Chaque 30 avril, la Légion Etrangère se souvient de la mythique bataille de Camerone, au Mexique. Cette année, les commémorations auront une ampleur particulière étant donné que cela fait désormais 150 ans que “moins de 60 légionnaires” commandés par le capitaine Danjou opposèrent une résistance héroïque face aux 2 000 soldats mexicains du général Francisco de Paula de Milan.
L’expédition française au Mexique est aujourd’hui peu connue. Décidée par Napoléon III, son objectif était de mettre un terme à la guerre civile mexicaine en installant un régime favorable aux intérêts français, à savoir un souverain européen catholique, en l’occurrence l’archiduc Maximilien de Habsbourg.
Pour la France, il s’agissait aussi de contrecarrer la République des États-Unis anglo-saxonne et protestante au nord, de se garantir un accès à l’océan Pacifique et par conséquent, à l’Asie, notamment après l’annexion prévue de l’isthme de Panama où un canal serait creusé. D’où l’envoi au Mexique, 5 ans après la guerre de Crimée, d’un contingent militaire français de 40 000 hommes environ (soit bientôt 2/3 des 60 000 hommes ”projetables” de l’armée de Terre, ce niveau d’effectifs étant suggéré par le dernier Livre Blanc sur la Défense… mais comparaison n’est pas raison).
Ce fut dans ce contexte qu’eut lieu la fameuse bataille de Camerone. Pour la raconter dans ses moindres détails, le mieux est sans doute de laisser la plume au général Gustave Niox, ancien gouverneur des Invalides et directeur du musée de l’Armée. En 1874, cet officier publia, presque “à chaud”, un récit “politique et militaire” de l’expédition française au Mexique, à laquelle il participa :
"Un convoi portant trois millions de francs et un autre, chargé de munitions, devaient être envoyés de Yera-Gruz à Puebla ; le général Milan, commandant les guérillas des terres chaudes, ayant formé le projet de les enlever, s’embusqua près de la route avec un millier de fantassins et huit cents cavaliers. On ignorait le voisinage d’une force aussi considérable, lorsque, le 30 avril, une compagnie du régiment étranger, commandée par le capitaine Danjou, et forte de soixante-deux hommes et trois officiers, partit du poste du Chiquihuite pour éclairer les environs.
Après avoir marché une partie de la nuit, elle s’arrêta, à sept heures du matin, au lieu dit Palo-Verde, pour y faire le café ; quelques instants plus tard, des éclaireurs ennemis étant signalés sur la route du côté du Chiquihuite, le capitaine Danjou se replia dans la direction du village de Gamaron ; soudain il fut enveloppé par une nuée de cavaliers. La compagnie se forma en carré et reçut une première charge. Profitant d’un moment de répit, elle gravit un talus voisin et soutint encore sans se rompre une deuxième attaque de la cavalerie mexicaine ; puis, chargeant à son tour, elle perça la ligne ennemie et se jeta dans les maisons.
Le bâtiment dans lequel le capitaine Danjou se disposa à la résistance se composait d’une cour carrée de cinquante mètres de côté dont une face, celle qui bordait la route, était formée par un corps de lods divisé en plusieurs chambres. Il occupa la cour, dont il fit barricader les ouvertures et la chambre située à l’un des angles ; au même moment, l’ennemi pénétrait dans la chambre située à l’extrémité opposée.
Il était environ neuf heures. Le détachement français, sommé de se rendre, refusa énergiquement, et le feu commença de tous côtés. Le capitaine Danjou n’espérait pas résister avec succès, mais il fit promettre à ses hommes de se défendre jusqu’à la dernière extrémité ; bientôt après, il tombait frappé mortellement.
Le sous-lieutenant Vilain prit le commandement.
Vers midi, on entendit un bruit de tambours et de clairons ; il y eut une lueur d’espoir parmi les défenseurs de Gamaron qui crurent à l’arrivée d’un secours. Cette espérance fut bientôt dissipée : c’étaient trois bataillons mexicains, forts de trois à quatre cents hommes chacun, que le général Milan amenait sur le lieu du combat. Cependant l’ennemi avait réussi à pratiquer, sur une des faces de la cour, une brèche par laquelle il prenait à revers les défenseurs des autres faces.
À deux heures, le sous-lieutenant Vilain fut tué. Le commandement passa au sous-lieutenant Maudet. La chaleur était accablante, la troupe n’avait pas mangé depuis la veille, personne n’avait bu depuis le matin. Les souffrances des blessés étaient atroces. L’ennemi fit une nouvelle sommation, qui fut encore repoussée avec la même énergie ; alors il incendia un des hangars extérieurs, et la fumée rendit plus intolérables encore les tortures de la soif. Malgré tout, on se maintint aux créneaux et aux brèches.
À cinq heures et demie, l’attaque fut suspendue ; le général Milan, rassemblant ses soldats à l’abri d’une maison voisine, les harangua, leur disant que ce serait une honte de ne pas en finir avec les quelques Français qui restaient debout. Ces paroles furent entendues par un soldat d’origine espagnole qui les traduisit à ses camarades.
Aussitôt après, un assaut général fut donné, les Mexicains se précipitèrent à la fois sur toutes les ouvertures. À la porte principale, il ne restait qu’un homme, il fut pris. À l’angle opposé, il y avait encore quatre soldats qui jusqu’alors avaient réussi à défendre une brèche, ils furent enveloppés par l’ennemi qui remplissait la cour et entraînés. Le sous-lieutenant Maudet s’était barricadé avec quatre hommes dans les débris d’un hangar ruiné. Il s’y défendit encore un quart d’heure ; puis, ayant fait envoyer la dernière balle à l’ennemi, il donna l’ordre de charger à la baïonnette.
Au moment où il sortait du hangar, tous les fusils étaient dirigés sur lui ; un de ses hommes lui fit un rempart de son corps et tomba foudroyé ; lui-même fut grièvement blessé par deux balles et renversé à terre. Alors les Mexicains, se précipitant sur les quelques survivants de l’infortunée compagnie, les firent prisonniers.
Il était six heures du soir, lorsque succomba cette poignée d’hommes héroïques ; ils combattaient depuis plus de neuf heures ; deux officiers étaient tués, le troisième mortellement blessé. Vingt sous-ofificiers et soldats avaient été tués, vingt-trois blessés parmi lesquels sept moururent de leurs blessures ; les autres furent faits prisonniers, à l’exception d’un tambour laissé pour mort et qui, recueilli le lendemain par une reconnaissance du régiment étranger, donna les premiers détails sur le combat.
On assura que les Mexicains avaient perdu trois cents hommes dont deux cents morts [1]. La vigoureuse résistance de cette compagnie détermina le général Milan à laisser passer les convois sans les attaquer, et il ramena à Jalapa ses troupes fort impressionnées des pertes sanglantes que leur avait coûté cette victoire. Du reste les Mexicains traitèrent avec humanité leurs prisonniers dont ils avaient admiré la bravoure ; lorsque le sous-lieutenant Maudet mourut, s’honorant eux-mêmes par les égards témoignés à leur ennemi vaincu, ils lui rendirent les honneurs militaires".