Toutefois, dans le cas de Hiatt – en dépit de la mort de plus de 4.300 soldats et de centaines de milliers d’Irakiens –, il n’y a pas eu de changement dans la direction des pages éditoriales du W. Post.

À l’instar de ses collègues du New York Times, Hiatt est certain aujourd’hui, et sans la moindre équivoque, que les élections iraniennes ont été « truquées ». Il va toutefois être bien plus difficile d’en apporter la preuve.

Bien des affirmations de la presse américaine et occidentale à propos de la fraude électorale se sont avérées fausses, comme la conviction que les Azéris auraient voté pour un des leurs, Mir Hossein Mousavi, et non pour Ahmadinejad.

Mais un sondage préélectoral, sponsorisé par la New America Foundation, découvrit chez les Azéris une répartition des votes de 2 contre 1, en faveur d’Ahmadinejad. Une partie de la raison était qu’en fait, Ahmadinejad avait injecté de l’argent du gouvernement dans cette région.

Une autre accusation fréquente émanant de la presse occidentale, c’est qu’Ahmadinejad a annoncé bien trop rapidement sa victoire, mais la presse ignorait le fait que Mousavi avait sorti une déclaration de victoire bien avant que les votes n’aient été comptés. Les premiers résultats partiels, indiquant qu’Ahmadinejad était en tête, ne vinrent que plusieurs heures plus tard.

La raison pour laquelle Ahmadinejad peut avoir réellement gagné les élections, c’est que son soutien était concentré autour des pauvres des villes et des campagnes, qui bénéficient des dons de nourriture et des programmes d’emploi du gouvernement, et qui ont tendance à écouter davantage les prêtres conservateurs des mosquées.

Mousavi parut admettre ce point quand il sortit sa preuve supposée que les élections avaient été truquées, accusant Ahmadinejad d’avoir acheté des votes en fournissant de la nourriture et en proposant de meilleurs salaires aux pauvres. Lors de certains rassemblements en faveur de Mousavi, on rapporte que les partisans de ce dernier chantaient « mort aux patates ! », faisant ainsi une allusion moqueuse aux distributions de nourriture d’Ahmadinejad.

Pourtant, si distribuer de la nourriture et augmenter les salaires peuvent être un signe de « clientélisme », ces tactiques ne sont normalement pas assimilées à la fraude électorale.

En général, Mousavi bénéficiait du soutien de la classe moyenne urbaine et des gens d’un niveau d’éducation plus élevé, spécialement dans la capitale Téhéran, plus cosmopolite, et où les universités sont devenues des centres de protestation contre Ahmadinejad. La politique du président et ses commentaires offensants remettant en question l’Holocauste ont été une source d’épreuves, pour cette catégorie d’électeurs, qui a rencontré des difficultés dans ses voyages ainsi que pour vaquer à ses affaires, en raison des sanctions et des restrictions imposées par l’Occident.

Ainsi, le résultat des élections aurait pu s’expliquer simplement par le fait que la classe moyenne et les intellectuels iraniens avaient voté en masse pour Mousavi, tandis que des nombres plus importants de pauvres et de musulmans conservateurs pouvaient avoir forcé la décision en faveur d’Ahmadinejad.

Le refus d’un nouveau comptage

Le dernier véritable espoir de preuve définitive que la victoire d’Ahmadinejad était truquée s’est sans doute envolé quand Mousavi a rejeté la possibilité d’un recomptage. En lieu et place, Mousavi a exigé de nouvelles élections sur toute la ligne.

L’objection de Mousavi vis-à-vis d’un nouveau comptage s’attira le soutien des hautes instances du New York Times. « Même un recomptage complet serait suspect », écrivit le Times dans un éditorial. « Comment tout le monde pourrait-il être sûr que tous les bulletins étaient valides ? »

Mais une raison en faveur d’un recomptage tiens au fait qu’examiner les votes peut déterrer une preuve de fraude, surtout si le bourrage d’urnes a été fait de façon chaotique ou si les pointages ont été réalisés sans bulletins de vote pour les confirmer, comme certains observateurs l’avaient présumé à propos de l’Iran.

Cette différence de perception entre l’Occident et l’Iran à propos de la légitimité des élections s’est désormais muée en un important sujet de discorde entre les deux camps.

Entre le 27 août et le 10 septembre 2009, un sondage réalisé par WorldPublicOpinion.org a interrogé 1.003 Iraniens dans tout le pays et a ainsi découvert que 81 % des personnes interrogées considéraient Ahmadinejad comme le président légitime de l’Iran. Seuls 10 % ont prétendu qu’il était illégitime et 8 % n’avaient pas d’opinion.

