« Pour que le gouvernement soit respecté, il faut qu’il soit respectable, autant dans son essence, dans sa naissance, dans ses origines que dans ses manifestations extérieures et visibles. »
Il est universellement admis qu’il n’y a pas eu d’élections en Haïti en 2011. Ce fut une sélection. Les néo-colons, Bill et Hilary Clinton, parachutèrent le plus inepte de leurs poulains au pouvoir, Michel Joseph Martelly. Depuis lors, c’est le règne du tout à l’envers en Haïti. Tout est contradictoire. L’exercice du pouvoir, dans sa dimension politique et administrative, est plus proche de la théorie du « big bang » que la gestion rationnelle. C’est la revanche des bourgeois contre les masses, eux, qui ont investi la scène politique depuis 1986 mais ont été contraints à l’échec après chaque tentative de libération économique et sociale.
C’est la dictature directe des nantis en Haïti. La classe moyenne est exposée à la disparition dans le pays. Une nation fortement endommagée par un tremblement de terre, ayant fait 330.000 morts, avec un taux de chômage de 40.6 % frappant les 5 millions de la population en âge de travailler, les éléments de la classe moyenne sont broyés, condamnés à se replier dans l’unique secteur à leur portée, l’éducation. Le gouvernement les a silencieusement expulsés de l’administration étatique au profit des technocrates issus de la bourgeoisie. Une expérience unique et cynique contraignant les progressistes à la réflexion profonde face à la grande question de Lénine, « Que faire ? ».
Le mensonge et l’invraisemblance dominent le paysage du pouvoir. Les médias haïtiens, à part quelques-uns, sont propriétés des nantis qui prennent la société haïtienne en otage sous les feux de la propagande. Quand des journalistes d’opinion émettent des critiques, car souvent ils n’ont pas le choix face aux dérives visibles du pouvoir, elles ne sont jamais matures. C’est à dire capable d’englober tous les contours d’un problème. Ils sont plus enclins à donner des conseils au gouvernement sans qu’ils soient sollicités.
Le président, quant à lui, est au-dessus de la mêlée. On trouve toujours des subterfuges pour l’exempter de la stagnation des actions de l’équipe gouvernementale. On met de l’avant sa bonne volonté de changer les choses. Cependant, on oublie une chose, la bonne volonté seule ne suffit pas. Si tel était le cas, Haïti, je dirais le monde, serait un paradis aujourd’hui. Il faut absolument l’organisation politique, le plan gouvernemental, la vision globale et le groupe d’hommes prêt pour la grande traversée.
Et un autre facteur fondamental, c’est la capacité du chef à maitriser la complexité de la fonction de président dans un pays du tiers-monde. En particulier, Haïti, où histoire et grandeur sont intimement liées. Dans un sens plus précis, le président doit avoir le sens de l’histoire pour pouvoir comprendre les relations du monde avec Haïti. C’est-à-dire leur perception et convoitise par rapport à un « peuple de défi », maman de la liberté ; la haine et l’hypocrisie qui influencent leur décision d’état ; la peur et l’inquiétude de voir une Haïti unie et forte s’ériger en leader du monde affranchi du néo-colonialisme. Donc, le président d’Haïti doit avoir un passé d’engagement patriotique et national le préparant à affronter l’adversité internationale. Car, selon l’idéal dessalinien, « Haïti doit être toujours du côté des peuples affaiblis et persécutés ».
Les récentes interventions américaines et canadiennes à propos du danger que court un ressortissant étranger qui visite Haïti sont très révélatrices. Eux, qui prétendent aider Haïti. La contradiction entre les mots et les actes de la communauté internationale donne un haut le cœur. L’année dernière, « Clinton Bush Haïti Fund » décida d’investir 2 millions de dollars dans la construction d’un hôtel 5 étoiles, l’Oasis. L’argent qui devrait être utilisé pour la reconstruction d’Haïti. Entre-temps, 350.000 haïtiens vivent toujours sous les tentes dans la zone métropolitaine. La logique sur laquelle se basait Clinton pour justifier cet investissement fut d’augmenter la capacité d’accueil du secteur hôtelier haïtien dans le but d’accueillir des milliers de touristes qui séjourneraient éventuellement dans le pays. La note du département d’état demandant aux ressortissants étrangers de ne pas séjourner dans le pays est en totale contradiction avec le développement du secteur touristique dans le pays. A quoi bon investir dans l’infrastructure touristique pendant qu’on décourage les touristes potentiels à visiter le pays sous des prétextes fallacieux de violence endémique qui frappe le pays.
