Dans son livre Hillary Clinton, la Reine du chaos (Editions Delga, 2015), la commentatrice et auteure américaine Diana Johnstone met notamment en évidence la présence de l’élément féminin, non seulement chez Clinton bien entendu, mais dans son entourage, – et, pour la prospective, dans ce que serait son administration en cas de victoire le 8 novembre prochain, notamment dans les postes vitaux de sécurité nationale.
Cette tendance n’est ni récente ni conjoncturelle : c’est Hillary Clinton, nouvelle Secrétaire d’État, qui a remis en selle Victoria Nuland comme porte-parole du département d’État, en 2009. C’est encore elle qui favorisa l’accession de Samantha Power à la fonction d’ambassadrice des USA à l’ONU, Susan Rice que Power remplaçait passant à la fonction très puissante de directrice du National Security Council. Tout cela découlait d’un arrangement entre Clinton et Obama, le président lui-même étant très favorable à l’approche sociétale de la politique (Susan Rice est bien entendu une femme, mais aussi une africaine-américaine, ce qui allait dans le sens des conceptions d’Obama) ; cet « arrangement », « facilité » par certains moyens de pression de Clinton sur Obama, datait du marché initial des primaires de 2008 où Clinton accepta d’appuyer la cause d’Obama pour la désignation aux présidentielles auprès de la direction du parti démocrate une fois qu’elle ait eu perdu tout espoir d’être désignée elle-même. Effectivement, Obama « paya » cela en donnant le poste de Secrétaire d’État à Hillary plus divers « droits de regard » pendant son mandat et même après ; la puissance des Clinton à Washington leur assure à cet égard de vastes moyens d’influence.
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Question : En devenant la première femme présidente des États-Unis, pensez-vous que Hillary Clinton ferait avancer la cause féministe ?
Diana Johnstone : Le fait d’être femme est le seul élément concret qui permet à Hillary de prétendre que sa candidature soit progressiste. L’idée est que si elle « brise le plafond de verre » en accédant à ce poste suprême, son exemple aidera d’autres femmes dans leur ambition d’avancer dans leurs carrières. Mais pour la masse des femmes qui travaillent pour de bas salaires, cela ne promet rien.
Il faut placer cette prétention dans le contexte de la tactique de la gauche néolibéralisée de faire oublier son abandon des travailleurs, c’est-à-dire de la majorité, en faveur de l’avancement personnel des membres des minorités ou des femmes. Il s’agit de la « politique identitaire » qui fait oublier la lutte des classes en se focalisant sur d’autres divisions sociétales. En d’autres termes, la politique identitaire signifie le déplacement du concept de l’égalité du domaine économique à celui de la subjectivité et des attitudes psychologiques.
Dans votre livre, Hillary Clinton, la reine du Chaos, vous revenez sur la guerre du Kosovo. Hillary Clinton était la première Dame des États-Unis à l’époque. En quoi le bombardement de la Yougoslavie en 1999 a-t-il été un épisode marquant de son parcours politique ?
Avec son amie Madeleine Albright, l’agressive ministre des Affaires étrangères de l’époque, Hillary poussait son mari Bill Clinton à bombarder la Yougoslavie en 1999. Cette guerre pour arracher le Kosovo à la Serbie fut le début des guerres supposées « humanitaires » visant à changer des régimes qui ne plaisent pas à Washington. Depuis, Hillary s’est fait la championne des « changements de régime », notamment en Libye et en Syrie.
Dans mon livre, La Reine du Chaos, je souligne l’alliance perverse entre le complexe militaro-industriel américain et certaines femmes ambitieuses qui veulent montrer qu’elles peuvent faire tout ce que font les hommes, notamment la guerre. Un intérêt mutuel a réuni les militaristes qui veulent la guerre et des femmes qui veulent briser les plafonds de verre. Si les militaristes ont besoin de femmes pour rendre la guerre attrayante, certaines femmes très ambitieuses ont besoin de la guerre pour faire avancer leur carrière. Les personnalités les plus visiblement agressives et va-t’en guerre de l’administration Obama sont d’ailleurs des femmes : Hillary, Susan Rice, Samantha Power, Victoria Nuland… C’est un signal au monde : pas de tendresse de ce côté-ci !
On ne peut se départir du constat qu’on se trouve devant un phénomène très spécifique, résultant de l’introduction des matières sociétales (en passant du social au sociétal) dans l’arsenal des politiques idéologiques, qui introduit plus le chaos qu’une époque nouvelle, – sinon une contribution par ailleurs puissante à une époque de chaos, certes, mais on rejoint alors le grand ébranlement du Système. En effet, s’il s’agit de « féminisme » dans le constat de ce regroupement féminin avec et autour de Clinton, il s’agit également de ce que d’aucuns, parmi les adversaires conservateurs de cette évolution, nomment le « marxisme culturel » (c’est-dire le marxisme où l’économie est remplacée par la « culture » au sens le plus large, selon l’enseignement d’un Gramsci ou d’un Lukács). On observera, allant dans ce sens, que le « marxisme culturel » ne rejette évidemment pas certaines tendances trotskistes dite-de « révolution permanente », qui sont clairement déstructurantes et dissolvantes, d’ailleurs retrouvées chez les neocons, le plus souvent de descendance trotskiste.
Néanmoins ces mouvements neocons-R2P (le R2P où l’on classe la plupart des « Harpies », – puisque c’est le surnom qu’on leur donne, – de la « reine-Clinton ») entretiennent des liens étroits, sinon plus qu’étroits jusqu’à être incestueux (notamment les Clinton) avec Wall Street et, pas moins avec le CMI (complexe-militaro-industriel, ami des phénomènes sociétaux) dont elles sont les vecteurs politiques favoris pour savoir si bien vendre les guerres humanitaires à la fois avec une violence extrême et un affectivisme qui les place quasiment au-dessus des lois (on veut dire : « au-dessus des lois » de la raison et de la logique politique). On sait bien que Wall Street et le CMI sont des entités, ou des « États parallèles » qui n’affectionnent rien tant que la déstructuration et la dissolution, et la guerre humanitaire par conséquent et par vocation, et en cela pas si hostiles au marxisme culturel ; mais, cela admis dont on peut soupçonner le caractère purement tactique, ils représentent tout de même ce que le capitalisme peut présenter de pire pour être seulement acceptables par le marxisme culturel.