62 % ont déclaré qu’ils avaient une très grande confiance dans les résultats des élections, 21 % qu’ils avaient une certaine confiance, ce qui nous donne 83 % de personnes ayant exprimé un point de vue favorable sur les élections. En comparaison, 13 % seulement ont déclaré n’avoir que peu de confiance, voire pas du tout, dans les résultats.

Ces résultats du sondage ont toutefois été ignorés par les médias américains ou négligés parce qu’ils émanaient prétendument d’Iraniens craintifs n’exprimant simplement que ce que leur gouvernement voulait entendre. Toutefois, des sondages similaires ont été réalisés dans des pays du monde entier, y compris durant l’occupation militaire de l’Irak et ont été considérés comme des baromètres fiables de l’opinion publique.

Dans les six mois qui ont suivi ce sondage, le W. Post, le NY Times et d’autres organes d’information occidentaux se sont obstinés à prétendre que les élections iraniennes avaient été « truquées », apportant ainsi un soutien moral aux protestations des rues cherchant à renverser Ahmadinejad.

Toutefois, si les élections ont malgré tout été légitimes, on peut dire que les médias d’information américains contribuent dans ce cas à créer un soutien politique au renversement d’un gouvernement démocratiquement élu.

Bush et le changement de régime

Une situation similaire s’était produite en Iran, en 1953, quand les États-Unis et la Grande-Bretagne s’étaient opposés au Premier ministre iranien, Mohammad Mossadegh, qui cherchait à nationaliser les ressources pétrolières du pays. La CIA entreprit une campagne de propagande tendant à dépeindre Mossadegh comme instable tout en dépensant des millions de dollars pour rassembler d’énormes foules qui réclameraient son éviction.

Au vu de cette histoire – et de la reprise de l’Iran dans la liste de l’« axe du mal » du président George W. Bush – il ne serait pas déraisonnable que le gouvernement iranien soupçonnât les États-Unis, peut-être accompagnés de leur second couteau la Grande-Bretagne, de mijoter une nouvelle opération secrète de ces jours-ci.

Avant les élections du 12 juin en Iran, il était de notoriété publique et il se disait d’ailleurs beaucoup que Bush avait signé le rapport final d’une action couverte visant le gouvernement islamique en recourant à un vaste programme de propagande et de déstabilisation politique.

Dans le New Yorker magazine du 7 juillet 2008, le journaliste d’enquête Seymour Hersh écrivait qu’à la fin de l’année précédente, le Congrès avait accepté la requête de Bush en faveur d’une escalade importante des opérations secrètes contre l’Iran et ce, à concurrence de 400 millions de dollars.

« Le rapport final se concentrait sur l’annihilation des ambitions nucléaires de l’Iran et la tentative de renversement du gouvernement via un changement de régime », déclara à Hersh une personne bien au courant du contenu de ce rapport. L’opération impliquait « de travailler avec des groupes d’opposition et de distribuer de l’argent », ajouta la personne.

D’autres organes d’information rapportèrent des faits similaires, avec des responsables de l’organisation Bush citant l’agressivité de l’action secrète comme l’une des raisons pour lesquelles les Israéliens ont dû tasser leur rhétorique chauffée à blanc à propos de l’envoi d’une frappe militaire contre les sites nucléaires iraniens.

Pourtant, quand la campagne de Mousavi revêtit l’apparence d’une « révolution de velours », que Mousavi lui-même revendiqua la victoire avant même que les votes fussent comptés et qu’il organisa une manifestation de masse une fois que le comptage officiel des votes eut été en sa défaveur, les organes de presse américains se gaussèrent de la moindre suggestion émanant du gouvernement d’Ahmadinejad et disant que des agents étrangers pouvaient avoir trempé dans les perturbations.

N’allons pas jusqu’à dire que le campagne de Mousavi fut orchestrée en dehors de l’Iran et ne suggérons pas non plus qu’elle n’exprimait pas des doléances sincères à l’intérieur même du pays, mais l’ensemble de la presse américaine s’est malgré tout conduit comme s’il avait oublié sa précédente couverture de l’opération secrète de la CIA. Il était malaisé de ne pas conclure que les médias américains avaient choisi de soutenir le camp de Mousavi.

La connexion des contras iraniens (l’Irangate)

Un journalisme vraiment objectif aurait au moins inclus quelques faits historiques à propos des trois principaux chefs de l’opposition et des liens (souvent secrets) qu’ils entretenaient de longue date avec l’Occident.