Cela nous place dans une situation où l’on doit rappeler aux irréductibles de la société haïtienne qui croient encore dans les promesses de reconstruction de la communauté internationale, qu’elle doit être une initiative nationale d’abord. Il y a une référence qui m’est toujours venue en tête, c’est le génocide Rwandais de 1994, commis sous la barbe des nations unies qui déclarèrent en la circonstance que les forces de l’ONU furent sur le terrain pour « protéger la paix mais pas pour maintenir la paix ». Le résultat fut catastrophique, 1 million de morts. Sans oublier la participation française et belge dans l’attisement de l’animosité entre les deux ethnies majeures du pays, Tutsis et Hutus, vers la guerre totale.
L’Occident ne peut que jouer un rôle impérialiste dans le monde. Partout c’est l’élargissement de son influence néocoloniale sur les autres états. La république d’Haïti n’est pas épargnée, en dépit de sa situation socio-économique précaire d’avant et d’après 12 janvier 2010. Le projet impérial poursuit son parcours en Haïti et ailleurs. Michel Martelly, actuel président, est le valet du moment. Mais cela finira mal, comme ce fut le cas avec son prédécesseur René Préval. Ce dernier se croyait tout à l’abri avec le soutien sans failles de l’occident, cependant, lorsqu’il voulut parachuter son poulain Jude Célestin à la présidence, les choses changèrent brusquement. Célestin fut écarté manu militari du deuxième tour au profit de Martelly, le président Préval n’eut eu d’autres choix que de constater le fait accompli. Maintenant, après avoir participé à un documentaire sur Haïti, dans lequel Préval a dénoncé fermement le rôle de l’international dans l’échec d’Haïti, il est menacé d’être mis en prison à travers un tas d’accusations savamment mises ensemble par l’international. Donc, il est astreint à se taire. Je prédis le même sort pour Martelly.
En ce moment de commémoration des 3 ans du tremblement de terre meurtrier du 12 janvier 2010, j’ai cette même sensation d’Albert Camus « ce désarroi et ce trouble intérieur » qui m’empêche de vivre. Ce nihilisme dont il parlait me hante l’esprit tous les jours, cette tendance à tout banaliser, à tout abandonner, à s’enfuir pour toujours. Parce qu’il semble que « nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours le royaume de la mort ». Après 3 ans, près de 6 milliards de dollars ont déjà été dépensés en Haïti, pourtant rien de concret n’a été fait. On ne sait où est passé tout cet argent. On n’en a aucune trace. Pourtant, dans quelques années les éditorialistes de New York Times, Miami Herald, Le Monde et RFI vont écrire en manchettes que le peuple haïtien avait gaspillé plus de 10 milliards de dollars. Une autre façon de nous indexer encore une fois comme « État paria », l’américain dirait une « lost cause ».
L’année 2011-2012 a été particulièrement éprouvante pour Haïti. Le pays a exporté pour seulement 33 milliards de gourdes, mais a importé pour 172 milliards de gourdes. Donc, un déficit de 140 milliards de gourdes accusé par Haïti. Dans les médias et à l’étranger, le chef de l’État n’a jamais raté une occasion pour vanter ses réalisations, surtout au niveau de l’éducation, prétendant qu’il a envoyé plus d’un million d’enfants à l’école. Pourtant, le Président n’a procédé à l’inauguration d’aucune nouvelle école depuis l’inauguration de son quinquennat. La situation générale du pays n’a jamais été si fragile et chancelante. Un « instinct de mort » traverse tous les secteurs de la vie nationale, y compris les plus nantis. La nation n’a jamais été aussi diminuée, l’indignation est partout. Dans des milieux diplomatiques, beaucoup de voix commencent à s’élever pour mettre en question les actions gouvernementales. Parmi les plus proches du pouvoir, on sent un sentiment d’énervement, d’ailleurs des partisans de première heure tournent déjà le dos. C’est le cas du musicien Richard Moss, le cousin de Martelly.
Les néo-colons continuent à jouer le rôle de meneurs (cheerleaders) du pouvoir ; pourtant la désillusion des masses populaires est à fleur de peau. La descente aux enfers continue. L’intimidation des opposants au régime s’accélère. Les prisons de la capitale regorgent de prisonniers politiques, qu’on fait passer pour des casseurs. La corruption s’institue en mode de gouvernement. Le Premier ministre Laurent Lamothe, dans sa tour d’ivoire, marchande l’aide gouvernementale aux parlementaires en échange de soutien de sa « politique ».
Sinistre tableau sociopolitique.
Joël Léon