Le 1er septembre 1715, Louis XIV s’éteint dans son lit au château de Versailles. Dans son Histoire de France, Jacques Bainville tire le bilan de son règne. Extraits.
« Si Louis XIV n’a pas fondé l’État, il l’a laissé singulièrement plus fort. Il en avait discipliné les éléments turbulents. Les grands ne songeaient plus à de nouvelles ligues ni à de nouvelles frondes. Pendant cinquante ans, les parlements n’avaient ni repoussé les édits ni combattu les ministres ou le pouvoir. Il n’y avait plus qu’une autorité en France. Les contemporains surent parfaitement reconnaître que la force de la nation française, ce qui lui avait permis de résister aux assauts de l’Europe, venait de là, tandis que le roi d’Angleterre devait compter avec sa Chambre des communes, l’empereur avec la Diète de Ratisbonne et avec l’indépendance des princes allemands garantie par les traités de Westphalie.
Tout ne marchait pas aussi bien dans le royaume de France que l’avait rêvé Colbert, dont les vastes projets d’organisation n’avaient pu être réalisés qu’en partie, les grandes tâches extérieures s’étant mises en travers. Du moins la France avait l’ordre politique sans lequel elle n’eût pas résisté à de si puissantes coalitions, ni résolu à son profit les questions d’Allemagne et d’Espagne. On a dit que Louis XIV n’avait laissé que les apparences de l’ordre, parce que, trois quarts de siècle après sa mort, la Révolution éclatait. Ce qui est étonnant c’est qu’après les cinquante-quatre ans de calme de son règne, il y en ait eu encore soixante-quinze. Notre histoire moderne ne présente pas de plus longue période de tranquillité. [...]
Louis XIV a sa légende, inséparable de son histoire et de la nôtre. Versailles, la Cour, les maîtresses du roi, la touchante La Vallière, l’altière Montespan, l’austère Maintenon qui devint sa compagne légitime, sont encore un fonds inépuisable pour le roman, le théâtre et la conversation. Tout à tour, si ce n’est en même temps, les Français ont admiré ou blâmé cette vie royale, commencée dans le succès et la gloire, achevée dans les deuils de famille et les revers. Ils ne se sont pas lassés de s’en répéter les détails, partagés entre le respect et l’envie qu’inspirent les grands noms et les grandes fortunes. Cette curiosité n’est pas épuisée de nos jours, tant la France, à tous les égards, a vécu du siècle de Louis XIV, tant les imaginations ont été frappées par le Roi-Soleil. Versailles est resté un lieu historique, non seulement pour nous, mais pour l’Europe entière. Ce palais, dont la coûteuse construction arrachait des plaintes à Colbert, où Louis XIV se plaisait d’autant plus que les souvenirs de la Fronde lui avaient laissé une rancune contre Paris, a été le point que des millions d’hommes regardaient, l’endroit d’où partait une imitation presque générale. Versailles symbolise une civilisation qui a été pendant de longues années la civilisation européenne, notre avance sur les autres pays étant considérable et notre prestige politique aidant à répandre notre langue et nos arts. Les générations suivants hériteront du capital matériel et moral qui a été amassé alors, la Révolution en héritera elle-même et trouvera encore une Europe qu’un homme du XVIIIe siècle, un étranger, l’Italien Caraccioli, appelait “l’Europe française”. »
Illustration : détail de la statue équestre de Louis XIV sur la place d’Armes du château de Versailles.