Dans les années 1980, le Premier ministre Mousavi était effectivement le responsable contrôlant Manucher Ghorbanifar, l’agent iranien qui avait noué des contacts avec l’activiste néo-conservateur Michael Ledeen en vue des acheminements clandestins d’armes destinées aux contras iraniens et dans lesquels étaient impliqués et les États-Unis et Israël.

En novembre 1985, quand l’un des acheminements de missiles via Israël avait été perturbé, Ghorbanifar avait fait part à la Maison-Blanche du mécontentement de Mousavi.

« Aux alentours du 25 novembre 1985, Ledeen a reçu un coup de fil furieux de la part de Ghorbanifar, lui demandant de relayer un message du Premier ministre iranien au président Reagan à propos de l’acheminement d’un type inapproprié de missiles Hawk », prétendait le rapport final du procureur spécial désigné dans l’affaire des contras iraniens, Lawrence Walsh (Final Report).

Ledeen a déclaré qu’en gros le message disait ceci : « Nous avons assumé notre part du marché et vous, ici, vous nous avez arnaqués et trompés et il vaudrait mieux que vous rétablissiez la situation immédiatement.’ »

Ghorbanifar avait également fait miroiter la possibilité pour le conseiller de Reagan sur le plan de la sécurité nationale, Robert McFarlane, de rencontrer des hauts fonctionnaires iraniens, y compris Mousavi. En mai 1986, lorsque McFarlane et le conseiller à la Maison-Blanche Oliver North entreprirent leur infamant voyage à Téhéran avec la bible gravée et le gâteau en forme de clé, ils avaient l’intention de rencontrer Mousavi.

Une autre figure de proue de l’actuelle opposition, Ali Akbar Hashemi Rafsanjani, a également été au centre du réseau de trafic d’armes arrangé par Israël pour l’Iran dans sa longue guerre avec l’Irak. Rafsanjani, à l’époque président du Parlement, a en partie bâti sa fortune personnelle de profiteur de guerre sur les bénéfices de ces marchés lucratifs avec Israël.

Un troisième dirigeant important de l’opposition, Mehdi Karoubi, et son frère Hassan ont également été liés aux marchés d’armes secrets. Mehdi Karoubi a été identifié comme intermédiaire dès le début des années 1980, à l’époque où, dit-on, il avait des contacts avec les agents de renseignements israéliens et américains, de même que des républicains haut placés travaillant pour Ronald Reagan.

Le frère, Hassan Karoubi, était un autre personnage de la contra iranienne. Il rencontra Ghorbanifar et Ledeen à Genève, fin octobre 1985, à propos des acheminements de missiles en échange de l’aide iranienne dans la libération d’un groupe d’otages américains au Liban, peut-on lire dans le rapport de Walsh.

Normalement, on pourrait s’attendre à ce qu’une liste aussi inhabituelle de personnages de l’opposition fasse froncer les sourcils de l’ensemble de la presse américaine. Si la CIA ou les services de renseignement israéliens essayaient d’opérer un changement de régime en Iran, ils pouvaient logiquement s’adresser aux personnages influents avec qui ils avaient eu des relations antérieures.

Mais toute cette histoire, de même que la connaissance antérieure par les médias de l’opération secrète de Bush en quête d’un « changement de régime » en Iran, a disparu afin de ne pas être mentionnée dans les volumes de rapports sur les élections du 12 juin. Toutes les histoires racontées concernaient les manifestations spontanées de protestation contre la réélection prétendument frauduleuse d’Ahmadinejad.

On peut concevoir que les médias d’information américains considèrent Ahmadinejad avec dédain à cause de ses menaces grandiloquentes et plus particulièrement de ses commentaires choquants sur l’Holocauste. Parfois, cette répulsion a été palpable, comme lorsque Bill Keller, le directeur exécutif New York Times, s’est rendu en Iran pour assister aux élections et qu’il a cosigné une analyse de presse qui débutait par une blague disant qu’Ahmadinejad avait des poux dans les cheveux.

Mais on aurait au moins pu espérer que la mort et la destruction en Irak auraient enseigné une leçon douloureuse à ces gens des médias : parfois, des propos irréfléchis sur des « ennemis » étrangers peuvent mener à d’horribles souffrances humaines.

Les journalistes pourraient également se rappeler les bons vieux principes de la profession : le fair-play et l’honnêteté, la primauté des faits et l’objectivité.

Robert Parry