à la résistance française
Aux yeux de certains, mes analyses seraient obérées par le refus assumé de prendre en compte, comme facteurs premiers de la crise, ses dimensions ethnique et prétendument religieuse.
Je persiste et je signe.
Certes, il n’est pas douteux que la crise présente soit de nature essentiellement religieuse. Mais il faut prendre garde à définir très précisément ce que l’on entend par ce terme.
En effet, la confrontation entre "chrétiens" et "musulmans" ne relève pas, à proprement parler, du fait religieux. Il s’agit plutôt d’une montée en tension identitaire, dommage collatéral d’une crise beaucoup plus profonde et qui est, pour le coup, de nature religieuse. C’est la fameuse "crise du sens", identifiée par Michel Drac, et propre à toute société dite "libérale".
Comment une société qui ne reconnaît aucune autre norme que celles produites par le consensus politique et le jeu des intérêts égoïstes pourrait-elle engendrer autre chose que le repli sur soi et la haine ?
Ceux-là même qui se vivent comme les adversaires les plus décidés du paradigme dominant - identitaires chrétiens, identitaires musulmans, identitaires laïcistes - en constituent donc la traduction la plus spectaculaire.
Parmi ces identitarismes, la version musulmane est aujourd’hui la plus unanimement stigmatisée. Ainsi se sont multipliées ces derniers jours, venant d’horizons très divers (Rioufol, Lévy, Thréard), des déclarations fracassantes au sujet du droit de vote qu’il serait question d’accorder aux étrangers.
S’agirait-il d’une prise de conscience par nos élites de la nécessité de redéfinir les contours politiques de notre "vivre ensemble" ? En aucun cas...
Pour s’en convaincre, il convient de lire la récente tribune signée par M. Klarsfeld dans Le Monde :
"Une vague fondamentaliste traverse le monde musulman comme les violences ont pu traverser la France après la chute de la monarchie. Cette vague touche aussi par endroits le territoire français. Voulons-nous des listes fondamentalistes aux élections dans certaines municipalités ?"
Raisonnement typique de la mentalité libérale sécuritaire qui adore pratiquer l’amalgame, déplacer les problèmes, jouer sur les peurs, mélanger le vrai et le faux, confondre les causes et les conséquences, mentir par action et surtout par omission...
Comment peut-on s’alarmer de la conquête de nos villes par des fondamentalistes quand, par ailleurs, on n’évoque jamais les raisons de leur présence en France ? De quel aveuglement faut-il être atteint pour concentrer ses craintes sur le vote de certains étrangers quand, au même moment, dans l’indifférence générale, une politique de naturalisations massives rend illusoires les remparts de papier que M. Klarsfeld s’ingénie à élever de toute part ? On ne peut s’empêcher, au vu de ce spectacle mirobolant, de songer à un serpent qui se mordrait goulument la queue... A moins qu’il ne s’agisse de pures manipulations destinées à entretenir le trouble dans les esprits.
Pour ma part, comme professeur de collège, je constate jour après jour que beaucououp de jeunes français qui revendiquent leur confession musulmane sont atteints exactement des mêmes pathologies que le reste de la population : consumérisme frénétique, refus de l’autorité, irrespect, prurit identitaire exprimé par le "culte de la marque".
Bien entendu, quand on concentre au même endroit une population homogène (même profil sociologique, même mémoire collective), on confère aux phénomènes de dérégulation du lien social une coloration particulière, une visibilité accrue dont le système profite ensuite pour créer la diversion, sans en avoir l’air. Tandis que la parole officielle se réfugie dans les euphémismes doucereux (les "jeunes", les "quartiers"...), les idiots utiles (Fdsouche) se chargent de faire le "sale boulot" et de lever l’implicite.
C’est ainsi que les premières victimes deviennent les premiers coupables, qu’on fasse mine de les défendre ou qu’on se propose de les achever.
Est-il besoin de préciser que je n’entends pas "victimes" dans le même sens que SOS-racisme ? Que je ne cherche pas de (fausses) excuses à des comportements individuels qui méritent d’être réprimés et sanctionnés avec la dernière sévérité ? Je veux simplement faire passer l’idée que la délinquance de masse est produite par un système qui, au mieux s’en accommode, au pire la suscite. Par conséquent la répression est nécessaire, mais non suffisante.
Ceux-là même qui font mine aujourd’hui d’adopter un discours sécuritaire (Guéant, Rioufol, Lévy, Klarsfeld) n’ont pas changé. Ils cherchent seulement à dissimuler - à eux-mêmes ou aux autres - qu’ils ne veulent pas s’en prendre aux causes systémiques de la déliquescence sociale.
Une fois de plus, ne cédons pas à la facilité des dialectiques artificielles ni à la confusion des causes et des conséquences.
Ne combattons pas les identités : ce serait se battre contre une part du réel.
Ne cherchons pas à nier les tensions identitaires : autant s’essayer à souder le couvercle d’une cocotte minute.
Tâchons plutôt de convaincre ceux qui sont tentés de définir leur identité comme la négation d’un ordre supérieur que la poursuite d’un bien commun ordonné au Logos apparaît comme l’unique moyen de convertir en énergie positive, mise au service de la Vie, l’effrayant potentiel de destruction de la "mimétique identitaire".
Tel est le rôle du politique, conforme à une "saine laïcité", dans une perspective authentiquement religieuse.
Telle est la mission particulière de la France au service de l’humanité (1).
(1) Voir MASCRE David, De la France, Reims, Editions de l’Infini, 2010.